samedi 6 décembre 2025

Pause Tilleul

 




Les jours suivants, Poucette dut renoncer à ses enregistrements, les épreuves du Bac Blanc sonnant le glas de la rêverie.

L’épreuve de Philosophie donna à réfléchir : «  Vous ne voyez que la seule vérité donc vous êtes injuste » ; ce commentaire d’une phrase de Fédor Dostoïevski plongea les lycéens dans une profonde réflexion.

Pendant ce temps, Mamie Marguerite trompait son ennui en enchaînant les tasses de tilleul. Elle eut à cœur de bichonner sa petite fille. Jadis, elle avait cuisiné maint plat de bonne facture, quiche lorraine, champignons à la crème, chou rouge aux lardons fumés à la mode du Nord, paupiettes de veau aux laitues braisées, filet mignon caramélisé, salades composées, tartes au citron, charlotte à la crème de rose, choux en pyramides et mousse au chocolat légère. Aujourd’hui, elle craignait les fourneaux car il lui arrivait d’avoir quelques absences et elle redoutait de commettre une bévue dommageable pour la réussite du plat voire dangereuse : une explosion au gaz pouvait se produire à la suite d’un fâcheux oubli.

Elle s’en remit donc au boucher-charcutier et au boulanger-pâtissier du village pour concocter un menu équilibré et gourmand.

L’intitulé du commentaire philosophique la laissa rêveuse. Elle avait lu tous les romans de Dostoïevski et cette phrase illustrait à merveille le fondement de son œuvre.

Dans Les Frères Karamazov, l’auteur avait réussi une prouesse : écrire deux plaidoiries, l’une pour prouver la culpabilité de Dimitri, l’un des fils du père assassiné et l’autre pour démontrer son innocence ; les plaidoyers étaient si convaincants que le lecteur ignorant le nom du criminel passait alternativement du «  c’est lui » au « il est innocent ».

Mamie s’avoua vaincue par la dialectique du sujet. Sa connaissance de l’auteur l’aurait empêchée d’avoir un point de vue philosophique tel qu’il était requis. Elle misa sur l’exploitation des cours de philosophie de Poucette et ses amis pour mener à bien la réflexion demandée.

Estimant que Poucette avait eu sa dose de réflexion, Mamie parla peu et évoqua les petits plaisirs de la journée, un rouge-gorge picorant sur la pelouse, des ibis en vol et plus prosaïquement elle loua l’excellence des capsules qui l’aidaient à concocter une tisane parfaite sans passer par la gazinière.

On se souhaita une bonne nuit car le lendemain, Poucette devrait se pencher sur l’épreuve de Mathématiques. La clarté du raisonnement serait exigée pour résoudre une énigme chiffrée !

vendredi 5 décembre 2025

La symbolique de l'aigle

 

 


Poucette revint du lycée auréolée du succès obtenu à l’audition de la cassette audio Radio Marguerite. Ses camarades avaient apprécié la phrase du Général : «  Les traités, c’est comme les jeunes filles et les roses, ça dure ce que ça dure » ! Toutefois, de beaux esprits firent remarquer que le général, fidèle à la vision de son âge, faisait porter la flétrissure du temps aux seules jeunes filles ; il aurait pu dire « la jeunesse » plutôt que les jeunes filles, associant ainsi les damoiseaux aux damoiselles : ta grand-mère n’a fait que rapporter un propos, on ne peut donc pas lui en vouloir et on la félicite d’avoir une mémoire qui nous aide à appréhender la compréhension d’un monde révolu.

Ces causeries sont très éloignées des « causeries au coin du feu » conçues par un président qui voulait faire oublier sa particule et son allure de marquis. Pour se montrer populaire, il jouait de l’accordéon et partageait le repas d’une famille sélectionnée par les services de l’Elysée. On peut juste conclure en disant qu’il est bien difficile et illusoire de masquer ses origines dit Laurence, leader incontestée du groupe de réflexion.

Choisis un thème, Mamie, je prépare l’audition dit Poucette et Mamie se prêta au jeu.

«  Que souhaitez-vous transmettre aux jeunes générations ?

Je voudrais avant tout inviter les lycéens d’ Antoine Watteau à se défier des informations tronquées qui deviennent de facto mensongères.

Prenons l’exemple de ce que l’on nomme faits divers et qui sont en fait d’abominables crimes masqués.

Tout le monde a suivi avec angoisse la recherche d’un bambin de quatre ans mystérieusement disparu. Alors que le petit village était bouclé par la gendarmerie pour les besoins de l’enquête, des reporters furent dépêchés sur place. Pour répondre aux impératifs fixés par leur chaîne, les reporters brodaient autour de mille riens pour dire quelque chose. On alla même jusqu’à suggérer qu’un aigle avait pu fondre sur l’enfant et l’emporter dans ses griffes acérées !

La douche fut glacée lorsqu’une joggeuse découvrit le crâne du pauvre enfant !

Je comprends fort bien que la réserve soit de mise pour la bonne tenue d’une enquête mais de grâce, épargnez nous le spectacle désolant d’une enquête autour de l’enquête, transformant nos Sherlock Holmes de service en ridicules agitateurs brassant du vent et colportant des propos oiseux non maîtrisés.

Voilà mon conseil, chers ados : lisez une belle œuvre et coupez court à ces errements médiatiques en ne les suivant pas !

Merci Mamie Marguerite et comme on le disait jadis : à demain si vous le voulez bien » !

Poucette rangea son matériel, mit des valses viennoises sur le phono et Mamie se détendit en savourant un délicieux vol-au-vent de volaille.

L'art d'escamoter le réel

 

 


Louis Aragon a écrit Le Mentir Vrai. De même, côté informations, il existe une forme de mensonge-oubli si l’on remplace le temps imparti à une nouvelle fondamentale par un pseudo-sujet sans intérêt pour la nation. Les tyrans ont la parole, on transmet leurs propos indécents non -stop et leurs déclarations tonitruantes sont livrées à l’état brut comme l’expression d’une vérité. La victime est perçue comme l’instigateur des troubles dont il souffre , l’agresseur étant magnifié, surtout s’il y a de l’argent à gagner. Bref, on finit par zapper les chaînes d’informations mensongères pour regarder des fantaisies qui se revendiquent comme telles.

Radio Marguerite va remédier à cette tragique situation d’autant plus que des bruits de bottes retentissent à nos frontières.

Soigneusement maquillée et vêtue avec élégance, Mamie s’approcha du micro, prête à rebondir aux rafales de suggestions qui lui seront proposées :

« Quel sujet voulez-vous aborder aujourd’hui, Marguerite ?

Ils sont si nombreux que je peux hésiter face à un tel éventail ; dans ce cloud nébuleux, je sélectionne la vanité des commentaires autour de la composition éventuelle d’un traité de paix.

Dans ma jeunesse, je prenais des notes, je remplissais des carnets de phrases ou de paragraphes des livres que j’aimais et je notais parfois aussi les déclarations des Grands de ce monde. C’est ainsi que j’ai noté une phrase du Général de Gaulle lors d’une conférence de presse où se pressaient des journalistes du monde entier.

Interrogé sur la pérennité d’un traité qui occupait tous les esprits, le général eut cette saillie : «  Les traités, c’est comme les jeunes filles et les roses, ça dure ce que ça dure » !

Ce commentaire cloua le journaliste et l’on passa à un autre sujet.

Cette réflexion, outre son aspect primesautier et gaullien, me semble frappée du bon sens. On devrait s’en inspirer et cesser de parler de tel ou tel autre point d’un traité voué à être jeté aux orties.

Merci pour ce judicieux éclairage, Mamie Marguerite ! Pour détendre l’atmosphère, je propose à nos auditeurs d’écouter l’une de vos chansons préférées J’entends siffler le train de Richard Anthony.

Nous nous reverrons demain pour aborder un autre sujet » !

L’intermède musical achevé, Poucette remercia les auditeurs et leur promit une causerie nouvelle autour de l’actualité, sujet peu abordé en classe.

Elle rangea son matériel et invita Mamie à passer à table pour savourer un bouillon de volaille.

Heureuse d’avoir pu s’exprimer, Marguerite passa une bonne nuit et sa petite fille se félicita de l’excellence de son idée.