samedi 25 octobre 2025

Les lavandières de Vincent

 

 



En longeant le cours d’une rivière chantant sur les galets, Vincent découvrit des lavandières, jupes retroussées, qui battaient énergiquement leur linge sur une tablette de bois.

Ce tableau charmant raviva ses souvenirs et une chanson ancienne jaillit de ses lèvres :

«  Connaissez-vous les lavandières

Comme on en voit au Portugal

Surtout celles de la rivière

De la ville de Setubal

Ça n’est vraiment pas des lavoirs

Où elles lavent mais des volières

Il faut les entendre et les voir

Rythmer leurs chants de leurs battoirs ».

Heureux de les entendre rythmer son chant de leurs battoirs, Vincent s’éclipsa pour revenir avec une hotte pleine de raisins blonds et colorés, chasselas et muscat et il invita ces dames à faire une pause en sa compagnie pour se régaler de ces  trésors de vendanges.

Les jeunes femmes formèrent une ronde auprès du prince à la voix d’or et firent honneur au don des vignerons.

L’ombre de Dionysos flotta sur ce charmant tableau et lorsque les jeunes femmes reprirent le travail, elles trouvèrent une énergie nouvelle grâce à Vincent, notre ténor d’amour.

 

vendredi 24 octobre 2025

L'homme qui venait de nulle part

 






Lorsqu’il arriva à Ermenonville, Philibert, avec ses vêtements de lin bruni et ses mocassins en écorce de bouleau, sembla sorti du bois mystérieux des légendes celtiques.

Son prénom aux consonances germaniques paracheva cette impression d’étrangeté.

Il se joignit à la fête qui avait lieu ce jour là et sortit de sa poche de belles pièces d’or qui lui ouvrirent le cœur de personnes prêtes à adopter celui qui venait la bourse pleine.

Il paya son écot et prit place à la table où rougeoyait le vin en carafe.

Cochons de lait farcis, chaud-froid de volaille, feuilletés d’escargots en sauce persillée, cuisses de grenouilles, jardinières de légumes et salades enrichies de dés de fromage, d’olives, de pistaches, de noisettes et de cubes de viande froide circulèrent pour le choix de préparations sublimées.

Chacun nota que Philibert aimait ces plats venus du fond des âges et s’en félicita.

Gelées de fruits, gâteaux de semoule, cakes et pièces montées furent servis prestement pour laisser la place aux traditionnelles festivités.

Philibert invita une toute jeune fille aux longs cheveux décorés de fleurs et tous deux interprétèrent une mazurka pleine de charme.

Diane s’abandonnait d’autant plus volontiers dans les bras de son cavalier qu’elle avait espéré cette invitation.

Philibert était doux, réservé et modeste en dépit de sa beauté.

La danse achevée, Philibert reconduisit sa cavalière à sa place mais Diane lui fit comprendre qu’elle souhaitait rester en sa compagnie.

Galamment, il lui proposa de faire quelques pas au bord de l’étang et ils s’éloignèrent, heureux de vivre ensemble des moments de paix et de bonheur.

mardi 21 octobre 2025

La fête des portraits

 

 

 


Lorsque le tableau fut terminé, il était si beau qu’il suscita l’admiration de tous. On venait de partout pour l’admirer.

Gabin pensa qu’un banquet s’imposait et pour donner la couleur de la réception, il relança la mode du portrait écrit qui faisait fureur à la cour du Roi Soleil.

Un portrait sous forme de poème et d’énigme devait être envoyé pour mériter l’invitation. C’était une habile précaution pour éviter la présence de Fâcheux qui viendraient gâcher la fête.

Les invitations personnalisées furent envoyées dans tous les royaumes connus et l’on se concentra sur le déroulé de la fête.

Ceci défini, les invitations personnalisées furent envoyées dans tous les royaumes connus et l’on se concentra sur le déroulé de la fête.

Les couturiers du château se mirent au travail pour que Charlize soit habillée avec élégance, faste et un minimum de confort.

L’orchestre retenu reçut l’approbation du châtelain pour le choix des morceaux proposés ; il y en aurait pour tous les goûts et les rythmes alterneraient de manière judicieuse pour ne pas épuiser les danseurs.

On réfléchit beaucoup à la composition des plats et des boissons.

Pour les vins, on se limiterait au Champagne, à raison d’une seule coupe par personne pour éviter les disputes voire les rixes. Les boissons florales seraient privilégiées.

Au menu, il y aurait des salades composées, des feuilletés aux fruits de mer ou aux ris de veau, des pains moelleux garnis de viande bouchère ou de volaille, aux champignons et au fromage.

Des mignardises feraient office de dessert ainsi que des coupes de fruits coupés en dés.

Le problème culinaire résolu, chacun s’activa et le château retentit du chant des marmites et des casseroles tandis que les chasseurs cueilleurs partaient dans les bois chercher les trésors qui seraient sublimés en cuisine.

Les pêcheurs apportèrent leurs plus beaux spécimens et les fermiers des alentours fournirent œufs, volailles et autres produits laitiers qui raviraient les gourmets.

Parchemin à la main où s’inscrivait leur éloge poétique, les invités arrivèrent et découvrirent leur place sur le plan de table.

Chacun fit honneur aux plats et le champagne pétilla dans les coupes. Lorsque Charlize apparut dans une robe de dentelle couleur chair, rehaussée de roses bleues, un cri d’admiration fusa.

Frappé par sa beauté, Gabin lut le portrait qu’il avait écrit pour lui rendre hommage ce qui lui valut des applaudissements et des larmes de bonheur.

On dansa. Gabin se limita aux valses lentes et il eut à cœur d’honorer toutes les dames pour que personne ne se sente rejeté.

Des couples se formèrent et Gabin choisit La Valse de L’Empereur pour enlacer la douce Charlize dont le cœur battit si fort qu’elle frisa l’évanouissement.

La fête terminée, ils ne purent se séparer et dormirent dans le jardin d’amour de la roseraie, nid éternel des amants.

 

samedi 18 octobre 2025

La carpe d'or

 

 

 

En admirant les évolutions en forme d’arabesques d’un martin-pêcheur, Dorian eut l’intuition d’avoir découvert le passage mythique vers le palais englouti au fond des eaux de son étang d’enfance, aux trois sources selon la légende.

Il plongea et explora les lieux lacustres jusqu’à ce qu’une ouverture s’ouvre à lui car il était bel et bien présent, le palais dont tous rêvaient.

Tout de marbre rose, il attendait la venue de celui qui le ferait revenir au jour.

Heureux d’être ce héros, Dorian s’aventura dans un dédale mordoré et atteignit enfin une immense salle, luxueusement meublée, où évoluait une carpe d’or.

La carpe cessa ses mouvements aquatiques à son arrivée et se mua en une ravissante jeune fille aux grands yeux d’or.

Dorian prit place à ses côtés et tous deux murmurèrent une romance où les chants des bateliers de la Volga se mêlaient aux ritournelles de son enfance évoquant les marches du palais.

Le couple se retira dans des appartements confortables et romantiques et tandis qu’un orchestre interprétait des valses de Chopin et des mazurkas, les deux amoureux se livrèrent à des danses langoureuses qui ne prirent fin qu’à l’aube.

Alors qu’il formulait une demande en mariage à la charmante Oriane, Dorian se réveilla au bord de l’eau qui chantait sur les pierres comme à l’accoutumée.

Ce n’était donc qu’un rêve se dit-il mais il songea qu’il retournerait bientôt au fond de l’étang pour y retrouver le grand amour de sa vie et il reprit le chemin du retour vers sa chaumière, la poitrine gonflée de chants d’amour qu’il s’empresserait d’écrire et de chanter.

Mes premiers élèves

 




C’est dans la petite commune d’ Onnaing située près de Valenciennes, devenue célèbre par la suite grâce au choix japonais pour l’installation de son usine Toyota, que je fis la connaissance de mes premiers élèves.

Béatrice, Jean-Michel, Francis et tant d’autres, je ne vous ai pas oubliés.

Catapultée dans l’enseignement sans formation spécifique, je suivis tant bien que mal les conseils de notre directrice tout en me référant à mes souvenirs scolaires, à des ouvrages pédagogiques et en suivant les conseils d’une amie et collègue, Anne-Marie, titulaire de son poste contrairement à moi.

La directrice nous avait dit que pour la première matinée, il n’était pas nécessaire de préparer des cours à proprement parler, les professeurs principaux devant remettre aux élèves livres et manuels usuels.

La coutume voulait qu’ils parlent aux élèves en leur donnant une multitude de consignes.

Or, le mien mena les affaires rondement et me laissa seule face à des élèves pressés de me découvrir.

Après la présentation de ma discipline Lettres-Latin, j’enchaînai avec un poème que je connaissais par cœur et que j’écrivis au tableau.

Les heures passèrent sous les ailes de la féerie et lorsque la cloche sonna la fin de la matinée, chacun se retira.

Le professeur principal, leur professeur d’Histoire et Géographie, vint chercher les élèves pour les conduire, en rang, à la cantine.

J’appris, par la suite, que cette classe, destinée à Valenciennes, avait été subtilisée par notre directrice.

C’est l’un des rares bons points que je peux lui donner car elle se montra machiavélique et redoutable vis-à-vis des novices.

Elle nous détestait parce que nous avions des diplômes supérieurs aux siens et à ceux des autres professeurs.

Ma camarade de lycée, Nicole qui provenait d’un milieu aisé et bourgeois, avait un cabriolet et de jolies tenues qui mettaient en valeur sa beauté.

Elle devint son souffre-douleur et malgré nos efforts pour la contrer parvint à lui faire connaître une sévère dépression nerveuse. Nicole avait tant souffert qu’elle quitta définitivement l’enseignement.

En ce qui me concerne, elle écoutait à la porte, allant même jusqu’à regarder par le trou de la serrure : elle surgit un jour, en alpaguant deux élèves, au fond de la classe qui selon ses dires jouaient avec une gomme au lieu de m’écouter.

En fait, l’un de ces deux élèves fut tellement passionné par ma présentation théâtrale de l’ Iliade qu’il demanda à ses parents de lui acheter le livre. Il me le montra et m’assura qu’il le lisait.

Je n’étais pas peu fière de cet exploit car j’étais toujours habitée par l’amour hellénistique. Je pensais en outre qu’il était de bon ton, pour un professeur de Latin, de laisser entrevoir le monde d’Homère qui s’ouvrirait à eux si ces élèves choisissaient le Grec en troisième langue.

Fidèle à ses habitudes intempestives, la directrice fit une intrusion dans la salle où je donnais un cours : c’était la sixième B sans latin.

Elle me demanda à brûle-pourpoint, devant mes élèves, si je connaissais le procédé Lamartinière. Je dus avouer mon ignorance et elle me laissa quelque peu abasourdie.

L’une de mes élèves me dit après son départ : «  Oh, Mademoiselle, on a eu peur pour vous ».

Tenant ces menaces à peine voilées pur négligeables, je m’informai sur le procédé Lamartinière, l’appliquai et poursuivis mon chemin en croyant à mon étoile.