Dans un domaine ayant appartenu au chat botté, vivait un
magnifique chat persan nommé Saphir.
Il était si beau que chaque enfant, au château, rêvait d’en
faire son chat attitré mais Saphir était un chat indépendant et il aimait
s’échapper quelques jours voire plusieurs semaines, revenant au moment précis
où l’on commençait à s’inquiéter : il y avait tant de chasseurs qui, par
dépit, s’en prenaient aux chats lorsqu’ils étaient bredouille !
Un jour, Saphir aperçut dans le miroir d’un étang, une jeune
fille aux longs cheveux dénoués, chantant dans une barque tandis que des cygnes
lui servaient de cortège.
C’était un spectacle magnifique et Saphir, pour la première
fois de sa vie, sentit son cœur battre follement dans sa poitrine.
Il se tapit dans les roseaux, attendant que l’apparition
féerique vienne de son côté.
Il s’endormit et sentit une chaude présence au réveil.
Ronronnant à qui mieux mieux, il était caressé par une jolie
main blanche.
« Saphir de mes rêves, j’aimerais que tu sois un
prince charmant car tu es si beau et si doux que je voudrais sans cesse à mes
côtés ».
Mais quel est ce sortilège se dit Saphir et comment se
fait-il que la plus belle princesse du monde s’intéresse à moi ? Je ne
suis qu’un chat et il est grand temps que je regagne le château de mon ancêtre,
le chat botté.
Il est vrai qu’il était devenu marquis et que, selon le
conte, il ne courut plus après les souris que pour se divertir : c’est ce
que me racontait ma grand-mère, la grande Zelda aux yeux d’émeraude lorsque je
n’étais encore qu’un chaton.
Quant à moi, je n’aime guère croquer les souris, même les
plus appétissantes et je préfère manger des ortolans, en veillant à ne pas trop
diminuer l’espèce car mon maître Rodilardus qui m’a fait découvrir les fables
de La Fontaine, m’a enseigné la fragilité de notre monde, un roseau face aux
tempêtes et il m’a inculqué l’amour de la nature.
En suivant ses préceptes, je me suis entraîné à déguster des
plantes, de l’herbe à chats comme il se doit, mais aussi des liserons d’eau et
des fleurs bien grasses qui ont un goût de miel.
Après une dernière caresse, Saphir s’échappa et partit en
direction du château de ses ancêtres, bâti sur un éperon rocheux qui le rendait
imprenable.
De retour au château, il se faufila dans une mansarde où il
aimait se reposer et s’endormit, fatigué d’avoir accompli une longue course.
Pelotonné sur un édredon qui avait, selon la légende, servi
à protéger la Belle au Bois Dormant dans son long sommeil de cent ans, il
éprouva l’immense plaisir de se sentir environné par un univers féerique.
C’est donc sans étonnement qu’il se réveilla, au petit
matin, sous les traits d’un beau prince aux yeux d’émeraude et au pourpoint
doré.
Au château, on lui fit fête et il dut raconter une histoire
pour justifier sa présence.
Il prétendit venir d’Orient, guidé par un oiseau dont le
chant s’apparentait à celui du rossignol.
« Comment vous nomme-t-on, messire ? dit
audacieusement un jeune page.
Je suis le prince Saphir, pour vous servir, dit-il d’une
voix douce.
Nous avons un chat qui se nomme ainsi dit une petite
fille : lui avez-vous pris son nom ?
Présente tes excuses au prince, Aliénor, lui dit sévèrement
sa mère.
Mais le prince Saphir ne souhaita pas qu’on la gronde :
il est bon de parler selon son cœur précisa-t-il et il caressa la chevelure
bouclée de la petite audacieuse ».
La maîtresse de maison, Dame Aude, invita le prince à dîner
et chacun passa à table.
Le repas fut agréable : le mets préféré de Saphir, des
ortolans, était précisément au menu.
Vint ensuite une tourte feuilletée au saumon et aux
épinards.
Des palourdes farcies à la tombée de poireaux et d’oignons
rouges ainsi que des tomates farcies à la viande hachée et aux amandes firent
les délices des convives.
Pour le dessert, on se régala de pommes d’amour et de
sorbets garnissant des aumônières en pâte fine, beurrée au pinceau, reposant
sur un lit de caramel.
On remarqua la qualité
de la denture du prince qui croquait à belles dents dans les surfaces
les plus dures.
« A vous regarder de près dit Aude croyant faire un
mot d’esprit, on s’imagine notre chat Saphir dévorant à belles dents des
ortolans dont il fait son régal.
Peut-être suis-je précisément ce chat dit Saphir », ce
qui fit rire tout le monde.
On conduisit le prince Saphir dans ses appartements et il
apprécia le mobilier, le décor et le luxe du cabinet de toilette à sa juste
valeur.
Le lit à baldaquins était fabuleux et incitait au sommeil.
Demain nous recevons la princesse Oriane dit le jeune page
qui l’avait accompagné. Vous ferez certainement sa conquête avec l’esprit dont
vous faites preuve ajouta-t-il.
Saphir sourit et comme il était au courant des usages du
monde, il glissa quelques pièces dans la main du jeune homme qui se prénommait
Lucien.
Il passa une bonne nuit, regrettant seulement de ne pas
entendre le bruit du vent dans les roseaux.
Le lendemain, ce fut un véritable branle-bas au
château : la venue de la princesse Oriane était attendue comme un temps
fort de la journée.
Les cuisines retentissaient du bruit des cuivres et des
fumets odorants s’échappèrent bientôt, mettant les papilles en émoi.
Le prince se promena dans le parc et s’attarda sous une
charmille, endroit privilégié pour d’agréables rencontres.
Il prit place dans la pergola et ferma un instant les yeux.
Il ne vit pas arriver la princesse mais perçut son parfum
qui fleurait bon la bergamote et le jasmin.
Enivré par cette odeur, le prince tomba sous le charme de la
belle visiteuse et il eut l’impression de l’avoir déjà vue.
Au cours de la conversation, il retrouva la mémoire :
c’était, bien sûr, la belle apparition qui l’avait fasciné, dans le miroir d’un
étang, avec son cortège de cygnes.
Belle princesse, s’enhardit-il à lui dire, votre souhait est
exaucé : le chat persan que vous avez caressé de vos jolies mains s’est
métamorphosé en prince et me voici à vos côtés, prêt à vivre une éternité de
chat ou de prince, comme vous le souhaiterez.
On m’avait dit que vous étiez un original répondit la
princesse en souriant et on ne m’a pas trompée !
Eh bien, il en sera comme vous le souhaitez, beau prince, et
la belle Oriane posa sa jolie tête sur l’épaule du jeune homme qui choisit,
somme toute, de ne plus accepter de vivre comme un chat puisque l’amour se
présentait à lui, doux et éternel