Loin
des turpitudes du royaume, à l’abri dans un monastère, le Grand Schtroumpf que
l’on croyait dans les îles pour soigner ses rhumatismes, lisait et relisait le
grimoire qui était un legs d’un passé glorieux.
Ces
querelles de châteaux, celui de Gargamel, celui de la maison du peuple où se
pressaient de nombreux envieux du pouvoir, Pluvix se montrant débonnaire et
enfin les multiples châteaux de Schtroumpf Nerveux qui quadrillaient le royaume
pour s’emparer de tous les domaines avec le désir effréné de plonger les mains
dans les coffres remplis d’or et de joyaux lui apparaissaient comme le
monstrueux champignon du royaume, se propageant de proche en proche.
Chaque
matin, il se levait à l’aube et partait, un panier à la main pour en revenir
avec une aimable cueillette de simples qu’il offrait ensuite aux cuisiniers
pour agrémenter les plats du jour.
Ensuite
il se retirait dans sa cellule avec laboratoire aménagé et se livrait à de
cabalistiques opérations chimiques.
Un
jour, il eut l’agréable surprise de réussir un essai. L’une de ses décoctions
avait pour effet la destruction des miasmes qui s’emparaient parfois de la
capitale du royaume au grand dam de Belle de Navarre dont l’écharpe était le
signe de la combattante.
Il
arrivait que des nuages noirs venus d’un royaume voisin, celui d’Hildegarde de
la Baltique pour la nommer, ternissent la jolie capitale où se pressaient
d’étonnants voyageurs issus de tous les horizons.
Je
vais offrir cette mixture à Pluvix, pensa le Grand Schtroumpf, cela redorera
son blason car il en a bien besoin ! Des ennemis surgissent de partout y
compris dans ses propres rangs et même dans sa couche ! Une favorite
s’était permis de livrer mille petits secrets, allant même jusqu’à mettre en
doute la bonté que tous lui prêtaient, même dans la déroute !
Un
plumitif qui participait à l’élaboration de ses discours ajoutant çà et là un
adjectif, un certain Attila Dupont qui usait de bonnes bouteilles et faisait
cirer ses pompes au sein du château par un esclave bien payé, écrivit lui aussi
un livre où il traitait Pluvix de roi nu et autres abominations du même style.
Tout le monde y allait de son livre, au grand régal des hérauts du royaume qui
en citaient, à son de trompe avec roulement de tambours, les passages les plus
croustillants.
Cependant
la malle poste ne put prendre la route car des pluies diluviennes s’abattirent
sur une province du royaume que devaient emprunter les fringants chevaux à
destination de la capitale. Ne renonçant pas à son désir d’aider Pluvix à qui
l’on attribuerait certainement ces pluies intempestives, le Grand Schtroumpf
ordonna à son majordome d’emporter le précieux coffret contenant l’élixir et
son mode d’emploi par la voie aérienne. C’est à bord d’une montgolfière que
Schtroumpf Fidèle, le majordome aux gants blancs, partit en espérant arriver
sans encombre.
Pluvix
le reçut avec amabilité et lui proposa le gîte et le couvert dans un castel
versaillais réservé aux hôtes de marque. De belles têtes de cerfs ornaient les
colonnes érigées de chaque côté de la grille. Ainsi fut fait. Schtroumpf Fidèle
confia un message à une colombe pour avertir le Grand Schtroumpf du succès de
sa mission puis il se laissa aller aux plaisirs proposés au castel : cela
lui arrivait si rarement !
Il
eut quelques conversations avec Pluvix qui s’enquit aimablement de la santé du
grand maître du royaume. Schtroumpf Fidèle l’informa des promenades
quotidiennes de son maître, des essais pratiqués en son laboratoire puis des
lectures approfondies du grimoire sacré où tant de faits et de réflexions
philosophiques reposaient depuis des années. « J’aimerais beaucoup avoir
le temps de lire soupira Pluvix mais j’ai tant à faire avec les problèmes du
royaume ! Tenez, en ce moment, une guerre est déclarée entre deux chefs
pour la possession du plateau dans un palais où s’affrontent de vieux élus aux
tempes blanchies. L’un se nomme Raminagrobis, il a l’allure d’un gros chat et
ne sort ses griffes que lorsqu’on s’y attend le moins, l’autre est un avatar du
Minotaure car il a l’encolure puissante d’un taureau. Il impressionne par sa
taille et son embonpoint mais il minaude parfois comme une jeune fille et c’est
lui qui a l’avantage en ce moment ».
Pluvix
resta rêveur. Sans doute pensait-il à sa campagne glorieuse suivie de mille et
une embûches, notamment au cœur même de son propre camp.
Après
avoir bu sa tasse de thé, il quitta courtoisement Schtroumpf Fidèle, lui
recommandant d’apprécier la quiétude des lieux.
Quelques
semaines s’écoulèrent au cours desquelles le brave Pluvix essuya maintes
tempêtes, de véritables orages dans un verre d’eau car l’on n’hésitait pas à
faire feu de tout bois pour le ridiculiser. Une personne de son entourage le
prit en photo dans le jardin du palais en compagnie de la douce amie qui savait
si bien adoucir ses peines et lors d’un voyage officiel on fit circuler une
photo où il était pourtant à son avantage, revêtu d’un somptueux manteau brodé
et d’une toque de fourrure que bien des pauvres du royaume auraient pu lui
envier. Mais voilà on clamait haut et fort qu’il était ridicule à commencer par
une plumitive qui avait partagé l’édredon de plumes de Schtroumpf Nerveux. Elle
prenait des airs gourmands pour titiller Jacques Tilleul, un proche de Pluvix
qui lui rétorqua par onomatopées et gestes de dérision dont il avait le secret.
On pouvait cependant se demander qui des deux était le plus ridicule :
Pluvix magnifique dans la tenue de fête du pays hôte ou la plumitive qui paradait
chaque semaine sur des chaussures à talons si extravagantes que seules des call-girls
pouvaient les porter.
Cependant
Pluvix prit tous ces avatars avec sa philosophie habituelle, pensant que les
jours ensoleillés qui l’avaient porté au pouvoir finiraient bien par revenir.
De
son côté, Schtroumpf Nerveux multipliait les apparitions et les déclarations
les plus tonitruantes car on l’avait hissé sur le grand pavois et il était à
nouveau le chef d’un parti où tous mimaient le grand rassemblement tout en
ayant une main sur leur poignard acéré car la réalité était qu’ils se
détestaient tous.
Pour
la reconquête du château, Schtroumpf Nerveux comptait beaucoup sur la
Divine
Muette car elle l’aidait considérablement en participant à des festivités
culturelles, sa guitare à la main. Pour une fois, une cigale faisait recette.
Le brouillon d’une chanson à son image, en guimauve, fut vendue aux enchères un
bon prix.
Pour
revenir au château, Schtroumpf Nerveux avait besoin d’argent, d’énormément
d’argent. Fidèle à son modèle historique dont il n’avait pas le talent,
seulement l’ambition, Napoléon le Conquérant, il distribuait sans compter
titres et récompenses, achetant par quelques breloques ceux qui ne partageaient
pas ses idées. Et il avait des projets grandioses, tenir des salles
surchauffées à grands renforts de soutiens qui prendraient une carte et se
croiraient obligés d’acheter des objets dérisoires pour plaire à leur chef. On
leur demandait seulement d’acclamer sans comprendre et de déclarer qu’il était
le plus merveilleux leader du monde. Mais pour cela, il était nécessaire de
disposer d’un véritable trésor de guerre car seuls les imbéciles et les naïfs
payaient. Les myriades de fourmis qui s’activaient pour la réussite de ces
spectacles voulaient en croquer et mettre des denrées dans leurs greniers.
Loin
de toutes ces turpitudes, Pluvix remercia chaleureusement Schtroumpf Fidèle de
son soutien moral, promit d’utiliser à bon escient la potion magique du Grand
Schtroumpf et offrit en échange un mortier de Sèvres ainsi qu’un vase de la
célèbre manufacture et proposa son carrosse personnel et une escorte de gardes
républicains pour assurer la sécurité du serviteur. La montgolfière serait
renvoyée au printemps. Ainsi fut fait et Pluvix se retrouva sur le seuil de son
palais, pressé de retrouver son stylo et ses dossiers car il écrivait
énormément. Les moments où il se trouvait à son écritoire étaient les plus
heureux de sa vie. De sa plume acérée, il concevait des projets utiles au
royaume et à ses sujets et bien souvent, lorsqu’il lui arrivait de lever la
tête, il voyait un oiseau bleu près de la fenêtre et c’est à ces instants qu’il
savait que ses projets étaient les meilleurs possibles en ces temps tourmentés.
Hildegarde
de la Baltique était pour lui un énorme sujet de préoccupation. Ils étaient à
des années-lumière l’un de l’autre et cependant ils devaient apparaître au
grand jour unis comme les doigts de la main droite, celle des serments. Jusqu’à
présent, il n’avait connu d’elle qu’un moment heureux lors d’une invitation aux
bords de la Baltique, son domaine de prédilection. Ils avaient été accueillis
par des accordéonistes et avaient embarqué dans un bateau où ils purent
échanger des propos amicaux et des projets d’unité. Hildegarde l’avait gratifié
d’un tonnelet de harengs pêchés dans sa mer de rêve et il était revenu de cette
équipée assez dubitatif dans la mesure où il avait été l’unique chef d’état à
connaître cet honneur personnel.
Cependant
Pluvix avait de la mémoire. Il revoyait Hildegarde jeune et pas très jolie se
faufiler auprès d’un vieux chef, un bouquet de fleurs à la main, tout sourire,
alors qu’elle rêvait de prendre sa place !
C’était
une maîtresse femme en politique et récemment elle avait infligé un camouflet à
Schtroumpf Nerveux en refusant de l’accueillir pour la fête de son parti. Il
devait être accompagné par Léchevain, ce fils maudit qui avait osé le défier en
se présentant à la tête du parti qui lui était acquis, réalisant un bon score
de surcroît ! Napoléon avait qualifié son ancêtre de « merde dans un
bas de soie » ! C’était le bon temps soupira Schtroumpf Nerveux, on
pouvait dire ce que l’on voulait. Aujourd’hui des plaideurs se jettent sur vous
à tout propos et je suis réduit à crier dans une pièce insonorisée toutes les
insultes que je garde en moi. Léchevain lui aurait été d’une grande utilité car
il maniait la langue de Goethe comme sa langue maternelle, ayant hérité sans
doute de son ancêtre la virtuosité diplomatique de celui qui dut solder la
chute de l’ogre et réduire au maximum les malheurs du royaume. Il comptait sur
la perfidie de Léchevain, histoire de l’enfoncer par la suite mais ce plaisir
lui fut refusé à son grand dam ! Un nuage noir plana sur la demeure
douillette qu’il partageait avec la Divine Muette, richissime héritière d’une
famille italienne qui avait fui un pays où l’on coupait le doigt d’un enfant
riche pour en obtenir une rançon.
Ces
temps difficiles n’étaient plus et sa Divine Muette s’était fait un nom en
défilant pour un Dieu de la Haute Couture puis en murmurant des semblants de
chansons. Elle était son grillon porte-bonheur et la petite Schtroumpfette
était son grand amour.
« Ce
Pluvix n’est pas digne, de vivre au château pestait-il, il n’a pas d’adorable
compagne, il n’a plus d’enfants, il n’est rien, c’est un pauvre type, un
usurpateur. Il n’a pas parmi ses ancêtres des nobles capables de monter à
cheval et de mener une charge. C’est un paysan : il l’a lui-même avoué, il
faut le chasser et à grands coups de latte ».
Il
s’énervait tant qu’il en devenait pourpre, prêt à mourir d’une crise
d’apoplexie. C’est pourquoi il jetait ses vêtements, enfilait un short et
partait entouré par ses gorilles, faire un semblant de footing.
Loin
de toutes ces vilenies, le Grand Schtroumpf redoublait d’efforts pour trouver
une formule quasi magique qui sauverait à la fois Pluvix et le royaume. Il
tenait en grande estime Pluvix, pensant que les sujets étaient bien ingrats à
tant le vilipender et chérir par contre des individus malfaisants qui
conduiraient le royaume à la ruine.
Il
accueillit Schtroumpf Fidèle, écouta soigneusement son récit et célébra les
magnifiques cadeaux dont Pluvix l’avait gratifié.
Le
lendemain, il marcha dans la campagne, son panier à la main et le garnit de
trouvailles délicieuses, roses de Noël, branches de houx, gui et plants
sauvages odorants. De retour au monastère, il orna le vase de toutes ces
merveilles et égrena les perles du gui pour en faire de jolis colliers.
Les
plants furent envoyés à la cuisine et avec ce regain de vigueur, il se plongea
à nouveau dans la lecture du Grimoire avec l’espoir d’y découvrir la maxime qui
permettrait de maintenir l’équilibre du royaume.
De
son côté, la Divine que tous avaient perdue de vue, engrangeait les soutiens et
était en passe de coiffer tout le monde à l’arrivée. Elle avait passé un accord
avec une banque russe et dans ce royaume où avaient vécu Pouchkine, Tolstoï,
Dostoïevski, Gorki et Boris Pasternak, elle était adulée et considérée comme la
future locataire du château.
Cependant
la Divine ne manquait pas de sujets de mécontentement. Gargamel ne semblait pas
apprécier la notoriété dont elle bénéficiait tandis qu’il s’enfonçait dans une
sorte de crépuscule qui lui faisait horreur. À la suite de brouilles répétées,
ils s’étaient séparés et elle vivait désormais loin du château paternel dont le
nom de Nemontrerien sonnait comme un défi. Il s’était rapproché de sa petite
fille Cœur de Marie, une jolie blonde dont le minois et le talent conjugués
attiraient les électeurs. La Divine redoutait cette nièce car elle avait vu
luire dans son regard froid l’étoile de l’ambition. De plus, elle était en
proie aux doutes concernant son compagnon et son porte flingue, un certain
Henriot dont les talents de bretteur sur les plateaux la protégeaient de débats
dangereux. Henriot parait les coups avec intelligence et il était même parvenu
à effacer une contradiction le concernant. Il ne cessait de vilipender les
énarques qui formaient la garde rapprochée de Pluvix tout en ayant le diplôme
de la Grande Maison. S'il faisait nuit, il parviendrait à persuader les nôtres
qu’il fait grand jour s’amusait la Divine et elle pensait avec satisfaction que
lorsque sa campagne victorieuse serait achevée, Henriot serait fini et il
n’aurait plus qu’à se chercher une place à l’étranger tant il aurait focalisé
les haines du royaume.
Quant
à son compagnon c’était un réel souci. Son accent chantant le coupait de tous
les sujets du royaume. De plus, il n’était pas bon d’entrer au château sans
avoir la bague au doigt et elle n’était pas décidée à se jeter, une fois de
plus, dans les aventures conjugales. Les précédentes s’étaient soldées par des
échecs et elle n’en gardait pour tout souvenir que ses enfants chéris, confiés
à sa mère, la belle rebelle qui avait osé poser presque nue dans un magazine
compulsé frénétiquement par des mâles en rut pour damer le pion à son mari qui
lui recommandait de faire des ménages pour subvenir à ses besoins.
La
Divine avait gardé de cette séparation une blessure jamais refermée. Vivant
dans l’ombre de son père, petite fille blonde aux grands yeux clairs, elle
buvait littéralement les paroles de son père lorsqu’il passait à la télévision.
Il était à la fois son père et son Dieu, son mentor dont les formules choc lui
plaisaient. Les aventures du club des cinq qui faisaient les délices de ses
camarades de classe ne l’intéressaient guère et elle ne rêvait qu’à un seul
destin, celui de reprendre le flambeau de son père chéri et d’aller, telle
Jeanne d’Arc, de ville en ville reconquérir le royaume. Elle y était presque
parvenue. Encore quelques marchés et elle y serait ! Elle en fermait les
yeux tant elle était submergée par la volupté de son rêve.
Laissant
les ambitieux à leurs préoccupations narcissiques, le Grand Schtroumpf parcourait
la campagne, son fameux panier à la main, suivi à distance respectueuse par
Schtroumpf Méditatif, un sujet qui vivait au monastère dans le recueillement et
la réflexion. C’est en cueillant de la salsepareille dont raffolaient les
Schtroumpfs, leur apportant source vitaminée et longévité qu’il eut une
révélation : tel Champollion trouvant la clef des hiéroglyphes, il vit
briller dans un nuage bleu une formule qui allait sauver Pluvix et le royaume.
Mais la comparaison avec Champollion s’accentua avec une syncope semblable à celle
que connut le savant en déchiffrant enfin le nom d’un Pharaon. Il s’abattit
inanimé dans la campagne et grâce à un sifflet qui ne le quittait jamais,
Schtroumpf Méditatif réclama de l’aide.
Des
moines robustes accoururent avec un brancard orné de gui, réminiscence
druidique et placèrent délicatement le Grand Schtroumpf afin de l’emporter au
Monastère où on lui dispenserait les soins nécessaires.
Le
médecin diagnostiqua un surmenage cérébral et préconisa qu’on le porte dans une
chambre et qu’on attende patiemment son réveil.
Schtroumpf
Fidèle, le majordome envoya par pigeon voyageur un message au château destiné à
Pluvix.
Pour
avoir étudié dans des établissements tenus par des religieux, Pluvix déduisit
sans peine que le ciel lui envoyait un signe. Il se sentit ragaillardi et ne
douta pas qu’un nouveau cycle s’offrait à lui, et que bientôt il pourrait se
débarrasser de ce nom, Pluvix, qui s’harmonisait aux torrents d’eau reçus
depuis son investiture. Le soleil allait luire sur les prochaines décades, le
Grand Schtroumpf ayant trouvé la clef du Grimoire secret pour sa reconquête.
Il
sifflota joyeusement et comme par hasard, un soleil d’or nimba le château
Élyséen d’une royale quiétude : il n’était pas sur le départ, qu’on se le
dise et il demanda à la Garde Républicaine de choisir pour sa prochaine sortie
une marche où les tambours de guerre auraient une place privilégiée. Pluvix
était mort, vive Tulipe d’Or !