mercredi 10 décembre 2025

Amour et falbalas

 

 


Mamie s’éveilla d’excellente humeur car l’élection de Miss France 2026 projetée sur le petit écran lui avait apporté une part de rêve et de poésie.

«  La féerie est de mise et chacun se félicite du rêve offert à une jeune fille pour un an, voire davantage car certaines miss ont fait fructifier leur titre et se sont installées dans une profession gratifiante à laquelle elles n’auraient pas eu droit sans leur notoriété » .

Voilà ce qu’elle dit en substance à sa petite fille avant de lui avouer qu’elle avait pris les jolies toilettes en horreur : sa mère lui confectionnait de belles robes en organdi dont le contact lui provoquait d’abominables démangeaisons. De plus, il lui était interdit de jouer pour ne pas se salir ; elle restait statique avec ses magnifiques anglaises façonnées au fer à friser, autre torture !

Par la suite, victime de certains  préjugés de son époque, Mamie avait refusé toute allusion à la beauté corporelle. On se voulait pur esprit et l’on sacrifiait sur l’autel de la déesse Raison la moindre pépite enchanteresse.

Lors d’un commentaire de texte dans un cercle privé, Mamie avait été interrompue par un jeune ouvrier marchant sur les traces de Lénine et de Trotski : «  tu as dit beau : c’est bourgeois » ! La mort dans l’âme, Mamie avait quitté le groupe de beaux esprits car s’il lui était facile de briser toute évocation de sa prétendue beauté, il ne lui était pas possible de refuser l’attribut de la splendeur à un poème ou à un texte littéraire, voire à toute œuvre, picturale, sculpturale ou musicale.

Ce jour -là, Poucette n’effectua aucun enregistrement car les souvenirs de Mamie étaient personnels et ne pouvaient conduire à une réflexion générale.

Mamie exprima des remords concernant sa conduite envers sa mère dont elle faisait peu de cas dans son adolescence, la jugeant futile et dépourvue de réflexion personnelle.

Elle la revoyait, heureuse d’avoir perçu une petite somme équivalant à une retraite de couturière à domicile pour solde de tout compte :

«  Je t’ai retenu un bel ensemble au magasin de La Bouxière ; il t’ira à ravir » !

Elle n’avait pas osé refuser ce cadeau et c’est ainsi que, pour la dernière fois de sa vie, elle fut vêtue avec élégance.

Poucette nota la tristesse dans le regard de Mamie et elle se promit de lui commander le caftan brodé dont elle rêvait en secret.

La journée se poursuivit au fil du rêve et de l’impromptu et l’on se promit de parler plus sérieusement de la beauté qui méritait tout de même mieux que des souvenirs en forme de patchwork.

 

lundi 8 décembre 2025

Parenthèse florale

 



Mamie déclara qu’elle ne souhaitait plus s’exprimer au sujet de la guerre, arguant du fait que son enfance et son adolescence avaient été assombries par les récits qui circulaient dans sa famille.

Tous les hommes, côté paternel, avaient été impliqués dans des conflits. Ils en étaient sortis vivants mais meurtris. Son grand-père avait été rappelé sous les drapeaux lors de la Première Guerre Mondiale sans que l’on ait tenu compte du fait qu’il était père de trois enfants. Fait prisonnier à Maubeuge, il avait laissé ma grand-mère dans le besoin. Cette femme courageuse avait quitté sa région natale pour s’établir à Auxerre ; elle avait travaillé dans une usine d’armement dite « de camouflage » pour élever ses enfants : « on mangeait des fruits » se souvenait son père qui du haut de ses 5 ans avait une vision propre à son jeune âge.

Libéré au bout de cinq ans, son grand-père avait peiné à retrouver son emploi de tulliste à Caudry, la dentelle paraissant un produit peu nécessaire dans un pays dévasté par la guerre. De plus, il avait dû reconstruire sa maison détruite dans un bombardement.

Le père de Mamie avait été mobilisé pour la seconde guerre mondiale et un hasard administratif, son premier poste de secrétaire de Mairie se situant en Haute Savoie , lui avait octroyé son incorporation loin des sites proches du front. Il avait ainsi échappé à la défaite par les armes et évité l’emprisonnement qui avait frappé ses beaux-frères.

Le frère de Mamie, Daniel, avait participé à ce que l’on nommait pudiquement «  les événements » à savoir la guerre d’Algérie.

Enfin côté maternel, un cousin, Maurice, voulant offrir à sa mère un débit de tabac et un manteau de fourrure pour l’aider à surmonter l’abandon sec d’un mari volage, s’était porté volontaire pour Dien Bien Phu dont il n’était jamais revenu. Porté disparu, il avait finalement été déclaré décédé après une longue bataille administrative, l’ennemi outragé n’ayant pas relevé l’identité de mourants laissés sur le bord de la route avec une poignée de riz cru.

Bref, sa vie avait été jalonnée par des récits qui lui avaient occasionné une sainte horreur de la guerre, amplifiée par le fait que son nom de baptême était Marguerite-Marie, en hommage à la sainte à qui le Christ avait offert son cœur, Cœur Sacré de Jésus, en échange d’un militantisme ardent contre la guerre qui battait son plein sous Louis XIV surnommé le Roi Soleil pour son amour de la danse et de la gloire sublimée par Versailles.

«  Je ne veux pas en parler et pourtant j’en parle puisque je suis le témoignage vivant et répulsif de la lutte morale que nous devons entreprendre pour combattre ce fléau.

Alors tournons la page et parlons de fleurs qui devraient être le centre d’intérêt de tous.

Je vous recommande la lecture d’un roman de Balzac dont on parle peu et qui est admirable, Le lys dans la vallée. Il contient les plus belles pages d’amour qu’un homme puisse adresser à une femme.

Amoureux d’une mère de famille, un adolescent compose une lettre passionnée en présence du mari, en choisissant des fleurs symboliques pour les réunir en un bouquet où palpitait son cœur.

Balzac dont on loue surtout le côté sombre avec La peau de chagrin, Le Père Goriot, Les Illusions Perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, a néanmoins un côté fleur bleue indéniable.

Ce n’est pas un hasard si le recueil de Lucien de Rubempré, l’un de ses héros, poète à ses débuts puis journaliste à la botte de rédacteurs sans scrupules, s’intitule Les Marguerites.

Ce recueil fictif, objet de quolibets à son arrivée à Paris «  Qui lit encore des poèmes » ? est finalement édité à la suite d’une trahison littéraire imposée à son malheureux auteur.

Nous sommes déjà dans la lignée des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire ; ces fleurs vénéneuses d’une étrange beauté ont valu à son auteur une condamnation au nom de la morale bourgeoise.

Mais laissons-là ces fleurs ténébreuses Dame aux Camélias etc pour revenir au Roman de la Rose médiéval que je porte en mon cœur ».

Fidèle à ses habitudes, Mamie se tut brusquement, visiblement troublée par les vicissitudes de son âge.

Poucette rangea son matériel et diffusa un Nocturne de Chopin avant de cuisiner un plat léger à base d’œufs et de légumes du potager.

samedi 6 décembre 2025

Ginette Super Star

 

 

 


L’épreuve du Bac Blanc terminée, les amis de Watteau éprouvèrent le besoin de trouver un nouveau souffle.

La solution miracle s’avéra être la venue au lycée de Ginette Kolinka, rescapée du camp de concentration et d’extermination d’ Auschwitz-Birkenau.

Cette femme énergique, au parler franc, avait à cœur de témoigner de l’absurdité et des atrocités de guerres menées au nom d’une idéologie meurtrière et totale.

Mamie se félicita de l’engouement qui s’ensuivit après la conférence-dialogue d’un témoin si attachant.

«  Tout ce que je pourrai dire sera vain car je ne porte pas sur ma chair les errements d’une période tragique. Comme tous les déportés, Ginette porte toujours le numéro qui avait rayé son identité jugée ignoble tatoué sur le bras. Simone Veil, rescapée du même camp, portait toujours des hauts à manches longues pour ne pas révéler la marque d’infamie. Un jour, un coup de vent dévoila son bras et un collègue lui dit avec désinvolture : Vous craignez d’oublier le numéro de votre casier ? Innocente ou volontaire, cette remarque blessa la grande dame qui préféra garder le silence.

N'oublions pas les erreurs commises et veillons ardemment à ce qu’elles ne se renouvellent pas » !

Ce prologue achevé, Mamie Marguerite se concentra pour aborder un thème et tout naturellement, elle proposa une réflexion autour du mot guerre.

«  Chers lycéens, avant de développer un propos, je vous suggère de relire les pages édifiantes de Voltaire, l’article Guerre de son Dictionnaire Philosophique et son conte philosophique Candide.

Dans ce conte, il y a une présentation édifiante de ce fléau : deux armées dites ennemies s’apprêtent à s’affronter et avant que le signal du combat ne soit donné, des prêtres invoquent le nom de Dieu et font retentir un Te Deum martial sans relever le moins du monde que la divinité ne se partage pas et qu’elle ne peut pas être d’un côté et de l’autre, à l’opposé,  en même temps.

Grâce à cet exemple, on voit que la raison est bannie de tout justificatif logique de cette trouée humaine.

Aujourd’hui, les tambours de guerre retentissent tandis que de beaux esprits qui ont passé l’âge de guerroyer galvanisent les populations en se référant à Dieu, à la justice immanente en s’appuyant sur des adages romains tels que Si tu veux la paix, prépare la guerre ou encore en rappelant une triste évidence : la guerre est meurtrière et il faut se préparer au deuil de ses enfants.

Tout le monde oublie que la guerre ne fait pas partie de la panoplie ordinaire du genre humain, le jardin restant la symbolique qui le rattache à Dieu ».

Mamie ferma les yeux et Poucette mit un terme à l’enregistrement, remettant à plus tard la poursuite d’un thème cruel et inflexible.