« J’écarte la soie de tes cheveux, ô ma Fleur de Lune,
pour parvenir à la source enchantée qui jaillit de ton corps courbé en offrande
sous l’arc de mes désirs »…
Clément divagua encore sur ce thème qui visiblement
l’enchantait. Les mots coulaient de sa plume comme autant de pépites d’or
gisant depuis des années dans le cours des rivières, mises au jour par les
orpailleurs.
Devenu chercheur d’or sur l’autel du corps féminin sublimé
par son désir, il écrivit longuement, éprouvant un bonheur intense à décrire
par le menu ce phantasme d’amour.
Eprouvant alors le besoin de toucher de ses mains un nirvana
quotidien, il se lança ensuite dans la préparation de son plat-phare, la langue
façon grand-mère, cuite à la perfection, découpée savamment en fines tranches
et accompagnées de plusieurs sauces aromatisées soit au madère soit au piment
d’Espelette.
Ce travail achevé, il se réserva deux parts et répartit le
reste dans des barquettes alimentaires, prit des clichés et mit en ligne sa
proposition de vente à prix modéré.
Le téléphone retentit à plusieurs reprises : Mathilde,
Clotilde et Victor retinrent fermement le plat et convinrent d’une heure
précise pour venir chercher la barquette réservée.
Victor se présenta le premier. C’était un informaticien de
haut vol, il aimait la gastronomie, savait cuisiner mais ne disposait pas du
temps nécessaire à la réalisation de plats recherchés.
Il goûta la coupelle présentée par Clément, se déclara
satisfait, paya sa barquette et partit en laissant un petit cadeau, le livre de
sa grand-mère qu’il avait confectionné au fil des années à partir de ses notes.
Clément promit d’exploiter ce filon sacré et il feuilleta le
livre, cherchant une recette de pâtisserie qu’il réservait à sa Fleur de Lune
tant chérie et déflorée mille et une fois en rêve. Il retint le puits d’amour
et se promit d’en faire l’essai.
Il attendit la venue de Mathilde et de Clotilde dont les
prénoms résonnaient dans son cœur comme un tambour fleurdelisé aux armes de
Psyché, un long voile d’or brodé Fleur de Lune.
Mathilde, une bonne trentaine pétillante, couturière de son
état, acheta sa barquette au pas de course car une robe de mariée l’attendait
et elle laissa un petit cadeau à son image, un coussinet violine portant
quelques épingles à tête d’argent : « On a toujours besoin d’une
épingle » dit-elle en partant, laissant derrière elle un nuage de bonne
humeur.
Clotilde portait des tresses blondes et semblait être le
reflet de l’épouse royale de Clovis. Elle paraissait fatiguée et demanda la
permission de s’asseoir après avoir marché une bonne heure.
Clément espéra trouver une âme-sœur. Il concocta un smoothie
vitaminé et l’offrit à la jeune femme qui retrouva des couleurs. Visiblement
enchantée heureuse de cet accueil chaleureux, Clotilde ferma un instant les
yeux puis retrouvant sa vitalité initiale, goûta le plat, émit un soupir de
satisfaction, paya la barquette qu’elle enfouit dans son sac à bento et
s’apprêta à repartir dans son foyer.
En guise d’adieu et de remerciement, elle offrit à Clément
une poupée de porcelaine costumée à l’ancienne par ses soins. Elle ajouta sa
carte professionnelle Poupée Clotilde, création en biscuit, vêtue de manière
différente, chaque modèle étant unique. La soie, la dentelle, le satin , le
velours étaient à la base des costumes ; des cheveux naturels étaient
coiffés avec art, tresses, anglaises ou coupes modernes variées.
La poupée Clotilde fit battre le cœur de Clément : en
lui donnant une taille humaine, il identifiait sa Fleur de Lune désirable,
connaissant une vive émotion voisine des transes de la Pythie.
Il promit à Clotilde de venir la voir dans son atelier et
pour exprimer sa gratitude, il lui offrit des palets bretons nommés Traou Mad
qu’il gardait pour les grandes occasions.
Clotilde le remercia et partit d’un pas ferme, laissant
derrière elle une partie de sa personne puisque le visage de la poupée était
modelé à son image.
Brisé par l’émotion, Clément s’allongea et laissa libre cours
à sa rêverie qui le ramena tout naturellement à sa Fleur de Lune chérie.