mercredi 17 septembre 2025

Romance d'automne

 




Alors que les dernières roses offraient la splendeur parfumée de leurs pétales nacrés, que les campagnes bruissaient au son des moissonneuses, des vendangeuses et de trieuses de maïs , Vincent Niclo était à la recherche d’une chanson qui ferait battre son cœur et celui de son fidèle public.

Croisant des cueilleurs de colchiques pour en extraire le safran, de récolteurs de cèpes, de fruits des bois et de fleurs flamboyantes, il lui venait à la mémoire une multitude de chansons célébrant la beauté singulière de l’automne.

«  Les sanglots longs

Des violons

De l’automne

Blessent mon cœur

D’une langueur

Monotone ».

Ce sont des palombes venues d’orient qui lui apportèrent cette strophe magique de Paul Verlaine mis en musique par un chanteur kabyle au son d’un orchestre magistral.

Puis la chanson des blés d’or s’imposa à sa mémoire et il en chanta quelques mesures :

«  Mignonne, quand le soir descendra sur la terre

Et que le rossignol viendra chanter encore

Quand le vent soufflera sur la verte bruyère

Nous irons écouter la chanson des blés d’or

Nous irons écouter la chanson des blés d’or ».

La belle voix d’Armand Mestral se joignit à la sienne et les écureuils en panache roux leur offrirent les noisettes glanées le long des chemins forestiers.

Berthe Sylva les remercia d’une dernière interprétation de son immortel succès Les Roses Blanches et Vincent qui aimait sa mère passionnément ne put retenir ses larmes à l’évocation de cet enfant offrant des roses à sa jolie maman clouée sur son lit d’hôpital sans pouvoir la retenir sur terre.

Auréolé de chansons, Vincent reprit le chemin vers son foyer, les bras chargés de présents pour sa chère maman.

 

mardi 16 septembre 2025

Le banquet des fées

 


Pour préparer la fête des vendanges, les fées du Sud-ouest se réunirent un bel après-midi d'octobre.

La fée Dragée s'était chargée de l'organisation du goûter  festif.  Des coupes d'orgeat filées de roses caramélisées servies par des lutins en livrée or et émeraude mettaient ces dames en appétit. « Quelle belle journée ! » s'exclamaient-elles à l'unisson.

Elles prirent place gaiement autour de la grande table. De petites charlottes en biscuits roses de Reims fourrées de crème anglaise et de dragées pilées puis nappées de gelée de groseilles donnaient des couleurs à toutes ces beautés pressées d'établir le calendrier des réjouissances.

Les baguettes magiques reposaient dans des écrins de nacre et chacune se félicitait à la perspective de ne pas avoir à en user. Tout allait si bien !

Soudain, au milieu des rires et des chants, l'arrivée de la fée Armagnac plongea l'assistance dans la stupéfaction.

Ses cheveux épars tombaient sur ses épaules maigres ; sa robe de tulle déchirée en maints endroits trahissait le plus profond désarroi de celle qu'on avait toujours connue coquette et avenante. « Que vous arrive-t-il, ma sœur ? » s'écria la fée Tursan. Hélas ! répondit-elle en se tordant nerveusement les mains, on veut notre mort ! On parle d'arracher nos plus beaux pieds de vigne, notre baco  celui qui donne un jus doré aux arômes de violette, celui qui fait la gloire de nos vieux armagnacs, ceux que l'on sert dans les restaurants de renom et à Buckingham Palace !  C'est affreux ! je n'en dors plus !

C'est horrible en effet ! opina la fée Mouton- Rothschild mais faites moi confiance : je vais envoyer un rêve prémonitoire à la baronne et elle vous tirera de ce mauvais pas. D'un seul frémissement de l'aigrette en diamants qui orne son turban, elle fait bouger le monde de la finance qui régit tous les vins. Et si cela ne suffit pas, ajouta un lutin qui en l'occurrence jouait le rôle de coryphée, nous nous cacherons dans les fourrés qui ombragent les vignes et nous bombarderons les vandales de boules de gui à l'aide de nos sarbacanes.

Oui ! s'esclaffa un jeune lutin, ils croiront à la grêle et s'enfuiront au plus vite pour activer leurs canons mais nous ne leur laisserons pas de répit.

Bravo ! crièrent tous les lutins en un chœur parfait et ils se mirent à exécuter des cabrioles en poussant des cris guerriers. Craignant que la fête ne fût gâchée par cette effervescence, la fée Saint-Emilion, responsable du protocole, mit un terme à ce tohu - bohu bon enfant d'un petit coup de baguette.

Les lutins firent amende honorable en apportant la pièce montée de choux caramélisés sur lit de crème fouettée aromatisée à l'angélique des prés.

La fée Armagnac céda aux instances de toutes ces dames en acceptant de participer au divertissement gourmand. Des soupirs s'échappaient cependant de ses lèvres bleutées.

Quelle triste époque ! relança la fée Pécharmant. Nos vins de Bergerac si réputés que l'on transportait autrefois par gabarres bien achalandées, connaissent une mévente inouïe.

Nous nous inquiétons aussi ajouta la fée du Médoc. Les négociants du Nouveau Monde boudent nos vins. Puissent-ils ne pas devenir aussi rares que les vins de Falerne tant chantés par les poètes latins !

Notre patron Michel de Montaigne doit certainement s'agiter dans sa tour de nuages enchaîna la fée Montaigne. De son vivant, il déplorait « tant de villes rasées pour de l'or et du poivre ! » De nos jours, c'est d'or noir qu'il s'agit ; les hommes ne sont guère plus raisonnables !

Allons mes sœurs ! un peu de gaieté ! coupa la fée Banyuls, je vous rappelle que l'ordre du jour est l'organisation de l'Escoube Sou.

Comment pourrions-nous songer à nous divertir ? s'écrièrent plusieurs fées dans un ensemble si parfait qu'elles ne purent s'empêcher de sourire. On veut notre mort ! Aux armes, mes sœurs !

Plus de choses futiles ! Oublions les robes de soie et les délicieux goûters !

Raisonnons plutôt ! suggéra la fée Pacherenc habituée aux situations difficiles. Pourquoi n'inviterions-nous pas nos sœurs de Californie ? Si nous les gagnons à notre cause, elles nous sauveront une fois encore ; jadis, elles nous ont aidées à terrasser le mildiou. Aujourd'hui il s'agit de pourfendre l'armure de la mésentente et de faire renaître le commerce fleurissant de notre nectar millénaire.

Mettons toutes les chances de notre côté, susurra la fée Jurançon. Envoyons-leur un carrosse tapissé de violettes confites.

Et surtout, ajouta la fée Madiran, que le plus beau de nos pages leur porte une cassette de rubis et de diamants, les couleurs de nos millésimes.

Croyez-vous que l'appât de l'or ait gagné la féerie Californienne ?  s'inquiéta la petite Côte de Gascogne.

N'en doutez pas un instant sourit la richissime fée des Graves. Mais nous allons tout mettre en œuvre pour que notre banquet des vendanges soit une réussite totale.

Organisez-le en mon fief supplia la fée Armagnac, à Labastide sous les arcades de la place Royale. Un dîner aux chandelles en compagnie du fleuron de nos viticulteurs et des représentants administratifs et associatifs.

Accordé ! dit la fée Saint Emilion, mais je propose qu'une journée d'entente préalable ait lieu au château de Mercuès, dans le Lot rocailleux et chantant aux nuances rubicondes.

Pourquoi ce choix ?

Une fée, dont je respecte l'anonymat, veille nuit et jour sur son filleul qui accomplit en ce château des tâches dignes d'Hercule. Dans cette construction féodale, les chambres et les suites sont fabuleuses. Et le chai  450.000 bouteilles de vin en vieillissement ! Un véritable trésor !

Certes ! dit la fée Pomerol et même si je gage que   quelques-uns de mes vieux millésimes pulvérisent ce record côté réputation mondiale, j'approuve ce choix car je me suis laissé dire que, dans le Nouveau Monde, on aimait beaucoup le gigantisme et les constructions moyenâgeuses.

Ce lieu est donc parfait pour la diplomatie, et il va falloir ruser pour séduire ces dames. Elles sont fières de la réussite de leurs protégés. Mais nous, nous avons la primeur de la tradition et de l'ancrage dans le monde antique rétorqua la fée Sauternes.

Cela me ramène à la triste réalité, mon beau baco menacé de mort sanglota la petite Armagnac. Les mondes anciens sont en train de disparaître !  

Ressaisissez-vous affirma la fée Saint Emilion. L'Escoube Sou sera le point d'orgue de notre action. Et s'il faut recourir à la magie pour sauver vos cépages, nous n'hésiterons pas une seconde. Labastide d'Armagnac sera notre fief et nous rendrons la raison à ces pilleurs de vigne.

Puissiez-vous triompher ! murmura la fée Armagnac.

Les lutins, pour conclure dignement ce banquet si particulier, apportèrent prestement des granités à l'armagnac qui mirent du rose aux joues de toutes ces dames.

La fée Dragée ordonna que l'on jette un peu de poudre d'or sur les convives.

L'effet le plus spectaculaire fut réservé à la pauvre Armagnac.

Telle une nouvelle héroïne de contes, elle renaquit de ses cendres et apparut dans toute sa beauté. La robe couleur du temps de Peau d'Ane drapait ses épaules brunes ; ses pieds, jadis couverts d'ecchymoses, devinrent lisses et chaussèrent d'adorables pantoufles de verre.

Ne me donnez surtout pas un prince ! souligna-t-elle malicieusement. Il voudrait s'emparer de mon domaine ; or je veux en rester l'unique maîtresse !

Un triple hurrah pour notre belle Armagnac ! crièrent les lutins et ils s'ingénièrent à faire rire toutes les fées pour les aider à oublier que leur domaine était soumis à tant d'aléas que les hommes le leur avaient définitivement légué.

lundi 15 septembre 2025

Bal masqué

 

 


Garance, en costume de Colombine, perles, dentelles et ballerines derrière son masque de tulle, d’écailles et d’ivoire, entre dans la salle de bal et découvre un univers fantastique, plein de fantaisie et de mystère.

Un hussard de belle prestance avec un loup romantique décoré de livres miniatures, s’inclina devant elle et l’enlaça illico.

Ils attaquèrent une polka puis enchaînèrent avec une valse, un tango et un charleston.

Garance souhaita prendre un peu de repos et le hussard qui se prénommait Louis la guida galamment près du buffet et lui apporta des rafraîchissements et de petites brioches dorées puis il s’éclipsa et disparut dans la foule de danseurs qui se livraient à des arabesques sur des valses de Strauss.

Une petite fille, apparemment égarée dans ce bal, déguisée en poupée style Shirley Temple, portant joliment un masque de chat, lui prit la main et se mit à chanter une comptine.

Garance prit un bel assortiment de mignardises et une boisson aromatisée au cacao et apporta le tout à la petite fille qui battit des mains à la vue du plateau gourmand et se mit en devoir de faire disparaître ce délicieux en-cas.

A peine venait-elle de terminer que sa mère se souvint tout à coup de son existence et vint la chercher pour la ramener à la maison sous la surveillance de sa nourrice.

Séparée de sa charmante petite fée, Garance commençait à s’ennuyer quand un beau prince aux longs cheveux bouclés tombant sur un col de dentelle vint l’inviter à danser une mazurka.

La jeune fille éprouva un immense plaisir à s’abandonner dans les bras du prince au rythme de la mazurka.

La danse terminée, le prince Aymeric l’emmena dans les jardins proches de la salle de danse.

Ils prirent place sur un banc près d’une fontaine et enlevèrent leur masque en même temps.

Chacun d’eux fut ravi de découvrir le visage de l’autre.

Ils étaient faits pour s’accorder apparemment et formaient un couple parfait.

Aymeric raccompagna Garance à son domicile car les rues n’étaient pas sûres la nuit et ils se donnèrent rendez-vous pour le lendemain.

Mais ce ne fut pas Aymeric qui se présenta le lendemain mais le beau hussard Louis qui ne l’avait pas quittée des yeux durant toute la soirée.

Garance lui proposa des galettes et des crêpes et tous deux se régalèrent en buvant du cidre.

Louis l’embrassa avec délicatesse avant de la quitter et il proposa d’envoyer une voiture attelée pour l’emmener dans son château, les jours prochains.

Déçue de ne pas avoir revu son beau prince, Garance se réconforta néanmoins car Louis ne manquait pas de charme.

Sa présence était rassurante. La manière dont il faisait sonner ses éperons révélait un pan de sa personnalité, déterminée et active.

Garance mit les jours suivants à profit pour créer une toilette digne de sa réception dans un château.

Lorsque le cocher ouvrit la porte , elle reconnut avec surprise le prince du bal.

«  Messire Louis m’a demandé de m’effacer, belle Garance et je lui ai obéi sans difficulté. Au bal masqué, on pouvait rêver, on se croit prince mais le lendemain, on se retrouve cocher. »

Garance lui sut gré de ces sages paroles, elle revêtit sa toilette de future châtelaine et partit sans regrets.

Louis l’accueillit en son château et après lui avoir fait jurer de ne plus jamais se rendre à un bal masqué, il lui fit sa demande en mariage avec solennité et l’emmena visiter le domaine qui lui appartiendrait dorénavant.

 

Les compagnons de la pluie

 

 


Ils sont venus de partout, à la recherche de la perle rare en forme de goutte de pluie, irisée et limpide, les compagnons, arborant une larme de cristal sur leur écu et ils ont chevauché à vive allure, s’arrêtant parfois chez des villageois ou des châtelains, reprenant la route à l’aube pour obtenir le graal des chevaliers nordistes.

Les compagnons de la pluie, groupés et unis ont parcouru mille lieues et ils sont enfin arrivés dans une forêt profonde, sauvage où, selon les conteurs, les sages et les géographes, ils étaient assurés de trouver la perle de pluie.

Pour s’être attardé au bord du ruisselet afin d’y faire boire son cheval, Aymeri des Embruns, chevalier du Hainaut, s’est trouvé isolé et la nuit venue, il a eu le bonheur de découvrir sur son chemin un ermitage déserté. Il s’y installa, décidé à retrouver ses compagnons le lendemain.

Il eut la bonne fortune de découvrir des aliments, du fromage et du pain, de la charcuterie artisanale et un pichet de bon vin ambré.

Rassasié, il s’allongea  sur la couche de paille  après avoir bouchonné son cheval Boréal.

Il rêva qu’une fée s’approchait de lui pour tracer sur son front une croix d’argent, destinée à le protéger des projectiles ennemis qui pouvaient l’atteindre en chemin.

Au réveil, il fut sensible à une bonne odeur de café chaud et de brioche. L’hôte des lieux, un ermite à la barbe impressionnante lui souriait, le servant avec célérité.

Il était parti à la recherche d’aliments frais lui dit-il en guise d’explication et il était heureux d’avoir pu rendre service à son prochain.

Il s’était occupé du cheval.

Bertrand de Solesmes, l’ermite content d’avoir auprès de lui quelqu’un qui élargissait son horizon, proposa à son hôte de passer quelques jours en sa compagnie.

«  Votre quête de la perle de pluie se terminera tôt ou tard dans quelques mois car je n’ai jamais entendu parler de cette merveille ajouta-t-il ».

Quoique séduit par la proposition amicale car la clairière où se situait l’ermitage était lumineuse et accueillante, Aymeri des Embruns déclina l’offre, déposa quelques louis d’or dans un ciboire à l’insu de cet hôte généreux et reprit sa route, espérant retrouver ses compagnons.

Il finit par les rejoindre aux abords d’un château aux murailles crénelées et aux tours majestueuses.

Personne ne leur ayant ouvert la lourde porte de chêne de l’entrée, ils avaient campé près des douves, s’abritant dans le cercle constitué par leurs destriers.

Irrités de ne pas avoir été accueillis  selon les lois hospitalières traditionnelles, les chevaliers retrouvèrent le sourire lorsque, après avoir chevauché durant quelques lieues, ils virent une table dressée en leur honneur à l’entrée d’un village.

On leur servit d’excellents plats de viande et de poisson, des légumes savoureux qui avaient mijoté dans la crémaillère, des petits pains au raisin et des gâteaux moulés en cassolettes sucrées au miel de lavande et de violettes parachevant le tout.

Des hanaps de cervoise et de vin aromatisé aux fleurs circulèrent à la ronde et une cohorte de jeunes gens servit et débarrassa prestement la table, ouvrant le village et proposant un temps de repos avant qu’ils ne reprennent la route.

Quelques chevaliers se laissèrent tenter mais le plus grand nombre remercia, paya son écot et partit non sans avoir demandé si quelqu’un savait où l’on pouvait trouver la lumineuse larme de pluie.

Aymeri des Embruns faisait partie de ce groupe pressé d’aller de l’avant.

Ils galopèrent toute la journée, interrogeant çà et là les personnes de rencontre au détour du chemin sur le fabuleux graal dont ils rêvaient.

Les compagnons durent cependant faire face à une embuscade à un moment où ils s’y attendaient le moins.

Alors qu’ils devisaient, s’interrogeant sur le haut lieu qui contenait l’objet sacré qui les rendrait maîtres de la pluie, grande ordonnatrice des cultures vivrières et des sources de vie, ils reçurent une volée de flèches venues de nulle part.

Bon nombre de compagnons tombèrent de cheval, morts, blessés, avec plus ou moins de gravité.

Aymeri reçut une flèche en plein front, à l’endroit précis où la fée de son rêve avait tracé une croix et c’est de cette manière qu’il fut épargné.

Après avoir enseveli leurs morts et pansé les blessés, les compagnons reprirent leur chemin, restant sur leurs gardes et envoyant une escorte à l’avant, éclaireurs destinés à leur ouvrir une route sécurisée.

Ils n’attendirent pas la tombée de la nuit pour jeter leur dévolu sur un gîte digne de leur rang.

Ils se répartirent quelques castelets et demandèrent l’hospitalité, moyennant de belles pièces d’or.

Aymeri activa le heurtoir d’un monastère et fut reçu par une confrérie de moines qui tiraient bénéfice de leurs productions, salaisons diverses, compotes et confitures des fruits du verger ou bon fromage en provenance de la laiterie jouxtant une étable où de belles vaches laitières étaient soignées.

Un vin de qualité provenait d’un vignoble entretenu par des moines viticulteurs sensibles à la culture Rabelaisienne magnifiant tous les produits de la terre pour y découvrir un sens universel.

Aymeri se régala de tout ce qui lui fut servi puis il se retira dans sa cellule, heureux d’y trouver la paix.

La même fée lui apparut dans un songe. Elle lui désignait une chapelle. Une niche en encorbellement contenait une statue représentant la Vierge Marie.

Vêtue de bleu et souriante, elle berçait un bel enfant qui tenait dans ses menottes une boule lumineuse.

A l’intérieur de la bulle, on distinguait clairement la fameuse larme de pluie tant désirée.

Au réveil, Aymeri dessina de mémoire la chapelle qui lui avait été dévoilée dans un songe et interrogea les moines en leur présentant les dessins.

Ces derniers reconnurent l’édifice sans hésiter et tandis qu’ Aymeri prenait des forces en buvant un grand bol de chicorée au lait et en mangeant de belles tartines beurrées et agrémentées de confiture, un moine dessinateur établit un itinéraire détaillé, destiné à conduire le chevalier à son but.

Cette larme, lui expliqua-t-on , doit protéger un territoire, lui évitant diverses calamités naturelles.

« Encore faut-il l’utiliser à bon escient ! » ajouta le père fondateur du monastère.

Après avoir remercié les bons pères de leur accueil si chaleureux et leur avoir remis d’autorité quelques louis d’or destinés à des achats judicieux, Aymeri reprit la route. Avant de partir, il assura à ses hôtes qu’il ne s’emparerait pas de la larme de pluie, si précieuse puisqu’elle était gardée par le divin enfant.

En suivant scrupuleusement l’itinéraire qui lui avait été confié, il arriva à la chapelle, découvrit la statue de la Vierge dans sa niche en encorbellement et contempla le graal nordique avec émotion.

Il sortit un carnet d’esquisses et dessina la chapelle sous tous ses angles, la niche, la statue, l’enfant divin et bien entendu, la larme sacrée.

Après des heures de travail, il posa crayons et esquisses et se mit en devoir de trouver un gîte pour la nuit.

Une chaumière lui parut accueillante. Il demanda donc l’autorisation de manger et dormir moyennant rétribution à la dame des lieux, une jolie hôtesse fraîche comme l’églantine des bois.

Elle lui servit un grand bol de soupe, si savoureuse qu’il en redemanda, se régalant ensuite d’une saucisse fumée, cuite sur l’âtre et accompagnée de champignons des bois.

Une tarte aux myrtilles lui rappela celle que lui servait sa mère lorsqu’il était enfant et il écrasa une larme à son souvenir.

Avec stupéfaction, il vit cette larme se cristalliser et devenir le pendant de celle qu’il avait vue dans la boule de cristal du divin enfant.

Il plaça cet objet magnifique dans une bourse en velours que lui avait brodée sa mère et où il rangeait ses objets précieux, sa croix de chevalier entre autres.

Il passa une excellente nuit, remercia chaleureusement son hôtesse, mangea de bon appétit œufs à la coque, pain , fromage, confiture et il but un grand bol de lait chaud au miel.

Après lui avoir donné pour  sa peine de beaux louis d’or, il partit, heureux d’avoir trouvé le graal nordique que ses compagnons étaient allés chercher, avec toute la foi dont ils étaient capables.

De retour dans son château, il enferma soigneusement dans un coffret qu’il fit sceller, les esquisses qu’il avait réalisées de la chapelle, de la statue et de de l’objet sacré ainsi que le plan des lieux qui menaient du monastère au but sacré destiné à ne pas être divulgué.

Il fit savoir, à la ronde, qu’il avait trouvé la larme de pluie et il la fit enchâsser dans un reliquaire en or massif incrusté de pierreries.

A ceux qui lui demandaient comment il l’avait trouvée, il répondait : «  Interrogez les tourterelles des bois et elles vous le diront ! ».