Ils sont venus de partout, à la recherche de la perle rare
en forme de goutte de pluie, irisée et limpide, les compagnons, arborant une
larme de cristal sur leur écu et ils ont chevauché à vive allure, s’arrêtant
parfois chez des villageois ou des châtelains, reprenant la route à l’aube pour
obtenir le graal des chevaliers nordistes.
Les compagnons de la pluie, groupés et unis ont parcouru
mille lieues et ils sont enfin arrivés dans une forêt profonde, sauvage où,
selon les conteurs, les sages et les géographes, ils étaient assurés de trouver
la perle de pluie.
Pour s’être attardé au bord du ruisselet afin d’y faire
boire son cheval, Aymeri des Embruns, chevalier du Hainaut, s’est trouvé isolé
et la nuit venue, il a eu le bonheur de découvrir sur son chemin un ermitage
déserté. Il s’y installa, décidé à retrouver ses compagnons le lendemain.
Il eut la bonne fortune de découvrir des aliments, du
fromage et du pain, de la charcuterie artisanale et un pichet de bon vin ambré.
Rassasié, il s’allongea
sur la couche de paille après
avoir bouchonné son cheval Boréal.
Il rêva qu’une fée s’approchait de lui pour tracer sur son
front une croix d’argent, destinée à le protéger des projectiles ennemis qui
pouvaient l’atteindre en chemin.
Au réveil, il fut sensible à une bonne odeur de café chaud
et de brioche. L’hôte des lieux, un ermite à la barbe impressionnante lui
souriait, le servant avec célérité.
Il était parti à la recherche d’aliments frais lui dit-il en
guise d’explication et il était heureux d’avoir pu rendre service à son
prochain.
Il s’était occupé du cheval.
Bertrand de Solesmes, l’ermite content d’avoir auprès de lui
quelqu’un qui élargissait son horizon, proposa à son hôte de passer quelques
jours en sa compagnie.
« Votre quête de la perle de pluie se terminera tôt ou
tard dans quelques mois car je n’ai jamais entendu parler de cette merveille
ajouta-t-il ».
Quoique séduit par la proposition amicale car la clairière
où se situait l’ermitage était lumineuse et accueillante, Aymeri des Embruns
déclina l’offre, déposa quelques louis d’or dans un ciboire à l’insu de cet
hôte généreux et reprit sa route, espérant retrouver ses compagnons.
Il finit par les rejoindre aux abords d’un château aux
murailles crénelées et aux tours majestueuses.
Personne ne leur ayant ouvert la lourde porte de chêne de
l’entrée, ils avaient campé près des douves, s’abritant dans le cercle
constitué par leurs destriers.
Irrités de ne pas avoir été accueillis selon les lois hospitalières traditionnelles,
les chevaliers retrouvèrent le sourire lorsque, après avoir chevauché durant
quelques lieues, ils virent une table dressée en leur honneur à l’entrée d’un
village.
On leur servit d’excellents plats de viande et de poisson,
des légumes savoureux qui avaient mijoté dans la crémaillère, des petits pains
au raisin et des gâteaux moulés en cassolettes sucrées au miel de lavande et de
violettes parachevant le tout.
Des hanaps de cervoise et de vin aromatisé aux fleurs
circulèrent à la ronde et une cohorte de jeunes gens servit et débarrassa
prestement la table, ouvrant le village et proposant un temps de repos avant
qu’ils ne reprennent la route.
Quelques chevaliers se laissèrent tenter mais le plus grand
nombre remercia, paya son écot et partit non sans avoir demandé si quelqu’un
savait où l’on pouvait trouver la lumineuse larme de pluie.
Aymeri des Embruns faisait partie de ce groupe pressé
d’aller de l’avant.
Ils galopèrent toute la journée, interrogeant çà et là les
personnes de rencontre au détour du chemin sur le fabuleux graal dont ils
rêvaient.
Les compagnons durent cependant faire face à une embuscade à
un moment où ils s’y attendaient le moins.
Alors qu’ils devisaient, s’interrogeant sur le haut lieu qui
contenait l’objet sacré qui les rendrait maîtres de la pluie, grande
ordonnatrice des cultures vivrières et des sources de vie, ils reçurent une
volée de flèches venues de nulle part.
Bon nombre de compagnons tombèrent de cheval, morts,
blessés, avec plus ou moins de gravité.
Aymeri reçut une flèche en plein front, à l’endroit précis
où la fée de son rêve avait tracé une croix et c’est de cette manière qu’il fut
épargné.
Après avoir enseveli leurs morts et pansé les blessés, les
compagnons reprirent leur chemin, restant sur leurs gardes et envoyant une
escorte à l’avant, éclaireurs destinés à leur ouvrir une route sécurisée.
Ils n’attendirent pas la tombée de la nuit pour jeter leur
dévolu sur un gîte digne de leur rang.
Ils se répartirent quelques castelets et demandèrent
l’hospitalité, moyennant de belles pièces d’or.
Aymeri activa le heurtoir d’un monastère et fut reçu par une
confrérie de moines qui tiraient bénéfice de leurs productions, salaisons
diverses, compotes et confitures des fruits du verger ou bon fromage en
provenance de la laiterie jouxtant une étable où de belles vaches laitières
étaient soignées.
Un vin de qualité provenait d’un vignoble entretenu par des
moines viticulteurs sensibles à la culture Rabelaisienne magnifiant tous les
produits de la terre pour y découvrir un sens universel.
Aymeri se régala de tout ce qui lui fut servi puis il se
retira dans sa cellule, heureux d’y trouver la paix.
La même fée lui apparut dans un songe. Elle lui désignait
une chapelle. Une niche en encorbellement contenait une statue représentant la
Vierge Marie.
Vêtue de bleu et souriante, elle berçait un bel enfant qui
tenait dans ses menottes une boule lumineuse.
A l’intérieur de la bulle, on distinguait clairement la
fameuse larme de pluie tant désirée.
Au réveil, Aymeri dessina de mémoire la chapelle qui lui
avait été dévoilée dans un songe et interrogea les moines en leur présentant
les dessins.
Ces derniers reconnurent l’édifice sans hésiter et tandis
qu’ Aymeri prenait des forces en buvant un grand bol de chicorée au lait et en
mangeant de belles tartines beurrées et agrémentées de confiture, un moine
dessinateur établit un itinéraire détaillé, destiné à conduire le chevalier à
son but.
Cette larme, lui expliqua-t-on , doit protéger un
territoire, lui évitant diverses calamités naturelles.
« Encore faut-il l’utiliser à bon escient ! »
ajouta le père fondateur du monastère.
Après avoir remercié les bons pères de leur accueil si
chaleureux et leur avoir remis d’autorité quelques louis d’or destinés à des
achats judicieux, Aymeri reprit la route. Avant de partir, il assura à ses
hôtes qu’il ne s’emparerait pas de la larme de pluie, si précieuse puisqu’elle
était gardée par le divin enfant.
En suivant scrupuleusement l’itinéraire qui lui avait été
confié, il arriva à la chapelle, découvrit la statue de la Vierge dans sa niche
en encorbellement et contempla le graal nordique avec émotion.
Il sortit un carnet d’esquisses et dessina la chapelle sous
tous ses angles, la niche, la statue, l’enfant divin et bien entendu, la larme
sacrée.
Après des heures de travail, il posa crayons et esquisses et
se mit en devoir de trouver un gîte pour la nuit.
Une chaumière lui parut accueillante. Il demanda donc
l’autorisation de manger et dormir moyennant rétribution à la dame des lieux,
une jolie hôtesse fraîche comme l’églantine des bois.
Elle lui servit un grand bol de soupe, si savoureuse qu’il
en redemanda, se régalant ensuite d’une saucisse fumée, cuite sur l’âtre et
accompagnée de champignons des bois.
Une tarte aux myrtilles lui rappela celle que lui servait sa
mère lorsqu’il était enfant et il écrasa une larme à son souvenir.
Avec stupéfaction, il vit cette larme se cristalliser et
devenir le pendant de celle qu’il avait vue dans la boule de cristal du divin
enfant.
Il plaça cet objet magnifique dans une bourse en velours que
lui avait brodée sa mère et où il rangeait ses objets précieux, sa croix de
chevalier entre autres.
Il passa une excellente nuit, remercia chaleureusement son
hôtesse, mangea de bon appétit œufs à la coque, pain , fromage, confiture et il
but un grand bol de lait chaud au miel.
Après lui avoir donné pour
sa peine de beaux louis d’or, il partit, heureux d’avoir trouvé le graal
nordique que ses compagnons étaient allés chercher, avec toute la foi dont ils
étaient capables.
De retour dans son château, il enferma soigneusement dans un
coffret qu’il fit sceller, les esquisses qu’il avait réalisées de la chapelle,
de la statue et de de l’objet sacré ainsi que le plan des lieux qui menaient du
monastère au but sacré destiné à ne pas être divulgué.
Il fit savoir, à la ronde, qu’il avait trouvé la larme de
pluie et il la fit enchâsser dans un reliquaire en or massif incrusté de
pierreries.
A ceux qui lui demandaient comment il l’avait trouvée, il
répondait : « Interrogez les tourterelles des bois et elles vous le
diront ! ».