samedi 6 décembre 2025

Ginette Super Star

 

 

 


L’épreuve du Bac Blanc terminée, les amis de Watteau éprouvèrent le besoin de trouver un nouveau souffle.

La solution miracle s’avéra être la venue au lycée de Ginette Kolinka, rescapée du camp de concentration et d’extermination d’ Auschwitz-Birkenau.

Cette femme énergique, au parler franc, avait à cœur de témoigner de l’absurdité et des atrocités de guerres menées au nom d’une idéologie meurtrière et totale.

Mamie se félicita de l’engouement qui s’ensuivit après la conférence-dialogue d’un témoin si attachant.

«  Tout ce que je pourrai dire sera vain car je ne porte pas sur ma chair les errements d’une période tragique. Comme tous les déportés, Ginette porte toujours le numéro qui avait rayé son identité jugée ignoble tatoué sur le bras. Simone Veil, rescapée du même camp, portait toujours des hauts à manches longues pour ne pas révéler la marque d’infamie. Un jour, un coup de vent dévoila son bras et un collègue lui dit avec désinvolture : Vous craignez d’oublier le numéro de votre casier ? Innocente ou volontaire, cette remarque blessa la grande dame qui préféra garder le silence.

N'oublions pas les erreurs commises et veillons ardemment à ce qu’elles ne se renouvellent pas » !

Ce prologue achevé, Mamie Marguerite se concentra pour aborder un thème et tout naturellement, elle proposa une réflexion autour du mot guerre.

«  Chers lycéens, avant de développer un propos, je vous suggère de relire les pages édifiantes de Voltaire, l’article Guerre de son Dictionnaire Philosophique et son conte philosophique Candide.

Dans ce conte, il y a une présentation édifiante de ce fléau : deux armées dites ennemies s’apprêtent à s’affronter et avant que le signal du combat ne soit donné, des prêtres invoquent le nom de Dieu et font retentir un Te Deum martial sans relever le moins du monde que la divinité ne se partage pas et qu’elle ne peut pas être d’un côté et de l’autre, à l’opposé,  en même temps.

Grâce à cet exemple, on voit que la raison est bannie de tout justificatif logique de cette trouée humaine.

Aujourd’hui, les tambours de guerre retentissent tandis que de beaux esprits qui ont passé l’âge de guerroyer galvanisent les populations en se référant à Dieu, à la justice immanente en s’appuyant sur des adages romains tels que Si tu veux la paix, prépare la guerre ou encore en rappelant une triste évidence : la guerre est meurtrière et il faut se préparer au deuil de ses enfants.

Tout le monde oublie que la guerre ne fait pas partie de la panoplie ordinaire du genre humain, le jardin restant la symbolique qui le rattache à Dieu ».

Mamie ferma les yeux et Poucette mit un terme à l’enregistrement, remettant à plus tard la poursuite d’un thème cruel et inflexible.

Pause Tilleul

 




Les jours suivants, Poucette dut renoncer à ses enregistrements, les épreuves du Bac Blanc sonnant le glas de la rêverie.

L’épreuve de Philosophie donna à réfléchir : «  Vous ne voyez que la seule vérité donc vous êtes injuste » ; ce commentaire d’une phrase de Fédor Dostoïevski plongea les lycéens dans une profonde réflexion.

Pendant ce temps, Mamie Marguerite trompait son ennui en enchaînant les tasses de tilleul. Elle eut à cœur de bichonner sa petite fille. Jadis, elle avait cuisiné maint plat de bonne facture, quiche lorraine, champignons à la crème, chou rouge aux lardons fumés à la mode du Nord, paupiettes de veau aux laitues braisées, filet mignon caramélisé, salades composées, tartes au citron, charlotte à la crème de rose, choux en pyramides et mousse au chocolat légère. Aujourd’hui, elle craignait les fourneaux car il lui arrivait d’avoir quelques absences et elle redoutait de commettre une bévue dommageable pour la réussite du plat voire dangereuse : une explosion au gaz pouvait se produire à la suite d’un fâcheux oubli.

Elle s’en remit donc au boucher-charcutier et au boulanger-pâtissier du village pour concocter un menu équilibré et gourmand.

L’intitulé du commentaire philosophique la laissa rêveuse. Elle avait lu tous les romans de Dostoïevski et cette phrase illustrait à merveille le fondement de son œuvre.

Dans Les Frères Karamazov, l’auteur avait réussi une prouesse : écrire deux plaidoiries, l’une pour prouver la culpabilité de Dimitri, l’un des fils du père assassiné et l’autre pour démontrer son innocence ; les plaidoyers étaient si convaincants que le lecteur ignorant le nom du criminel passait alternativement du «  c’est lui » au « il est innocent ».

Mamie s’avoua vaincue par la dialectique du sujet. Sa connaissance de l’auteur l’aurait empêchée d’avoir un point de vue philosophique tel qu’il était requis. Elle misa sur l’exploitation des cours de philosophie de Poucette et ses amis pour mener à bien la réflexion demandée.

Estimant que Poucette avait eu sa dose de réflexion, Mamie parla peu et évoqua les petits plaisirs de la journée, un rouge-gorge picorant sur la pelouse, des ibis en vol et plus prosaïquement elle loua l’excellence des capsules qui l’aidaient à concocter une tisane parfaite sans passer par la gazinière.

On se souhaita une bonne nuit car le lendemain, Poucette devrait se pencher sur l’épreuve de Mathématiques. La clarté du raisonnement serait exigée pour résoudre une énigme chiffrée !

vendredi 5 décembre 2025

La symbolique de l'aigle

 

 


Poucette revint du lycée auréolée du succès obtenu à l’audition de la cassette audio Radio Marguerite. Ses camarades avaient apprécié la phrase du Général : «  Les traités, c’est comme les jeunes filles et les roses, ça dure ce que ça dure » ! Toutefois, de beaux esprits firent remarquer que le général, fidèle à la vision de son âge, faisait porter la flétrissure du temps aux seules jeunes filles ; il aurait pu dire « la jeunesse » plutôt que les jeunes filles, associant ainsi les damoiseaux aux damoiselles : ta grand-mère n’a fait que rapporter un propos, on ne peut donc pas lui en vouloir et on la félicite d’avoir une mémoire qui nous aide à appréhender la compréhension d’un monde révolu.

Ces causeries sont très éloignées des « causeries au coin du feu » conçues par un président qui voulait faire oublier sa particule et son allure de marquis. Pour se montrer populaire, il jouait de l’accordéon et partageait le repas d’une famille sélectionnée par les services de l’Elysée. On peut juste conclure en disant qu’il est bien difficile et illusoire de masquer ses origines dit Laurence, leader incontestée du groupe de réflexion.

Choisis un thème, Mamie, je prépare l’audition dit Poucette et Mamie se prêta au jeu.

«  Que souhaitez-vous transmettre aux jeunes générations ?

Je voudrais avant tout inviter les lycéens d’ Antoine Watteau à se défier des informations tronquées qui deviennent de facto mensongères.

Prenons l’exemple de ce que l’on nomme faits divers et qui sont en fait d’abominables crimes masqués.

Tout le monde a suivi avec angoisse la recherche d’un bambin de quatre ans mystérieusement disparu. Alors que le petit village était bouclé par la gendarmerie pour les besoins de l’enquête, des reporters furent dépêchés sur place. Pour répondre aux impératifs fixés par leur chaîne, les reporters brodaient autour de mille riens pour dire quelque chose. On alla même jusqu’à suggérer qu’un aigle avait pu fondre sur l’enfant et l’emporter dans ses griffes acérées !

La douche fut glacée lorsqu’une joggeuse découvrit le crâne du pauvre enfant !

Je comprends fort bien que la réserve soit de mise pour la bonne tenue d’une enquête mais de grâce, épargnez nous le spectacle désolant d’une enquête autour de l’enquête, transformant nos Sherlock Holmes de service en ridicules agitateurs brassant du vent et colportant des propos oiseux non maîtrisés.

Voilà mon conseil, chers ados : lisez une belle œuvre et coupez court à ces errements médiatiques en ne les suivant pas !

Merci Mamie Marguerite et comme on le disait jadis : à demain si vous le voulez bien » !

Poucette rangea son matériel, mit des valses viennoises sur le phono et Mamie se détendit en savourant un délicieux vol-au-vent de volaille.