Mamie s’éveilla d’excellente humeur car l’élection de Miss France 2026 projetée sur le petit écran lui avait apporté une part de rêve et de poésie.
« La féerie est de mise et chacun se félicite du rêve offert à une jeune fille pour un an, voire davantage car certaines miss ont fait fructifier leur titre et se sont installées dans une profession gratifiante à laquelle elles n’auraient pas eu droit sans leur notoriété » .
Voilà ce qu’elle dit en substance à sa petite fille avant de lui avouer qu’elle avait pris les jolies toilettes en horreur : sa mère lui confectionnait de belles robes en organdi dont le contact lui provoquait d’abominables démangeaisons. De plus, il lui était interdit de jouer pour ne pas se salir ; elle restait statique avec ses magnifiques anglaises façonnées au fer à friser, autre torture !
Par la suite, victime de certains préjugés de son époque, Mamie avait refusé toute allusion à la beauté corporelle. On se voulait pur esprit et l’on sacrifiait sur l’autel de la déesse Raison la moindre pépite enchanteresse.
Lors d’un commentaire de texte dans un cercle privé, Mamie avait été interrompue par un jeune ouvrier marchant sur les traces de Lénine et de Trotski : « tu as dit beau : c’est bourgeois » ! La mort dans l’âme, Mamie avait quitté le groupe de beaux esprits car s’il lui était facile de briser toute évocation de sa prétendue beauté, il ne lui était pas possible de refuser l’attribut de la splendeur à un poème ou à un texte littéraire, voire à toute œuvre, picturale, sculpturale ou musicale.
Ce jour -là, Poucette n’effectua aucun enregistrement car les souvenirs de Mamie étaient personnels et ne pouvaient conduire à une réflexion générale.
Mamie exprima des remords concernant sa conduite envers sa mère dont elle faisait peu de cas dans son adolescence, la jugeant futile et dépourvue de réflexion personnelle.
Elle la revoyait, heureuse d’avoir perçu une petite somme équivalant à une retraite de couturière à domicile pour solde de tout compte :
« Je t’ai retenu un bel ensemble au magasin de La Bouxière ; il t’ira à ravir » !
Elle n’avait pas osé refuser ce cadeau et c’est ainsi que, pour la dernière fois de sa vie, elle fut vêtue avec élégance.
Poucette nota la tristesse dans le regard de Mamie et elle se promit de lui commander le caftan brodé dont elle rêvait en secret.
La journée se poursuivit au fil du rêve et de l’impromptu et l’on se promit de parler plus sérieusement de la beauté qui méritait tout de même mieux que des souvenirs en forme de patchwork.


