samedi 5 juillet 2025

Ville-Fleur

 

 


On m’appelle Dany mais en réalité, je suis le prince Lys d’Alger et je hante les rues de la Casbah. J’admire les étals des marchands mais je n’achète rien parce que mes poches sont vides.

Je rêve d’ailleurs bleus qui n’existent pas et je refais dans ma tête les batailles perdues, serrant les poings de détresse et de colère.

Et puis un jour ma vie a changé quand je l’ai aperçue, dans une librairie, choisissant un livre dont j’étais absent.

Elle était belle comme une fleur des champs égarée dans une ville dont chaque rue était possédée par un dragon.

Alors moi, Lys des champs, ainsi rebaptisé pour lui plaire, je me suis débarrassé de mes rêves de reconquête pour devenir un chantre de l’amour.

J’ai prétendu avoir un rendez-vous galant auprès de mes amis pour qu’ils me prêtent un peu d’argent.

Au lieu d’acheter un costume et des fleurs, j’ai acheté un livre.

Un titre m’a attiré puisqu’il semblait avoir une correspondance avec ma vie, Le Lys dans la Vallée.

J’ai commencé cette lecture et j’ai beaucoup aimé une page où le héros du roman composait une déclaration d’amour en choisissant des fleurs des champs.

J’ai quitté la ville et j’ai cherché un bois où je trouverais ces signaux d’amour.

J’ai réussi à faire un bouquet présentable et je l’ai offert à la belle de mes rêves ; elle m’a souri et m’a dit : «  Balzac » prouvant ainsi qu’elle avait compris le message inclus dans mon bouquet.

Alors nous nous sommes aimés et lorsque je me suis réveillé, il n’y avait plus de ville, seulement un champ de fleurs où désormais ma Lila d’amour et moi-même, Lys du rêve, vivrions en respirant les roses du désir.

La fée des Landes

 

 


Si, d’aventure, vous quittez un chemin pour couper à travers bois dans les landes de Gascogne, vous risquez d’entendre distinctement un bruit de clochettes.

Une cape de laine vous servira d’écran aux attaques des elfes et lorsque vous arriverez dans une clairière, asseyez-vous sur un tronc d’arbre et attendez.

Il n’est pas impossible que vous assistiez à une ronde féerique destinée à faire jaillir les eaux vives d’une source enchantée.

La belle Camélia se trouva dans cette posture. Partie pour vendre ses travaux de broderie à la ville, elle prit un chemin de traverse et se trouva soudain dans un lieu qui lui parut magique.

La lumière, les parfums, l’herbe parsemée de fleurs merveilleuses, les papillons, les coccinelles, les mantes-orchidées formaient un ensemble féerique.

Sensible à tous ces jeux de lumière et heureuse de s’enrichir des parfums associés aux chants d’oiseaux, Camélia fit une halte près d’un ruisseau.

Elle s’assit sur un arbre banc qui semblait avoir été posé là pour inciter à la rêverie et à la création poétique sous toutes ses formes, écrits, peintures, compositions symphoniques ou chansons pastorales.

La jeune fille se contenta d’engranger les sensations, se promettant de les exploiter pour enrichir ses futures broderies.

C’est alors qu’apparut, venu de Venise qui s’enfonçait sous les flots, le prince Alméda, en quête de granit et d’arbres destinés à protéger son palais de la montée irréversible des flots.

En apercevant Camélia, il oublia l’objet de sa quête.

Il lui demanda la permission de s’asseoir à ses côtés, ce qu’elle lui accorda bien volontiers tant il était avenant et conforme à la bienséance.

Tous deux rêvèrent, laissant vagabonder leur imagination dans le palais du rêve.

Ils marchèrent sur les dalles marbrées de rues jalonnées de petits palais emplis de tableaux vénitiens et d’objets en cristal venus de Murano.

Un orchestre invisible entama un grand air de Verdi et des roses magiques surgirent d’un Thabor propice à la méditation.

Enfermés dans une bulle turquoise, les deux amants, obéissant aux injonctions de la fée des landes, unirent leurs destins si différents jusqu’à leur rencontre.

Camélia emporta la féerie des landes de Gascogne à Venise et elle tapissa les murs vierges du palais de son époux de ses broderies aériennes où fleurissaient les orchidées et frémissaient les papillons tandis que les oiseaux se livraient à un opéra si mélodieux qu’il leur naquit un petit Mozart attentif à la splendeur de la terre, de la mer et du ciel réunis sous une arche arc-en-ciel, celle du bonheur !

Fleur de pivoine

 


On l’appelait ainsi, Fleur de pivoine à cause d’un roman de Pearl Buck et c’est vrai qu’elle lui ressemblait, avec son kimono et sa flûte de Pan.

Douce, poétique et rêveuse, Fleur de Pivoine illuminait les tableaux champêtres dans lesquels elle se mouvait, de son pas de ballerine.

Elle respirait ardemment le parfum des fleurs auxquelles on l’associait.

«  Si les fleurs le long des routes se mettaient à marcher c’est à la Margot sans doute qu’elles feraient songer » chantait malicieusement le grand Georges Brassens.

«  Je lui ai dit de la Madone tu es le portrait, le bon Dieu me le pardonne, c’était un peu vrai »

Je n’ai rien à voir avec cette Margot des champs rétorqua Fleur de Pivoine au poète disparu et l’irrévérence ne me convient pas.

Je suis venue au monde pour proclamer son impériale beauté et je me promène dans un espace qui évoque l’universelle harmonie offerte à nos sens pour ceux qui peuvent la décrypter.

«  Qu’il me le pardonne ou non d’ailleurs je m’en fous, j’ai déjà mon âme en peine je suis un voyou ».

Le grand Brassens finissait sur une pirouette, décidé, malgré son immense culture, à rester dans la zone des laissés pour compte.

Fleur de Pivoine, sûre de son charme, de son atout beauté et de son talent de musicienne à la flûte de Pan, sourit, certaine de vaincre et elle avança d’un pas royal, dans le royaume des fleurs dont elle était la souveraine !