Heureux à la perspective d’enchanter Rozenn grâce aux solos
réservés au violon dans sa symphonie La Chanson de Rozenn, Fidélio dévalait la
pente du Val-sans-Retour pour activer le heurtoir de la porte gravée dans sa
mémoire.
Cependant, rien ne se passa comme il l’avait souhaité.
La porte s’ouvrit pour laisser entrevoir un couple d’un
certain âge. Le violoniste demanda à parler à Rozenn d’une voix blanche.
L’épouse lui répondit qu’ils ne l’avaient pas connue et qu’ils avaient acheté
cette maison pour connaître de beaux jours lors de leur retraite.
Au comble de l’étonnement, Fidélio se rendit au bar du
village mais là encore, il se heurta à un changement inédit.
Ce n’était plus le même propriétaire, on ne servait plus de
plats savoureux. Le patron se contentait de proposer des boissons
traditionnelles, bière, limonade et café.
Célestin, le propriétaire de l’estaminet prit en
considération l’accablement de son client et lui offrit une liqueur de la
région, le Bouchinot aux essences de plantes et au caramel. Ce breuvage
apportait du réconfort aux âmes esseulées disait-on.
Célestin respecta le silence du jeune homme et lui souhaita
une bonne journée.
En quittant le bar, Fidélio aperçut son reflet dans un miroir
et ne se reconnut pas. Il semblait avoir dix ans de plus que la veille, une
énorme ride barrait son front et sa silhouette svelte s’était étoffée, lui
donnant l’allure d’un visiteur commercial.
Du reste, son violon avait disparu et son élégant bagage
s’était mué en un sac de toile grossière.
On m’avait bien recommandé de ne pas m’aventurer dans le
Val-sans-Retour pensa-t-il amèrement ; les fées semblent s’être joué de
moi.
Il me faut trouver l’antidote à cet envoûtement.
Il marcha au hasard dans les rues de Tréhorenteuc mais ne vit
personne à qui il puisse se confier.
Un autocar était prêt à quitter le village. Fidélio prit un
billet pour une destination lointaine.
Il s’endormit et rêva qu’il était poursuivi par un dragon qui
tentait de l’encercler. Il croyait sentir des langues de feu sur son cou.
Lorsqu’il se réveilla, ce fut pour s’entendre dire qu’il
était arrivé à destination.
La nuit et le brouillard l’empêchaient de voir distinctement
les lieux qui lui rendraient peut-être son apparence première.
Le bruit de ses pas sur les pavés résonnait à la manière d’un
tambour de guerre.
Il finit par distinguer une lueur dans le lointain. Il se
dirigea vers ce qui serait éventuellement un refuge.
Lorsqu’il mania le heurtoir, ce fut avec une certaine
appréhension.
La porte s’ouvrit et le sourire de Rozenn lui apparut.
« Vous en avez mis du temps pour me
revenir » ! dit-elle.
Le sortilège était manifestement brisé car le violon
réapparut dans son étui élégant.
Retrouvant sa jeunesse et son charme, Fidélio irradiait de
bonheur.
Il baisa la main de sa dame de cœur et se retrouva en sa
compagnie dans la jolie maison de leur rencontre.
Par enchantement, il était revenu à son point de départ.
Tréhorenteuc et sa belle lui étaient rendus.
Rozenn lui servit un repas dont elle avait le secret, timbale
de riz aux fruits de mer, tourte de poulet, sorbet à la groseille.
Elle le servit prestement puis le conduisit ensuite dans une
chambre d’ami confortable et chaleureuse.
Fidélio se glissa dans les draps dont il apprécia le parfum
et dormit comme un ange jusqu’au lendemain.
« Vous avez tout simplement été ensorcelé par la fée
Morgane lui dit Rozenn en lui servant le café. Elle aime jouer des tours aux
hommes qui lui plaisent. Votre cœur pur vous aura sauvé car elle aurait pu vous
garder des années en vous coupant du monde ».
Fidélio saisit alors son archet et se mit à jouer un air si
beau que les larmes jaillirent des yeux émeraude de Rozenn. Elle se jura de ne
pas avoir d’autre homme à ses côtés.
Fidélio était un magnifique compositeur et un interprète de
talent. De plus, il était sorti vainqueur des brumes et des sorts jetés par une
fée toujours redoutable. Elle prétendait être la maîtresse du Val-sans-Retour
et un violoniste avait déjoué ses plans maléfiques pour devenir l’époux de la
reine du village, toujours courtisée sans jamais prendre la main d’un amoureux.
Cette fois ,Rozenn aux yeux de mer avait trouvé l’être idéal
qui serait son compagnon à l’orée des landes désormais maîtrisées !