Nanti de la parfaite panoplie du romancier prêt à croquer sur
le vif boulevards pittoresques et personnages singuliers, à savoir une sacoche
contenant un cahier, un carnet, un carton à dessin, des crayons, des stylos,
des feutres, Philippe de Cassel marchait dans les avenues parisiennes comme le
loup cherchant sa proie.
Notant mentalement atmosphères et détails architecturaux,
martelant le rythme des mots qui affleuraient à son esprit, Philippe sentait
son cœur battre tandis qu’une musique s’installait en lui à la manière d’une
douce symphonie.
Une brasserie avenante s’offrit à son regard au douzième coup
de midi. Il s’installa à une table dotée d’un vis-à-vis, commanda un plat
typique de cet établissement citadin , une andouillette et son accompagnement
de légumes. Quelques profiteroles au dessert lui donnèrent l’envie de prendre
quelques notes pour fixer la matière descriptive qu’il avait engrangée en
chemin.
Un léger vin rosé avait dopé son imaginaire et il se mit à écrire
frénétiquement, surpris de voir les mots prendre place avec facilité et
justesse.
Un café et un verre de rhum dynamisèrent le tempo du
romancier débutant. Cherchant fébrilement le nœud gordien d’une intrigue à la
Simenon ou à la Agatha Christie, ses modèles, il fut tiré de cette frénésie d’écriture
par le serveur qui, en rôdant autour de sa table, tâchait de lui faire
comprendre que le temps de la restauration était achevé.
« Vous devriez aller au café de Flore, Monsieur, si vous
voulez écrire tranquillement : là-bas, on soigne les écrivains » lui
recommanda Julien, le serveur de son secteur. Il empocha le pourboire avec le
sourire car Philippe n’avait pas lésiné sur la somme.
Respectueux du savoir vivre instauré entre personnel et
client, Philippe rangea son cahier et ses crayons et partit d’un bon pas vers
un endroit où il pourrait poursuivre ses travaux d’écriture.
C’est alors que surgit un Pick Pocket enfant qui tenta d’arracher
sa précieuse sacoche.
Philippe avait eu l’habitude des combats de rue dans son
enfance et , sa haute taille aidant, il prit l’avantage sur l’apprenti voleur.
Ce Gavroche des temps modernes se tordait comme une anguille mais Philippe lui
immobilisa les poignets et le contraignit à le regarder en face.
« Comment t’appelles-tu » ? demanda-t-il à
cet enfant vêtu de noir, au regard fuyant.
« Gavroche » répondit-il avec insolence, tentant à
nouveau de s’échapper.
La vue d’un policier qui venait à leur rencontre le doucha
sérieusement et il préféra endosser le rôle du jeune garçon qui chahute avec
son père.
En remerciement de la non-dénonciation de l’agressé, il
accepta de marcher aux côtés de Philippe sans que ce dernier n’ait à le
retenir.
D’un commun accord, ils s’attablèrent dans un salon de thé et
Philippe, bon prince, commanda une glace qui avait sa préférence, une Dame
Blanche. Tous deux savourèrent cette gourmandise qui les plongea dans une sorte
d’extase.
Il pourra me dire ensuite pourquoi il a choisi de vivre
dangereusement se dit Philippe, oubliant roman et rythmes musicaux.
Il se sentait ému par ce jeune garçon des rues qui
ressemblait de plus en plus à ce jeune héros des Misérables : c’était à n’en
pas douter, un signe du destin que de l’avoir mis sur sa route !