
« Il ne lui manque que la chemise rose » disait
abruptement Gilberte à son amie Olympe en désignant le mari de cette dernière,
Alexandre qui avait, il est vrai, emprunté bien des travers au personnage
central du film Alexandre le bienheureux : le travail, très peu pour lui
et il comptait bien épingler chaque bonheur du jour à son tableau de chasse
narcissique et dénué de morale.
Olympe revit en un éclair la scène qui l’avait conduite à cet
absurde mariage voué à l’échec.
Le lieu de la rencontre était un grand café de la ville de
Valenciennes, intitulé pompeusement Café de Paris où l’on mangeait d’excellents
croque-monsieur à l’étage où elle aimait se détendre après sa journée de
travail.
En ce temps-là, elle était accompagnée par deux amis ;
l’un était un conteur poète et il adorait jouer les mentors à son égard et ne
cessait de parler de mille riens dont il ferait par la suite l’essence de sa
profession, intervenant à la télévision pour surprendre les spectateurs à
l’aide de l’intrusion de lutins et autres créatures féeriques dans leur univers
monotone. Par la suite, Pierre écrivit un dictionnaire de la féerie qui connut
une grande vogue et se vendit fort bien en dépit de son prix onéreux.
L’autre ami était un peintre qui crayonnait de multiples
esquisses de son visage : elle était sa muse du moment, son inspiratrice
et il prétendait ne plus pouvoir peindre si elle n’était pas à ses côtés.
Soudain Olympe fut tirée de sa rêverie en apercevant un
personnage dont elle se plut à dénombrer tous les travers ; il venait
d’entrer dans le café et il était probablement en compagnie d’une femme bien
qu’il ait pris la précaution de se démarquer du couple qu’il formait. C’était
certainement une femme mariée et il tenait à ne pas la compromettre mais la
ficelle était si grosse que l’on se rendait compte des liens charnels qui les
avaient unis, l’espace de quelques heures.
Cet homme ruisselait de suffisance et de nullité spirituelle.
Il appartenait à ce type d’homme reconnaissable entre tous à l’affichage de sa
volonté conquérante de femmes appartenant à un profil interchangeable et
monnayable.
Si Olympe le regardait avec un certain amusement ( je t’ai
percé à jour et je ne tomberai pas dans tes filets ), il en allait de même pour
le bellâtre qui vit en un éclair le profit qu’il comptait obtenir en s’adjuvant
ses bonnes grâces.
Le feu croisé de leurs regards cessa immédiatement pour
Olympe qui perçut la dangerosité de la situation et elle se tourna vers ses
compagnons qui lui surent gré de son regain d’intérêt pour leurs personnes.
Par la suite, l’homme revint à différentes heures de la
journée, seul cette fois et il établit, en bon chasseur, un calendrier des
allées et venues du trio.
C’est avec une sorte de naturel qu’il vint à l’étage,
commandant cafés et gourmandises comme tout un chacun.
Sous un prétexte fallacieux qui n’échappa à personne, il
finit par se rapprocher du trio, feignant de s’intéresser aux esquisses de
Francis.
Il ne regardait jamais Olympe mais se prétendait amoureux des
dessins de Francis.
Enfin, un jour, il arriva au moment où Olympe était seule car
il avait noté sur son calendrier personnel les rares moments où cela se
produisait.
Il lui demanda fort poliment l’autorisation de prendre son
café à ses côtés et révéla une facette inconnue de son talent en jouant les
amoureux transis.
Par la suite, il multiplia les approches et un jour il
déclara sa flamme à Olympe qui l’écouta sans sourciller car elle s’attendait à
ce type de propos.
Cependant lorsqu’il évoqua la possibilité d’un mariage, elle
devint songeuse car jusqu’à présent, on lui avait souvent conté fleurette sans
jamais envisager une union en bonne et due forme.
Olympe demanda à réfléchir puis elle en vint à penser que l’aventure
se présentait enfin à elle : la poursuite de son destin qui se devait de s’harmoniser
avec sa personnalité s’avérait passionnée.
Elle accepta cette demande comme un dernier coup de poker et
s’envola avec cet homme, Alexandre, vers la ville de Marrakech, la cité des
Mille et une Nuits où elle avait toujours rêvé de se rendre.
Rendue au présent, elle se tourna vers Gilberte et lui sourit
pour lui démontrer qu’elle ne lui en voulait pas de sa brutale franchise puis
elle rejoignit Alexandre, son mari qui était à la fois son enfant, l’avatar de
son ours en peluche et la caution d’une vie, la sienne, vouée à l’absurde et au
déclin : cet homme l’avait en définitive sauvée d’une mort violente ou d’une
dégradation lente et inexorable de sa destinée et lorsqu’elle mit au monde un
enfant, elle sut qu’elle ne s’était pas trompée et se jura de défendre l’homme
désarmé et honni de nombreuses personnes qui l’avait épousée, pour le meilleur
et pour le pire.