Chariot de feu
Lorsque Lilian reçut la carte mystérieuse envoyée par mail,
il l’examina attentivement puis jeta son dévolu sur Chariot de Feu.
Ce nom lui rappelait un film russe. Son amour pour les
classiques de l’époque tsarine, Léon Tolstoï, Fédor Dostoïevski, Alexandre
Pouchkine avec l’extraordinaire Dame de Pique éclata à la lecture de ce simple
nom.
L’aventure était au rendez-vous de ce hameau, cela ne
faisait aucun doute !
Il partit en hâte et lorsqu’il arriva à destination, il put
constater qu’il ne s’était pas trompé.
Palais et isbas étaient répartis harmonieusement en étoile,
autour d’un kiosque à l’ancienne où l’on n’attendait plus que des tsiganes.
Une grande maison bourgeoise avec un parc verdoyant lui
était réservée.
Son nom, Lilian, ornait en effet la façade en spots
lumineux.
Une jolie jeune fille, les tresses ornées de fleurs des
champs, arborant une tenue pimpante, jupe et chemisier brodés, l’accueillit
avec le sourire, s’étonna de le voir sans bagages et l’invita à entrer dans le
salon.
Elle lui servit prestement des rafraichissements et des
sandwiches à l’anglaise.
Ensuite, elle le conduisit à sa chambre qui était très
spacieuse.
Un magnifique secrétaire en bois de rose, garni d’une
écritoire choisie avec parchemins et encriers dotés de porte-plumes en ivoire,
occupait le centre de la pièce, face à une immense fenêtre donnant sur le parc.
A nous deux Tolstoï se dit Lilian, mon Anna Karénine m’attend !
Elle est certainement juchée sur un chariot de feu et
roulera jusqu’à moi dans un boucan d’enfer.
Maroussia, sa jolie hôtesse, dévoila le contenu de la
penderie : des tenues élégantes étaient prévues pour chaque activité.
Une longue chemise et une robe de chambre d’inspiration
balzacienne l’enchantèrent : ainsi vêtu, face à son écritoire, il ne
manquerait pas de trouver l’inspiration !
Un bon bain le détendit. Ensuite il enfila une liquette de
nuit brodée et plongea dans un lit douillet à baldaquin.
Le lendemain, après un copieux petit déjeuner, il se promena
dans le parc, vêtu comme un personnage de Tchekhov, à la recherche de sa muse.
Bien lui en prit car elle lui apparut, sa muse, dans tout l’éclat
de sa beauté.
Ses cheveux longs couvrant ses épaules à la manière d’une
gerbe de blé, sa taille soulignée par une ceinture de pierres précieuses
coulées dans l’or, couleur safran, ses pieds chaussés de sandales élégantes et
argentées, son sourire enfantin et ses yeux de turquoise lui causèrent un choc émotionnel
si heurté qu’il dut s’appuyer sur le tronc d’un arbre pour ne pas tomber.
L’apparition dit s’appeler Lauriane et elle effleura ses
lèvres d’un baiser discret puis elle disparut comme elle était venue, tel un
songe d’été.
Lilian regagna sa chambre, s’installa à son secrétaire et
rêva un peu avant de trouver un titre qui lui plaise puis, muni d’un
porte-plume en ivoire, il trempa la plume biseautée dans une encre turquoise,
il écrivit en lettres gothiques sur un parchemin couleur sable : Rêve d’Amour.
Emporté par l’inspiration, enivré secrètement par la beauté
de Lauriane, il écrivit plusieurs pages et ne s’interrompit que lorsque
Maroussia l’informa que le repas était prêt.
Cailles farcies aux raisins, semoule fine alourdie par du
beurre frais, pièce montée de choux pralinés aux dragées roses l’enchantèrent
ainsi que des hanaps de limonade à l’eau de rose.
Cet excellent repas terminé, Lilian erra à nouveau dans le
parc, espérant retrouver sa muse.
Ne voyant que des écureuils et des biches passant
furtivement derrière les arbres, il s’imprégna de cette beauté forestière puis,
pensant à l’intégrer dans son roman, il retrouva ses feuillets avec fièvre et
brossa de magnifiques tableaux champêtres pour servir de toile de fond à l’idylle
amoureuse qui se nouait entre la belle Lauriane et son amant Virgile qui
ressemblait à s’y méprendre à son créateur, une certaine audace nuancée de
romantisme en plus.
Se piquant au jeu de l’écriture, Lilian écrivit sans relâche, ne laissant reposer sa plume que sous l’insistance de Maroussia qui finit par se plier à ses nouvelles exigences alimentaires.
Se piquant au jeu de l’écriture, Lilian écrivit sans relâche, ne laissant reposer sa plume que sous l’insistance de Maroussia qui finit par se plier à ses nouvelles exigences alimentaires.
Faisant de sa muse une nouvelle Atala, la couvrant de
feuillages et de fleurs dans ses descriptions haletantes, il voulut se régaler
de plats du Nouveau Monde, à la mode de Chateaubriand.
Dindons mijotés et servis avec des épis de maïs grillés sur
des braises, tartes aux pommes et chaussons fourrés au miel, caramélisés au
sirop d’érable firent ses délices, fouettant son imagination au point de
prolonger ses travaux d’écriture jusqu’à la tombée de la nuit.
Le soir, Maroussia lui apportait un plateau garni d’une
tisanière et de plantes aromatiques facilitant le sommeil. Elle y ajoutait
toujours de petites douceurs, calissons, berlingots ou noix enrobées de pâte d’amande.
Le temps passa au rythme de l’écriture et lorsque le roman
fut achevé, Lilian se découvrit un cheveu blanc.
Cela ajoute à votre charme lui dit aimablement Maroussia.
Et lorsque les premiers flocons de neige se mirent à tomber,
ensevelissant Chariot de feu d’une pèlerine d’hermine, Lauriane poussa la porte
d’entrée, plus belle que lors de leur première entrevue et elle se laissa
enlacer et embrasser par le romancier qui n’avait écrit que pour la magnifier
et lui offrir le personnage de rêve de son roman d’amour.
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