L’arrivée de Rose du Buisson Ardent dans le Val-sans-Retour
provoqua des vents tourbillonnants qui auraient emporté la suzeraine de Fol
Espoir si elle n’avait pas été protégée par sa parure divine.
Elle avança à petits pas et après avoir progressé dans la
lande rocailleuse, elle finit par s’asseoir sur une roche lisse en granit.
Elle regarda le paysage lunaire qui s’offrait à elle et pria
pour que sa démarche soit suivie d’effet.
Que cherches-tu, reine d’un pays dévasté par une peste venue
du fond des âges, dit une voix de crécelle. Si c’est un remède que tu cherches,
tu n’as pas frappé à la bonne porte, j’en ai déjà fait part à tes chevaliers
mais apparemment, il n’y a pas de coordination dans ton royaume véreux, voué à
la mort.
Si tu veux être ma servante, je te soumettrai à des tests
révélateurs de tes aptitudes à être bonne à quelque chose, ce dont je doute.
Rose du Buisson Ardent éluda les parties du discours qui
brillaient par leur insolence et répliqua calmement.
« Je suis venue te proposer la paix, reine Morgane et
t’offrir la place qui te revient au château de Fol Espoir qui ne mérite pas ton
mépris.
Pour te prouver ma bonne foi, j’ai apporté une parure que
mon époux a commandée pour moi à un célèbre joailler et si elle te plaît, c’est
bien volontiers que je t’en ferai cadeau.
Je n’ai pas besoin de tes dépouilles, reine sans royaume.
Retourne en ton château vermoulu et ne remets plus les pieds dans mon
Val-sans-Retour sinon il portera pour toi l’essence de ce nom et je
t’enchaînerai sans pitié à un rocher. Va-t’en !
Et ce disant, les yeux de Morgane devenus couleur de flamme,
lançaient des éclairs.
Rose du Buisson Ardent reprit donc la route du retour et
alors qu’elle franchissait la barrière des derniers genêts, elle entendit la
voix de Morgane qui criait dans les nuages :
Je suis sensible à ton offre, reine sans royaume, c’est
pourquoi, je te laisse la vie sauve mais ne reviens pas me tenter car, cette
fois, tu n’échapperas pas à un châtiment ».
Rose avait l’impression de tourner en rond dans un cercle de
magie noire, une sorte de mare au diable dont on ne sort que difficilement.
« Seul, l’amour, ô ma reine, pourra sauver notre
royaume lui dit la voix de Jehan qui reposait dans le cœur de sa rose intime,
son reposoir d’amour passionné ».
Elle ressentit un plaisir intense qui lui rappela leurs
étreintes passionnées et elle eut la curieuse impression de prendre racine.
Sa robe de bure tremblait au vent, ses cheveux se couvraient
de fleurs et lorsqu’elle voulut parler, ce fut d’une toute petite voix qui
provenait de son tabernacle intime.
« Nous voici, comme Philémon et Baucis, ma douce-aimée
murmura Jehan. Toi et moi, formons un buisson épineux qui offrira au vent la
douceur parfumée de ses fleurs.
La parure s’est fondue en une rivière de diamants, de rubis
et de quartz rose que seuls les poètes pourront découvrir et chérir.
O mon aimée, je t’aime à la folie et grâce soit rendue à
Dieu, c’est pour l’éternité » !
Tandis que les amants prolongeaient leurs étreintes en
exhalant des parfums subtils et profonds, on s’inquiétait au château.
La suzeraine était partie en emportant sa parure et elle
pouvait avoir eu affaire à des bandits. Morgane pouvait également la détenir
prisonnière pour se venger d’avoir été jetée dans les oubliettes du château.
Comme l’affaire était délicate, on fit appel à Fleur des
Genêts, le frère jumeau de Jehan des Roselières. Il était le plus proche du
suzerain défunt et rien de ce qui le concernait ne lui était étranger.
Tristan-Lou, en sa qualité de frère aîné, prit sa place
auprès de la fontaine et Fleur des Genêts s’en fut pour le Val-sans-Retour à la
recherche d’un indice ou, mieux encore, de la reine.
Près du buisson, il eut une sorte de révélation.
Il s’arrêta et entendit la voix de son frère qui lui murmura
dans des effluves parfumés :
« Ne t’inquiète pas, mon frère. Rose du Buisson Ardent
est en moi, en ce buisson et nous prolongeons nos étreintes charnelles vécues
dans le monde des vivants, avec une frénésie sublimée par l’essence de l’amour.
Plonge la main au cœur de ce buisson et tu y trouveras la
parure que j’ai commandée jadis pour ma reine, de son vivant. Elle n’en a plus
besoin à présent.
Remets la, s’il te plaît, à notre fille Fleur de Paradis et
dis-lui bien qu’elle a été conçue grâce à un amour féerique reposant en une
rose charnelle dont je suis le seul à avoir la clef.
Cette parure, unique et réalisée à la mesure de la source de
vie de mon aimée, servira de viatique à ma fille.
Elle en aura besoin car vous vivez à présent, vous les
mortels, dans un monde étrange où les règles de la chevalerie se perdent.
Adieu, mon frère, chéris ton épouse et aime tes enfants.
Nous nous verrons sans doute un jour, si ton amour est à la
mesure du nôtre et te permet de renaître sous une forme florale, éternelle,
parfumée et passionnée ».
La voix se tut. Fleur des Genêts plongea sa main, protégée
par un gant de cuir, dans l’intérieur du buisson en prenant garde de ne pas
l’efflorer et il en sortit la parure qu’il plaça dans un sac de velours.
De retour au château, il forgea un récit plausible car
personne n’aurait cru qu’il avait pu s’entretenir avec son frère par
l’intermédiaire d’un buisson.
Il raconta que Rose du Buisson Ardent avait souhaité
s’éloigner du monde et qu’elle lui avait confié sa parure pour qu’il la remette
à sa fille chérie, Fleur de Paradis.
Il ajouta de son propre chef, que Rose du Buisson Ardent
éprouvait également beaucoup d’amour pour son fils Gabriel, chargé de veiller à
l’équilibre du royaume.
Il remit à Gabriel une chevalière et un collier de vermeil
portés par Jehan des Roselières en lui disant que ce dernier les lui avait
remis autrefois parce qu’il souhaitait les voir portés par son fils lorsqu’il
serait au pouvoir.
Tout le monde reconnut avec émotion les bijoux rituels du
souverain.
Ce dépôt sacré réalisé, Fleur des Genêts s’en retourna
auprès de sa dame, Aude à la source ardente et passionnée.
Il l’honora avec tant d’exquise douceur qu’il engendra un
dernier enfant à qui l’on donna le nom d’ Aubépin car, en réalité, ce désir fou
d’étreintes inassouvies lui était venu en plongeant la main dans le cœur sacré
du buisson ardent couronné d’aubépines où les amants Jehan et Rose se disaient
éternellement qu’ils s’aimaient à la folie.