Djamila
se dirigea vers la place Djamaa el Fna, s’attarda auprès des conteurs mais ne
résista pas au son aigu du fifre, l’instrument magique du charmeur de serpents.
Torse nu et jambes repliées, il semblait ne faire qu’un avec le cobra qui s’éveillait
doucement, libérant un à un ses anneaux.
Le
public était fasciné et retenait son souffle. Jamais la jeune fille ne s’était
autant intéressée à ce spectacle. D’ordinaire, les charmeurs de serpents lui
inspiraient plutôt de la pitié. Mais ce charmeur présentait une caractéristique
originale. Il semblait ne faire qu’un avec son serpent et lorsqu’il présenta sa
langue pour le baiser qui pouvait être mortel, il arracha une salve d’applaudissements.
Le
lendemain, elle vint plus tôt que d’habitude mais le charmeur n’y était pas. Il
avait été remplacé par un pauvre bougre qui rampait sur le sol comme une ombre.
Déçue,
elle regagna son Riad transformé en studios. Elle n’avait gardé pour elle qu’une
suite de belles pièces et le patio où elle aimait lire et écrire près de la
fontaine, des orangers et des citronniers.
Elle
se fit servir un couscous odorant dans le patio et convia son personnel à l’accompagner.
Les conversations furent gaies et l’une de ses cuisinières préférées, Zaïneb
lui apprit qu’elle comptait se marier au printemps.
Djamila
accueillit cette nouvelle avec le sourire et assura la jeune femme qu’elle lui
préparerait un trousseau digne d’elle.
Puis
on mangea les pâtisseries, gâteaux au miel et cornes de gazelle et enfin on
savoura le thé servi par Hassan, le plus jeune des serveurs.
Les
mois passèrent au rythme des préparatifs du mariage. Enfin le grand jour
arriva. Une équipe intérimaire avait été choisie pour s’occuper des hôtes du
Riad.
Toute
la maisonnée se rendit en pays berbère, le berceau familial de la mariée.
Des
jeunes filles ornées de fleurs les accueillirent en chantant.
Les
toilettes étaient à la hauteur de l’événement. Quant à Zaïneb, elle était tout
simplement éblouissante. Le jeune marié arborait une tenue martiale, le
poignard ancestral passé dans sa ceinture. Son sourire indiquait cependant qu’il
s’agissait là d’un simple ornement et qu’il était pacifique.
Un
fois les rites accomplis, on passa à table. Des aiguières d’orangeade
circulèrent à la ronde et le repas s’ouvrit avec des friandises prisées de
tous, dattes et noix roulées dans la pâte d’amande aux coloris divers. Chacun
grignota ces mignardises avec appétit. Puis le clou du repas arracha des soupirs
gourmands. Des parts de méchoui accompagnées de légumes ciselés et cuits dans
un bouillon odorant réjouirent les plus difficiles. Enfin la pastilla sucrée,
fourrée de crème de dattes et de miel, parsemée de sucre glace fut la clôture
de ce repas de mariage des plus réussis.
Les
invités s’empressèrent d’offrir leurs présents aux jeunes mariés. Le dernier de
la liste était un homme de belle prestance. On chuchotait qu’un incendie avait
détruit sa métairie et qu’il avait dû accomplir des travaux inédits pour
survivre. Djamila reconnut en ce personnage marqué par le destin le charmeur de
serpents qui l’avait fait rêver. Leurs regards se croisèrent et Djamila crut
voir s’envoler une colombe.
De
retour au Riad, la jeune femme s’isola dans son patio, rêvant, écrivant et
peignant. Son pinceau traçait invariablement la silhouette de celui qui l’avait
tant marquée et elle l’environnait de colombes portant des roses.
Un
jour, le heurtoir s’activa et elle découvrit l’objet de toutes ses rêveries, un
bouquet de roses à la main. Une ceinture en or adorablement ciselée complétait
le présent. C’était une demande en mariage en bonne et due forme.
Pour
toute réponse, Djamila lui offrit sa main et l’emmena dans le patio où l’on
servit la pastilla aux pigeons et amandes. Ce repas destiné aux amoureux scella
leur alliance et Djamila se dit en souriant que le charmeur de serpents était
aussi un séducteur. Mais elle se jura de ne jamais danser au son du fifre !
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