Un beau soir de printemps, alors
que les lilas et les glycines laissaient tomber majestueusement leurs grappes
sur le sol, un violoniste trouva sur son archet les notes d’un quadrille dont
il rêvait depuis longtemps.
Il se laissa emporter par le
bonheur de la création et n’eut de cesse de mettre la note finale à ce qui lui
apparaissait comme l’œuvre suprême de sa vie.
Il prenait à peine le temps de se
nourrir, écrivant et jouant sans relâche les différents mouvements d’un
quadrille majestueux et léger à la fois, digne d’une cour princière.
Il donna à cette création le nom de
quadrille des Princes et l’envoya aux Princes des royaumes qui appréciaient le
faste et les fêtes.
Il s’endormit alors et ne se
réveilla qu’en entendant quelqu’un frapper à sa porte. Imaginant qu’il
s’agissait d’un ambassadeur venu le féliciter d’une œuvre remarquable, il
enfila un habit de cérémonie mais lorsqu’il ouvrit la lourde porte aux ferrures
d’argent, il crut voir une apparition céleste.
C’était une jeune fille dont le
regard bleu était si intense qu’il se sentit frappé au cœur.
Il installa cette beauté dans la
bergère la plus confortable de sa maison, lui prépara un repas à base de
légumes et de fruits, cuisina rapidement une crème brulée, l’un de ses desserts
favoris mais lorsqu’il apporta toutes ces splendeurs culinaires, il trouva la
jeune fille endormie.
Il s’assit à ses côtés, l’observa à
loisir et c’est ainsi qu naquit sur ses lèvres une valse enivrante qui
l’emporta avec tant de vigueur qu’il prit son violon et partit jouer dans le
jardin afin de ne pas réveiller son invitée.
Il joua tant et tant que la nuit
tomba et lorsqu’il revint en sa pièce principale, il constata avec désespoir
que la jeune fille était partie. Elle avait mangé une coupe de crème et
quelques fruits. Un mot était mis en évidence sur la table :
« Merci ». C’était un parchemin de très bonne qualité et le
violoniste se jura de retrouver celle dont il était tombé follement amoureux.
Furieux de ne pas s’être aperçu de
son départ, il décida de prendre un peu de repos et d’entreprendre des
recherches le lendemain.
Tôt levé, il prépara un sac de
denrées comestibles, fruits secs, biscuits et pain agrémenté au confit de
roses, n’oubliant pas de se munir d’une gourde d’eau fraîche et partit d’un pas
leste. Il avait naturellement emporté son violon car cet instrument était une
prolongation de son être. Veillant, à ce qu’il ne soit pas abîmé, il l’avait
soigneusement couché dans son étui en bois précieux matelassé de satin.
Il était certes chargé mais son
désir de retrouver celle qui avait fait battre son cœur était si grand qu’il ne
ressentait aucune fatigue et que ses pieds battaient la mesure de la valse
qu’il intitula La Valse du Désir.
Dans un sentier jalonné
d’églantiers, il aperçut un morceau d’étoffe qui lui rappela la robe de l’aimée
et cette découverte lui fit redoubler ses efforts.
En pénétrant dans un sous-bois, il
sentit son cœur chavirer car il découvrit au terme d’une longue marche, une
clairière fleurie de jacinthes qui embaumaient l’air de ce parfum enivrant.
C’était la fleur de son amour ! Désireux de ne pas piétiner cet endroit
secret, il longea la clairière pour apercevoir enfin une charmante maison dont
la façade était ornée de glycines et de clématites.
Il activa le heurtoir et ô
surprise, la porte s’ouvrit pour faire place à la dame de ses pensées, vêtue
avec faste d’une robe brodée d’oiseaux et de fleurs paradisiaques.
Il croyait évoluer dans un rêve
mais il dut se convaincre qu’il vivait bien une aventure réelle. L’aimée de son
cœur lui dit se prénommer Lilly-Fleur et elle l’invita à prendre place près
d’une table en bois d’ébène. Le service fut des plus charmants.
Un potage de cresson, léger et
savoureux ouvrit une succession de plats dont Frantz n’était pas coutumier :
un turbot à la crème sur un lit d’oseille, un baron d’agneau accompagné de
légumes tournés et saisis à la poêle. Un gâteau aérien fait de biscuits trempés
dans un sirop de fraises avec des couches alternées de crème pâtissière et de
confiture de roses conclut ce repas en forme d’apothéose.
Un délicieux arôme de café moka
flotta dans la pièce. En dégustant ce délicieux breuvage à petites gorgées, les
deux amis se livrèrent à une conversation à bâtons rompus. Lilly-Fleur expliqua
à son hôte qu’elle s’était égarée en suivant un bel oiseau bleu qui volait de branche
en branche et semblait vouloir l’entraîner vers un lieu magique. C’est ainsi
qu’elle avait frappé à la porte de la maison de Frantz. Elle s’était réveillée
en entendant les sons du violon et avait jugé bon de s’éclipser pour laisser un
merveilleux artiste s’exprimer de manière magistrale.
Frantz à son tour lui parla du
Quadrille des Princes qu’il avait envoyé dans plusieurs royaumes, du choc que
sa beauté avait déclenché en lui et du désir soudain de l’exprimer sous la
forme d’une valse. Désespéré de l’avoir perdue, il n’avait eu qu’une hâte, la
retrouver au plus vite.
Tout était dit, c’est pourquoi
Frantz prit son violon et joua la valse qu’il intitulerait Valse de Violaine
avec sa permission. La jeune fille fut très enthousiaste et applaudit avec chaleur
cet air magnifique.
Après cet instant de grâce absolue,
Lily-Fleur conduisit Frantz à sa chambre. Elle était spacieuse et le mobilier
était des plus agréables : un lit à baldaquin, un secrétaire et un
fauteuil capitonné sans oublier un lutrin sur lequel le violoniste pourrait
installer ses partitions.
Une pièce était attenante et
réservée à la toilette. Jacob, un serviteur doué, prépara un bain bouillonnant
et parfumé et se tint à distance respectable afin de sécher le corps du jeune
homme puis de le masser pour l’aider à trouver un sommeil réparateur. Lilly-Fleur
s’était éclipsée discrètement en laissant un petit mot fleuri sur le
secrétaire. « Dormez bien, chère âme » ! Elle avait esquissé un
violon et un ange.
Le lendemain Frantz fut éveillé par
une bonne odeur de pain frais, de miel et de gelée de groseilles. Des œufs et
du bacon complétaient ce petit déjeuner complet avec un excellent café à la
crème et aux amandes. Ragaillardi, Frantz sortit dans le jardin, huma les roses
sauvages qui embaumaient les alentours puis il rentra, voulant remercier son
hôtesse d’un accueil aussi princier.
Lilly-Fleur accepta ses hommages
avec le sourire puis informa son hôte du fait qu’elle devait se rendre à la
cuisine pour préparer les repas de la journée. Elle s’apprêtait à confectionner
une tarte aux légumes, un carré d’agneau aux olives avec des petites pommes de
terre nouvelles et des topinambours. Une salade de jeunes pousses serait servie
avec un fromage à l’ancienne, un maroilles par exemple. Quant à la pâtisserie,
elle était en débat. Elle hésitait entre un baba au rhum et des profiteroles à
la crème pralinée.
À la perspective de toutes ces merveilles
à venir, Frantz fut conquis. Cependant il dit à la charmante idole de son cœur
qu’elle ne devait pas se fatiguer avec tous ces plats et que le plus simple
serait le mieux « Je serai aidée, dit Lilly-Fleur, et je suis heureuse de
veiller à votre bonheur. En cette attente, je vous suggère de vous reposer dans
votre chambre, de vous promener dans le jardin à la recherche de l’inspiration
ou encore de faire une promenade à cheval en compagnie de Jacob qui vous fera
connaître des endroits merveilleux ». Frantz opta pour la promenade à
cheval, enfourcha un alezan à la robe couleur de jais et suivit Jacob qui était
aussi un excellent cavalier. Il découvrit un grand lac où s’ébattaient des
flamants roses. Il les observa longuement et sentit monter en lui des notes
enchantées à la vue de leur ballet gracieux. Enfin Jacob le tira de sa rêverie
en lui faisant remarquer que la dame des lieux n’aimerait guère que l’on soit
en retard pour le repas.
Ils revinrent donc au logis. Frantz
eut juste le temps de se laver rapidement et de changer de vêtements pour avoir
une tenue correcte à table.
Le repas était absolument sublime,
avec une surprise qui n’avait pas été annoncée. On avait apporté à Lilly-Fleur
de magnifiques asperges blanches et elle avait voulu les servir, fraîches, avec
une sauce hollandaise. Le reste serait mis en bocaux et stérilisé pour l’hiver.
Ce festin terminé, l’hôtesse de
charme désira se retirer dans sa chambre afin de prendre un peu de repos et
faire un brin de toilette. Elle demanda à Frantz s’il avait aimé sa promenade,
ce qu’il confirma avec enthousiasme. Il se reposa également et demanda à Jacob
s’il était partant pour une nouvelle échappée dans la nature. Ce dernier
accepta cette proposition avec plaisir et ordonna au palefrenier de brosser les
montures pour l’après-midi.
À la demande de Frantz, ils repartirent
sur les berges du lac et se cachèrent dans les roseaux pour ne pas effaroucher
les magnifiques oiseaux. Frantz avait pris la précaution d’emporter du papier à
musique et de quoi inscrire les notes de la valse qui couvait en lui comme un
cratère de feu. C’est ainsi que naquit la valse des flamants roses qu’il fit
écouter le soir même à la belle Lilly-Fleur après le souper. Cette valse était
d’une grande beauté et la jeune femme se mit spontanément à danser.
La soirée fut des plus romanesques
et se conclut par un doux baiser. Les jours suivants passèrent comme un rêve.
Frantz découvrait les talents cachés de son aimée et une succession de lieux
paradisiaques s’offrait à ses yeux enchantés, lui apportant l’inspiration. Il
créa ainsi une impressionnante suite de valses toutes aussi belles les unes que
les autres. La valse de l’amour naquit sur son archet alors qu’il pensait à Lilly-Fleur
dont la beauté lui semblait sans égale. Sous le titre évocateur de Jacinthes et
Volupté, une valse langoureuse évoqua l’amour ressenti par le violoniste à
l’approche de la maison du bonheur. Un jour, il se rendit compte que le ventre
de son amie s’arrondissait. Elle lui confirma l’heureux événement à venir. Il
se sentait un peu coupable d’avoir ainsi profité de la générosité de la jeune
femme et de ne pas avoir eu la délicatesse de l’épouser.
Mais Lilly-Fleur l’assura de son
bonheur et d’autres jours se succédèrent. Frantz résolut de participer aux
tâches culinaires afin de ne pas mettre en danger l’enfant par des charges
lourdes. Son amante le chassa de son domaine avec douceur et résolution et
l’incita à ne pas changer ses habitudes, c’est pourquoi il chevaucha comme à
l’accoutumée. Il demanda à Jacob de veiller sur la dame des lieux et dirigea
son cheval Dragon Noir vers les marchés où il devint populaire. Un jeune
garçon, Amaury s’occupait du cheval tandis que Frantz jouait du violon,
interprétant les valses qu’il avait composées. Lorsqu’il cessait de jouer pour
prendre un rafraîchissement, de l’argent et des cadeaux lui étaient offerts
spontanément. Après avoir rémunéré les services d’Amaury, il achetait des
fruits, des légumes, de la volaille et parfois des colifichets ou des pièces
convenant au trousseau du bébé et se faisait une joie de revenir à la maison
avec toutes ces merveilles.
Un jour, une dame de haut rang,
cela se voyait à la magnificence de sa mise, lui offrit une pièce de soie
brodée de paons et de papillons. Les roses aussi avaient une place de choix de
même que les fleurs des champs, coquelicots, marguerites et bleuets. Frantz fut
heureux d’offrir ce présent royal à sa dame et l’après-midi même, il composa
une valse destinée à l’enfant qui devait naître de leurs amours. Cette valse
était si belle que Lilly-Fleur en eut les larmes aux yeux.
D’un commun accord, ils la
nommèrent Valse de l’Aube. Il leur semblait que l’enfant serait protégé par
cette magique création, digne de toutes les fées qui pourraient se pencher sur
le berceau.
La belle dame revint au marché et
la valse de l’aube la ravit au point qu’elle voulut connaître l’adresse du
violoniste afin de lui faire livrer le cadeau dont il avait besoin.
Ce don tombait à point nommé car la
naissance de l’enfant était proche. Il s’agissait d’un luxueux berceau en bois
précieux nanti d’un voilage brodé et garni d’une literie digne d’un prince. Un
trousseau complet pour nourrisson accompagnait ce cadeau d’une grande utilité.
Tout à son bonheur, Frantz avait complétement oublié le Quadrille des Princes
expédié dans toutes les cours dont il attendait de magnifiques retombées.
Or un messager activa le heurtoir
peu après cette livraison somptueuse. Il s’assura qu’il avait bien affaire au
compositeur du quadrille et pour le prouver, Frantz joua l’un des thèmes
principaux sur son violon. L’hôte inattendu dit alors qu’il était chargé de
l’emmener à la cour du prince Almeda, grand amateur de fêtes royales et de
danses.
Convaincu d’avoir bien rencontré le
compositeur qui lui montra par ailleurs l’original du précieux quadrille, le
messager repartit non sans avoir annoncé qu’un carrosse princier viendrait le
chercher. Il ajouta que des dames d’atour et un médecin prendraient place afin
de veiller à ce que la naissance de l’enfant se passe dans de bonnes
conditions. Il laissa de plus une bourse pleine de pièces d’or pour que la
future maman ne se refuse rien.
Après le départ du messager, la
journée oscilla entre la joie et la mélancolie. Joie puisque le talent de
Frantz était reconnu au niveau princier mais la mélancolie flottait comme un
nuage car le couple allait connaître la séparation. Lilly-Fleur se félicita
d’avoir cousu et brodé un costume d’apparat pour l’homme qu’elle aimait. Elle
comptait lui en faire la surprise pour fêter la paternité mais elle songea
qu’il lui fallait un costume élégant pour paraître à la cour. Très touché par
cette délicate attention, le violoniste serra sa compagne sur son cœur et
caressa ses longs cheveux aussi fins que la soie. Ils dormirent enlacés,
s’éveillèrent au chant du coq, prirent leur petit déjeuner et attendirent la
venue du carrosse. Le messager avait tenu parole : trois personnes
descendirent du réceptacle et les cochers portèrent leur malle à l’intérieur. Lilly-Fleur
leur servit une collation et sa dame de compagnie les conduisit ensuite dans
leurs chambres respectives.
Les adieux des amants furent brefs.
« Adieu, mon cœur. Je serai de retour dès que cela me sera possible et je
vous rapporterai mille petits bonheurs pour vous gâter comme vous le
méritez ». Lilly-Fleur l’embrassa pour cacher ses larmes et le violoniste
s’en fut avec pour tout trésor, un sac de voyage et son précieux violon.
Mais rien ne se produisit comme on
l’avait prévu. L’attelage fut attaqué à mi-parcours par des brigands qui
abattirent les cochers. Jugeant à sa mine que Frantz n’était pas dangereux, ils
se contentèrent de l’assommer et conduisirent le carrosse au repaire de la
terrible Maria Dolorès, la reine des brigands. C’était une femme au cœur de
pierre. Elle prenait plaisir à décapiter des hommes et si elle était sensible à
la beauté masculine, c’était à la manière d’une mante religieuse qui n’hésitait
pas à faire égorger les amants de quelques nuits.
Lorsque Frantz reprit ses esprits,
il fut foudroyé par le regard cruel de cette maîtresse femme. « Tu as un
violon, joue ! » lui dit cette harpie. Frantz avait presque tout
oublié tant sa tête lui faisait mal. Il joua la seule valse dont il se souvenait,
la Valse de l’Aube. Un ange passa dans la grotte diabolique de la reine des
bandits. La valse était si belle, tellement chargée d’émotions que des larmes
coulèrent sur les joues de Maria Dolorès, pour la première fois de sa vie.
« Qu’on le laisse partir et
qu’on lui selle un bon cheval dit-elle fermement. Laissez-lui ses bagages.
Adieu, l’ami, pars vite avant que je ne change d’avis » et c’est ainsi que
Frantz se retrouva à cheval, accompagné par une mule qui portait son sac de
voyage et son précieux violon.
Désemparé car il avait perdu
presque toute sa mémoire, Frantz ne savait où il devait se diriger c’est
pourquoi il s’en remit à sa monture. Le hasard fit bien les choses puisque
Frantz retrouva la demeure où il avait composé le quadrille des princes. Il se
revit, maniant l’archet avec amour.
Une voisine était venue entretenir
la maison de sorte qu’il la trouva pimpante et avenante. Un bouquet ornait la
table et Sylvia, la jeune fille qui avait veillé à ce que son retour soit
parfait, entra comme un souffle printanier, un panier garni au bras. Elle mit
prestement la table, prépara une omelette aux herbes et sortit du panier une
jatte de crème aux fraises, un gâteau fourré à la confiture de griottes. Le
repas fut exquis. Frantz préféra renoncer au vin tant sa tête était encore
douloureuse et il se contenta d’une limonade à la rose.
Après cet excellent repas, il
remercia chaleureusement la charmante Sylvia et se retira dans sa chambre,
regrettant de ne pas avoir de cadeau à offrir en retour d’un si bel accueil.
Il dormit profondément et rêva qu’un
ange vêtu de roses flottait dans la pièce tandis qu’une belle jeune femme
jouait de la harpe.
Au réveil, il trouva un petit déjeuner
complet préparé par Sylvia et se promena ensuite dans son jardin. Sylvia avait
emmené les montures afin d’en prendre soin de sorte que le violoniste fut livré
à ses pensées qui se projetaient par bribes.
Au fil des jours, les valses
revinrent sur son archet. L’une d’elles Jacinthes et Volupté lui plaisait
particulièrement et lorsqu’elle l’entendit, Sylvia qui nourrissait un amour
secret pour le divin violoniste comprit qu’elle ne serait jamais sa dame de cœur.
Une musique aussi sublime ne pouvait avoir été provoquée que par une passion
qui sortait de l’ordinaire. À dater de ce jour, elle prétexta un
mauvais état de santé passager pour espacer ses visites. Elle lui proposa de
faire appel à une cuisinière qui s’était retirée d’une auberge où le travail
était lourd pour souffler un peu. Le service de Frantz serait pour elle une
occasion unique de ne pas perdre la main et de gagner un peu d’argent. Déçu,
Frantz qui appréciait beaucoup l’efficacité et la présence charmante de Sylvia,
ne put qu’accepter cette proposition tout en se demandant s’il lui restait de
quoi payer une personne qualifiée.
Il s’en ouvrit à Sylvia qui lui
apporta en souriant une boite où étincelaient des louis d’or. « Un messager
est venu après votre départ et il a déposé ce legs en me disant que vous en
auriez sans doute besoin pour rejoindre une cour lointaine où Le Quadrille des
Princes faisait fureur ». Il me l’a remise en me signalant qu’il
connaissait le nombre exact de louis d’or et que s’il en manquait, ne fût-ce qu’un,
il m’en tiendrait pour responsable.
Plus que les louis d’or, les mots
Quadrille des Princes surgirent dans toute leur splendeur et soudain un nom
effleura ses lèvres, Lilly-Fleur. Frantz chancela et Sylvia eut des remords de
l’avoir ainsi bousculé. Ses maux de tête revinrent et pour se pardonner à
elle-même l’émoi qu’elle avait provoqué, la jeune femme renonça à cette attaque
jalouse et reprit le service de celui qu’elle aimait avec passion.
Après avoir de nouveau lutté contre
la maladie, le violoniste reprit la vie au quotidien, se laissant dorloter par
la belle Sylvia dont il avait oublié les phrases assassines et la révélation.
Les valses revinrent une à une sur son archet et un jour, il eut le bonheur de
retrouver les mouvements enchantés du Quadrille des Princes.
À peine avait-il achevé cet ensemble
merveilleusement dansant que Lilly-Fleur, vêtue de soie et de dentelles fit son
apparition dans le petit domaine où la musique était reine.
Un voile se déchira instantanément
dans sa mémoire et tous les souvenirs lui revinrent en foule.
Ils entrèrent dans la demeure et Lilly-Fleur
lui conta son désespoir à l’annonce présumée de son décès. Cependant comme son
cadavre n’avait pas été exhumé, elle ne cessa de nourrir un espoir. Elle mit au
monde une jolie petite fille à qui elle donna le nom d’Aurore.
Des rumeurs coururent sur le retour
du violoniste en son domaine et elle se décida à prendre la route comme elle l’avait
fait jadis.
Frantz à son tour lui conta qu’il
avait échappé à la mort par miracle mais qu’il avait perdu la mémoire à cause
des coups qu’il avait reçus sur la tête.
Petit à petit, les valses étaient
revenues sur son archet et pour la première fois il avait pu jouer le fameux
Quadrille des Princes qui était à l’origine de leur séparation, de sa
mésaventure et de ces douleurs affreuses contre lesquelles il avait dû lutter.
Sylvia entra à cet instant. Elle
apportait le déjeuner, un baron d’agneau aux légumes du jour et un gâteau au
miel et aux amandes. Elle déposa ces denrées, reçut en retour quelques pièces d’or
puis elle s’en retourna chez elle avec la sensation d’avoir vu l’amour de sa
vie pour la dernière fois.
Le charme de Lilly-Fleur était tel
qu’elle ne pouvait pas lutter.
Les deux amants retrouvèrent les
gestes spontanés de leur grande passion puis ils fermèrent la porte à clef et s’en
furent vers leur foyer.
Frantz trouva Aurore adorable et il
se promit d’écrire une valse. Mais il décida avec sagesse de concrétiser leur
union avant toute chose et promit à sa dame de ne plus jamais la quitter.
Ce vœu spontané fut exaucé car de
nouvelles invitations arrivèrent au nom de Frantz mais il fit savoir qu’il
viendrait accompagné de son épouse. Sylvia fut contactée et elle accepta de s’occuper
de la petite Aurore. Les louis d’or lui permettraient d’avoir une vie plus
agréable.
Au retour du couple chargé de cadeaux
et d’honneurs, elle eut sa part de magnificence et fut heureuse de rester au
service de la petite Aurore qui était une très belle enfant, sage et facile à
élever.
Frantz et son épouse vécurent
heureux et eurent d’autres enfants dont Sylvia s’occupa avec bonheur.
La maison fut jugée trop petite et
grâce à l’argent rapporté dans les cours princières, Frantz fit construire un
petit château que l’on baptisa du nom des Muses.
Des sculptures ornèrent les
colonnes du patio où l’on pouvait capter le soleil autour d’une fontaine, dans
un décor de rêve parmi les orangers, le jasmin et les roses. C’est dans cet
endroit que Frantz aimait découvrir de nouveaux airs sur son archet tandis que
les enfants couraient pour capturer les papillons.
Chacun eut sa valse et par bonheur
le petit Florian réclama un piano et bientôt il put accompagner son père et
voler de ses propres ailes dans les cours princières.
Sylvia refusa de se marier et eut sa part de
ciel bleu en se consacrant aux enfants puis devenue inutile, elle acheta la
petite maison de Frantz et y vécut le reste de ses jours.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire