Petit
Bonheur
Chez
Mamie
On
m’appelle Petit Bonheur. J’ai deux ans. Si je peux m’exprimer et écrire, c’est
que la fée Cristal, apparue à ma naissance, met en ordre les mots qui
s’échappent de mes lèvres avec la force des torrents et tient la plume pour jeter
sur un cahier la trame de ma vie.
Lorsque
je viens chez Mamie, je sais que j’entre dans un domaine enchanté où l’on
m’attend comme le petit roi de la maison.
Petit
Bonheur, c’est Mamie qui en a eu l’idée. Elle aime chanter de jolies chansons
et il y en a une qu’elle préfère.
« C’est
un petit bonheur que j’avais ramassé sur les bords d’un fossé, un beau soir en
été ».
Mamie
chante souvent. Ses préférées sont L’Ours Collargol, Dame Tartine, Il pleut
Bergère. Cela m’amuse, car elle est la seule à chanter.
Dernièrement
j’ai grimpé par surprise sur ses genoux. Mamie n’est pas assurée sur ses jambes
et elle n’ose pas me porter. Je lui ai essuyé les jambes avec des lingettes
pour qu’elle aille mieux.
Papi
et Parrain, eux, me portent avec facilité et quand j’étais plus petit, ils se
relayaient pour me donner à manger et me promener dans la cour en poussette.
Papi
m’emmenait au poulailler. Au début j’avais peur et puis je me suis habitué à
ces drôles de filles, toujours en train de courir. Elles pondent des œufs et
Papi les met dans un panier avec l’aide de Papa.
C’est
dans les bras de Papa que je franchis le seuil de la Jalousie ! c’est le
nom de la maison. Papa et Mamie ont eu un coup de cœur en la voyant abandonnée
au bord de la route et ils l’ont achetée sans se soucier des travaux qu’ils
devraient entreprendre pour la rendre habitable. Ils ont fait ce qu’ils ont pu
mais il y aurait encore bien des améliorations à accomplir.
Pour
moi, c’est la maison de tous les dangers. Le carrelage est inégal et je risque
la chute à chaque instant. De plus, en allant de jouet en jouet, je suis distrait
et je ne regarde pas mes pieds. Alors tout le monde me surveille.
J’ai
l’impression d’être un petit roi et j’en abuse un peu. Je pleure ou je fais
semblant dès que je veux quelque chose, un boudoir par exemple ou un biscuit
bonne maman. Parfois on m’emmène voir Zelda, la chatte de la maison. Nous
sommes sous haute surveillance car Zelda sait qu’elle n’est plus la reine de la
maison et mine de rien, elle pourrait me donner un petit coup de griffe ou me
mordiller. Je la prends un peu pour un nounours mais je ne sais pas que c’est
un félin et que ses instincts sauvages
peuvent resurgir d’un seul coup. Papa
redoute ses coups de griffe et il m’emmène bien vite.
Il
y a aussi une autre surprise. Dans la chambre de Mamie, Martin l’ours qu’on lui
a offert quand elle était petite, se repose sur une chaise. Il me fait un peu
peur. Il ressemble beaucoup plus à un animal que mon nounours, un petit koala
en peluche que j’ai choisi moi-même avec Papa à la nounourserie. C’était un endroit
merveilleux et j’allais de peluche jusqu’à ce que je rencontre le compagnon
futur de mes siestes et de mes nuits chez Papa. Je l’aime et je lui fais des
bisous. Parfois aussi je le traite comme si j’étais une grande personne et je
lui donne des avertissements. Le soir, avant de m’endormir ou lors de la
sieste, je repasse tous les épisodes marquants des derniers jours et
j’improvise une pièce de théâtre à plusieurs voix. Je n’ai pas encore la
maîtrise du langage, je prononce des mots alors pour imiter mon entourage, j’ai
ma langue personnelle, celle que personne ne connaît, à part moi et c’est dans
cette langue que je m’exprime le mieux.
Je
parle très vite et j’ai plusieurs intonations. C’est parfois agaçant d’écouter
les grandes personnes et de ne pas
pouvoir leur répondre avec la même vélocité. Mais là où je suis
imbattable, c’est à la course. Papi,
Parrain et Papa sont en nage quand il s’agit de me rattraper dès qu’on me
laisse trottiner dans le jardin. Avec les beaux jours, je m’échappe vers les bambous
et je fonce jusqu’au fond du jardin. Les trois P ont du mal à me capturer car
je glisse comme une anguille pour leur échapper. Mais finalement, ils me
rabattent jusqu’à la maison en me faisant miroiter les délices de la compote de
pommes maison dont je raffole. Je ne plaisante pas avec la nourriture. Tout le
monde se bat pour me donner la becquée mais j’ai hâte de manger seul.
Ce
goûter achevé, je joue avec ma locomotive magique et musicale. Il y a beaucoup
d’airs et de chansons et je peux aller d’un cube à un autre pour varier les
plaisirs. Ensuite j’empoigne mon jouet favori, le plumeau de Mamie et je
nettoie par ci par là. Enfin je reprends mes ours pour les câliner et je leur
raconte une histoire puis je grimpe sur le fauteuil qui est juste à côté de
celui de Mamie et lorsqu’elle cherche à trouver un mot du jeu télévisé Slam,
j’en profite pour me laisser glisser à terre et lui faire des petites
pichenettes sur les jambes car je suis d’un naturel facétieux. Tout le monde
m’observe et lorsque je donne des signes de fatigue comme celui de me frotter
les yeux ou de gratter l’une de mes oreilles, Papa me capture prestement et me
prépare pour la sieste.
Je
ne me laisse pas faire facilement car je n’aime pas me retrouver tout seul dans
mon lit avec mon ours même si une jolie musique est déclenchée pour m’aider à
dormir. Je pleure un peu, pour la forme, mais Papa me rassure en me disant dans
l’écoute bébé : Dodo Éloan*,
de sa voix douce et je finis par me calmer. Je repasse le film de la journée,
des dernières heures surtout et c’est à mon tour de rassurer nounours, Koala et
de lui dire : « Dodo » .
Au
prochain épisode, l’histoire fraîche de mes jours passés à la Jalousie, la
maison de mon enfance, mon futur domaine puisque j’en suis déjà le roi !
Éloan* est
mon nom de baptême.
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