mercredi 5 février 2025

L'homme aux mocassins bleus

 


Lorsqu’il entra dans la salle de réception de la maison bourgeoise où il avait retenu une chambre , Philippe de Cassel eut l’impression de devenir aux yeux des autres pensionnaires l’homme aux mocassins bleus.

Contraint de prendre soin de ses pieds du fait de leur fragilité, Philippe avait trouvé les chaussures idéales, une paire de mocassins bleus qui avait appartenu à un légendaire chef sioux.

Après des recherches minutieuses sur la culture amérindienne, Philippe de Cassel avait décidé de s’établir à Paris pour s’y faire un nom.

Amoureux de l’univers balzacien, il avait tenu à vivre dans une pension de famille. Il avait trouvé une adresse et avait mis toute son énergie et son entregent pour se faire admettre dans La maison des écrivains.

Brodant un peu en digne émule d’Eugène de Rastignac, il avait prétendu écrire un roman retraçant l’itinéraire d’un gamin de Paris.

L’hôtesse, une sémillante quinquagénaire qui se piquait de littérature avait accepté sa candidature à condition qu’il lui lise des extraits de son roman.

La présentation terminée et le coup d’œil à sa chambre donné, Philippe rejoignit ses commensaux à la table de la salle à manger où les attendait un bon souper digne des grandes tables bourgeoises.

Nappe de lin, chemin de table brodé de pivoines et de paons, porcelaine fine, argenterie, cristal étincelant sous les lustres d’argent, Dame Flore, l’hôtesse apporta une soupière au contenu parfumé et servit chaque convive avec dextérité.

On mangea en silence puis avec l’arrivée du deuxième plat, un osso bucco généreux, les langues se délièrent.

Philippe échangea quelques généralités avec sa voisine, une jeune fille timide qui portait bien son prénom, Violette.

Violette était puéricultrice. Philippe songea qu’elle devait être plus à l’aise auprès des bébés et des jeunes enfants qu’avec les adultes.

Plateau de fromage et îles flottantes clôturèrent  ce bon repas où des eaux minérales et des vins de qualité avaient rafraîchi les gosiers échauffés.

Dame Flore proposa au choix café, thé ou tisane et des liqueurs puis chacun regagna sa chambre après un au revoir amical.

Satisfait de sa première soirée, Philippe fit une toilette sommaire et plongea rapidement dans un sommeil réparateur.

Sa nuit fut agrémentée par de fugitives apparitions féériques. Il crut reconnaître le doux visage de Violette dans un nuage doré où apparaissaient, au milieu de langues de feu, les visages des chefs sioux qui émaillaient sa thèse.

Il prit son petit déjeuner dans sa chambre, se vêtit soigneusement et partit à la conquête de Paris pour trouver le fil d’Ariane du roman qu’il était censé écrire et dont il devrait livrer quelques pages à Dame Flore, l’hôtesse de la Maison des écrivains.

La créature des bois

 

 

 


Tandis qu’Ophélie s’ingéniait à ouvrir l’esprit de la petite Lola de toutes les manières, à la gendarmerie de Maroilles, on continuait à mener l’enquête pour connaître l’identité de l’enfant et en savoir plus sur la raison de sa présence dans la forêt de Mormal.

Des rondes avaient lieu dans la forêt : on recherchait des indices, des témoignages au hasard des rencontres.

Un jour, leur ténacité fut récompensée par une découverte : une femme en guenilles, au bord de l’agonie, gisait près d’un chêne.

Transportée aux urgences, elle décéda peu après. Son dernier mot « Lola » intrigua le lieutenant de gendarmerie et il y vit un signe du destin.

Un photographe d’art réalisa post mortem un cliché de la malheureuse. Grâce à d’habiles retouches, il effaça les stigmates de la douleur et donna à la femme l’apparence d’une personne en vie.

De cette manière, on put proposer aux habitants de Maroilles une photographie convenable voire attrayante.

Un homme la reconnut : «  C’est la créature des bois » ! On lui demanda de préciser le sens de la métaphore.

Selon ses dires, cette femme connue sous l’appellation « créature des bois » était une aubaine pour les hommes en quête de proies faciles.

Elle se pliait à toutes les exigences et ne réclamait rien en échange.

Des hommes avaient pitié de son dénuement et lui donnaient de l’argent ou lui offraient quelques babioles qu’elle acceptait  en toute simplicité.

Puis elle avait disparu, laissant les amateurs d’ébats érotiques pantois et déçus.

Un autre homme se souvint qu’avant de devenir la créature des bois, elle avait été une très jolie jeune femme, cultivée et pleine de charme. Un homme prestigieux lui avait promis le mariage mais le jour de la cérémonie, il ne se présenta pas à l’église.

La mariée délaissée, Aurore Esteban avait cisaillé sa jolie robe de dentelle qui s’était rapidement transformée en guenille et c’est à dater de ce jour maléfique qu’elle avait sombré progressivement dans la folie et la dépravation, devenant la créature des bois qui s’offrait à tous, même les plus repoussants.

Nantis de ces renseignements précieux, identité, dérive d’une femme frappée en plein cœur, les gendarmes fouillèrent les archives et firent parler le fichier informatique à partir de la donnée Aurore Esteban.

La mariée ne figurait pas au fichier et les registres de l’église où devait se dérouler la cérémonie ne portaient pas la mention de son nom.

Par contre, un renseignement précieux leur vint du médecin légiste qui avait pratiqué l’autopsie de la malheureuse : L’ ADN avait parlé. Cette femme perdue était la mère biologique de Lola.

Le lieutenant de gendarmerie, par courtoisie, convoqua Ophélie et lui révéla l’information en lui demandant de n’en parler à personne.

«  Il nous faut savoir, à présent, ce qu’a fait la présumée Aurore Estaban après avoir accouché de cette petite fille qu’elle n’a pas élevée pour une raison qu’il nous faudra découvrir » conclut-il.

Songeuse, Ophélie regagna Les Bleuets, décidée à choyer une petite fille aussi marquée par le destin.

 

Ophélie mène l'enquête

 



Heureuse de garder Lola aux Bleuets, Ophélie décida cependant de mener une enquête dans l’intérêt de l’enfant.

Lola se contentait la plupart du temps de mimiques en signe d’approbation ou de refus. Sa maîtrise du langage n’étant pas assurée, Ophélie eut l’idée de recourir au chant et à la danse comme mode d’expression.

Elle dansa, pieds nus en s’accompagnant de sa flûte de Pan et elle eut la surprise de voir Lola la rejoindre en respectant le tempo. Son petit visage était illuminé par la joie et elle dansa jusqu’à en perdre le souffle.

Le lendemain, Ophélie chanta a cappella et c’est avec plaisir qu’elle vit le bonheur envahir le visage de la petite fille. Elle composa un refrain qui lui était destiné :

«  Colombes du Djurdjura, venez jusqu’à moi pour enchanter Lola ». Cette phrase lui avait plu car elle la chanta en esquissant un pas de danse.

Par la suite, Ophélie engagea une conversation sur le mode chanté et elle obtint une réponse : «  Lola est partie pour ne pas être punie ».

Au fil des chansons et des danses, Ophélie finit par se faire une idée du mode de vie de Lola. Apparemment, sa famille avait une maison isolée dans la campagne. Sa fuite avait été provoquée par un drame qui semblait effrayer l’enfant à sa seule évocation.

Ophélie mit un terme à ces investigations déguisées, craignant que la petite fille ne revive l’épisode douloureux de sa vie.

Elle opta pour les danses joyeuses et les chants magnifiant la beauté de la nature.

Elle enseigna à petites doses la lecture, l’écriture, le solfège et le dessin à la petite fille qui progressa avec une étonnante facilité.

Pour l’initier de manière ludique aux Fables de La Fontaine, Ophélie les lui fit apprendre en s’appuyant sur la version chantée de Patrick Topaloff.

L’air de la fable Le loup et l’agneau était si entraînant que Lola l’interpréta avec forces mimiques en courant dans le jardin.

«  Cette petite a le don du théâtre » se dit Ophélie et elle en vint à la conclusion suivante : certes, elle n’avait pas progressé dans son enquête de manière formelle cependant elle était certaine que Lola avait une intelligence supérieure à la moyenne.

Dans le milieu où elle avait vécu, on avait étouffé ses facultés mentales. Elle se tenait correctement à table, avait le sens de l’hygiène et appréciait les jolies robes et les beaux décors.

Par ailleurs, pour une raison inconnue, elle avait été privée de contacts avec le monde extérieur et son esprit était resté en friche.

« Quelle est la clef de ce mystère ? à nous de le découvrir » conclut Ophélie en se promettant d’atteindre son objectif.