vendredi 28 février 2025

L'enchanteur aux mains étoilées

 

 


C’est ainsi qu’on le nommait, l’enchanteur, en raison de ses mains étoilées, de son regard d’émeraude et de sa voix prenante, aux accents rocailleux.

Sa haute taille et son talent oratoire faisaient de lui un prophète, parfois terrifiant quand on voulait le contredire.

Il lui arrivait de rire mais c’était exclusivement en compagnie d’une dame chérie et il lui arrivait aussi de s’assombrir en songeant à son enfance et les jours de pauvreté qui l’avaient singularisée.

Il se souvenait amèrement des vêtements usagés que l’on donnait à sa mère et qu’il portait à contrecœur car ils faisaient de lui une sorte d’épouvantail à moineaux et ses camarades de classe  reconnaissaient les vieux habits déchirés que la pauvre mère avait rapiécés, ce qui ajoutaient à sa honte.

C’est dans le château de Montségur, en ruines depuis le passage des chevaliers du Roi de France que ses ancêtres avaient péri, certains sur des bûchers et l’on dit que l’odeur pestilentielle du supplice avait longtemps hanté la mémoire des pauvres.

L’enchanteur avait plusieurs fois entrepris le voyage à Saint Jacques de Compostelle mais il s’était toujours arrêté en chemin, peu certain de l’utilité de ce voyage.

Il écrivait des poèmes, privilégiant la forme mise à l’honneur par les écrivains de la Pléiade et en ces moments d’écriture, il connaissait une forme de bonheur.

Je l’ai rencontré, admiré mais une forme de retenue m’a empêchée de le suivre sur les chemins caillouteux qu’il avait empruntés.

Les cieux déracinés, son œuvre principale, restent dans ma mémoire et il m’arrive de citer quelques strophes comme une nouvelle aurore.

Joutes poétiques

 

 

 


Aurore obtint un vif succès avec son jeu impromptu à partir de cinq mots proposés à la volée. Elle fut vivement applaudie. Elle passa la balle à une jeune femme prénommée Aude qui composa un très joli poème en hommage à la Dame à la licorne d’une célèbre tapisserie médiévale. Chacun admira son talent puis un jeune homme vêtu de manière raffinée proposa une élégie de la rose qui fit couler des larmes d’émotion.

Andréa, tel était son prénom, s’attira les faveurs d’un cercle qui le reconnut pour son chef de file.

L’asphodèle, symbole de l’amour perdu, fut chanté avec infiniment de sensibilité par un poète aux cheveux d’or qui évoqua la légende de la Dame Blanche avec subtilité.

On apprit ensuite qu’Aubin, le poète aux cheveux d’or, avait perdu sa dame de cœur et qu’il peinait à accepter sa propre survie.

Aurore le regarda avec empathie. Cet Orphée à la lyre magique l’avait profondément émue.

Il était difficile de lui succéder cependant Amaryllis, une jeune princesse syrienne, releva le défi et elle aborda le thème de la chanson en interprétant un texte au son d’une harpe.

C’était une chanson mélodieuse et profondément porteuse de passion noble. On eut l’impression de se promener dans un jardin merveilleux où les fleurs, les fontaines et les oiseaux étaient les témoins des amants.

Le temps fut suspendu et lorsqu’Amaryllis plaqua ses derniers accords, chacun retint son souffle pour prolonger l’instant précieux.

La journée était loin d’être terminée mais Rosemonde, la maîtresse de maison, intervint pour proposer une pause.

On logea tout ce beau monde dans une aile du manoir réservée aux invités, remettant au lendemain les assauts poétiques qui devenaient de plus en plus subtils et profonds.

jeudi 27 février 2025

Aurore aux doigts d'amour

 

 

 


Aurore grandit en beauté et en sagesse et lorsque l’on s’apprêta à fêter son dix-huitième anniversaire, ses parents envisagèrent de trouver un mari digne de leur fille. Elle avait une particularité, des doigts fuselés habiles à manier l’aiguille et dotés d’ongles en forme de cœur.

Consultée sur l’éventualité d’un bal donné pour son anniversaire, Aurore remercia ses parents mais suggéra qu’un tournoi de lecture et d’écriture l’aide à trouver l’élu de son cœur.

On prépara le tournoi. Des invitations furent lancées dans les royaumes voisins afin de recruter des personnes éprises de Belles Lettres pour une joute qui resterait dans les mémoires.

«  Nous joindrons l’utile à l’agréable » dit Rosemonde. Un buffet évoquant les gourmandises aimées par certains auteurs proposerait des madeleines en souvenir de Marcel Proust, des plats autour de la violette chère à Colette, des cakes d’amour à la manière de Peau d’Ane pour honorer Charles Perrault, des préparations créoles pour illustrer les romans antillais ou méditerranéens , Un plat de porc aux bananes vertes notamment.

Pour enrichir les menus littéraires, Aurore plaça une urne près de la table de réception exhortant les invités à donner une recette inédite.

La jeune duchesse prépara les thèmes sur lesquels chacune et chacun seraient amenés à débattre, l’amour courtois, les symboles du conte, le miroir, les chansons, variations autour de la rose et autre fleur parfumée, pivoine, lys et jasmin.

Elle se réservait la primeur d’un jeu qu’elle avait créé : écrire de manière impromptue un texte comprenant cinq mots donnés à la volée par les participants.

Le grand jour arriva.

Venus de tous les horizons, poètes et romanciers en herbe formèrent un cortège chamarré dont le point commun était l’amour du mot précis et révélateur, en harmonie avec la symbolique requise.

Après une légère collation, chacun choisissant un plat selon ses goûts ou son inclination pour un auteur illustré par une gourmandise, les joutes littéraires commencèrent.

Un prince venu d’un pays froid composa un texte sur le thème du miroir, jouant avec dextérité sur l’ambivalence du conseiller des grâces selon Les Précieuses Ridicules de Molière et la glace chère aux peuples nordiques comme en témoigne le conte Les patins d’argent.

Le combat des chevaliers teutoniques contre Alexandre Nevski avait détourné une situation défavorable au prince slave.

Alexandre Nevski avait gagné la bataille en captant par un jeu de miroirs l’éblouissante clarté du lac gelé qui aveugla les chevaliers, précipitant leur défaite.

L’évocation de ce combat légendaire frappa les esprits et l’on se demanda d’emblée si le gagnant du tournoi n’était pas déjà trouvé.

Mais la soirée réserva d’autres surprises et l’on alla d’un bonheur à l’autre, chacun apportant sa pierre poétique à l’édifice du portail littéraire.