Petit
Louis n’en revenait pas : après un dernier appel à hâter le pas, les
tambours qui avaient battu le rappel au son de la Boiteuse, cette terrible
marche mi- guerrière, mi- infirmière puisqu’elle reproduisait le pas clopin-clopant
des grognards blessés, se traînant pour regagner Paris, ces tambours avaient
accéléré le pas, les laissant dans une terre inhospitalière où chaque petit
bois devenait un coupe-gorge.
« On
les aura, Jean, on leur percera le flanc » dit-il à l’adresse de son
voisin, Jean le Mystique, certain que l’étoile de l’empereur ne faiblirait
jamais mais Jean ne répondit pas car les ennemis coupeurs de jarret l’avaient
laissé baignant dans son sang. On entendit un grand bruit, des cavaliers
criaient « Place à l’empereur ».Petit Louis cria « Vive
l’empereur » mais il fut propulsé dans la rivière car la berline impériale
passa à un rythme infernal et pour être certain que l’empereur ne tomberait pas
aux mains de l’ennemi, le pont fut détruit, jetant des fantassins dans la
rivière. Petit Louis nageait dans sa jeunesse. Il se débarrassa de son barda et
regagna la rive mais beaucoup n’eurent pas sa chance et l’on vit des cadavres
flotter dans la rivière. Sans arme et sans le moindre vêtement de rechange,
Petit Louis tenta de courir mais son corps ne répondit pas à cette
accélération.
Il
but de l’eau dans une fondrière, dévora du cheval mort et reprit sa route,
hébété et anxieux.
Ah
il l’avait aimé son empereur, il l’avait suivi partout mais il ne s’attendait
pas à une telle trahison. Où était le petit caporal qui arpentait le bivouac,
le soir des batailles ? Chacun attendait, espérait qu’il leur tirerait
l’oreille. Jamais on n’aurait imaginé que par un jour de grand froid, il
jetterait les vétérans éclopés dans la rivière pour sauver sa peau.
Pour
rester en vie, Petit Louis psalmodiait le nom des batailles auxquelles il avait
participé, Arcole, Iéna, Marengo, Austerlitz et tant de batailles dont il avait
oublié le nom, la dernière s’étant déroulée dans la Bérézina. Il était fier
d’avoir contribué à embellir l’image de l’empereur et de sa patrie.
Lorsqu’il
avait le temps de conquérir des femmes, il aimait montrer ses cicatrices après
leur avoir laissé quelques pièces, il s’en allait d’un pas gaillard, certain que
l’aventure se terminerait bien et qu’il pourrait retrouver sa fiancée en
Ardèche.
Comme
elle brillerait à son bras ! Il porterait son bel uniforme et arborerait
toutes les médailles glanées sur les champs de bataille.
Il
s’empresserait de concevoir des fils pour que l’empereur puisse toujours tenir
ces chiens de royalistes sous sa botte.
Mais au moment même où
il imaginait sa belle Liseron en robe de mariée, il tomba transpercé par une
lance ennemie dans le dos et mourut en murmurant un dernier : Vive
l’empereur !
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