A
l'approche de la Présidentielle tant désirée et redoutée à la fois par de
fringants candidats qui fourbissaient leurs armes, on vit fleurir des jeux de
cartes dont chacun se targuait d'avoir la main gagnante.
A
peine sorti de la navette fluviale de Bercy, le baron Emmanuel surfait sur la
reine de cœur, emportant dans son sillage l'amour de tulipots qui se sentaient
délaissés voire abandonnés.
Son
sourire réchauffait les âmes blessées et ses paroles, d'acier et de miel,
faisaient mouche.
Stella
s'était emparée du roi de pique car si elle s'était débarrassée, non sans
peine, de l'homme qui avait créé un parti de fer et de flamme, son propre père,
elle avait deviné qu'au royaume des Tulipes, une figure féminine devait avoir
un versant masculin pour être entendue au tréfonds des chaumières.
Elle
avait fait sa rentrée politique dans un village qui ne comptait que quelques
âmes : cette manière de jouer en terrain conquis puisque restreint ne la
chagrinait guère. Le proverbe selon lequel "au royaume des aveugles les
borgnes sont rois" semblait ne pas l'atteindre car le but recherché,
c'était de présenter une image conquérante, si possible blonde, à l'ombre d'un
clocher pour rappeler ses racines.
De
nombreux candidats se présentaient dans des stations balnéaires, certains
d'obtenir au moins l'assentiment d'un auditoire bercé par les embruns et nourri
de délicieux fruits de mer, ce qui favorisait leur adhésion tacite à des propos
qui sentaient pourtant le réchauffé. L'iode leur rendait la nouveauté et le
poli indispensables à toute écoute favorable.
Quant
au président, il poursuivait stoïquement son bonhomme de chemin et engrangeait
les commandes pourvoyeuses d'emplois et d'enrichissement à l'étranger où on lui
réservait l'accueil chaleureux qu'il n'avait plus dans son royaume.
Il
comptait également sur son joker de charme, celle qui lui servait d'égérie et
d'amoureuse intemporelle que nous appellerons J pour satisfaire à son goût de
la réserve et de la pudique retenue. J faisait la une de la presse avec
bonheur; Jadis elle avait incarné une reine d' Angleterre dans une série des
Rois Maudits dont le peuple se délectait, avec infiniment de charme et de
véracité.
Ce
ne serait sans doute pas à elle de faire la révérence à la reine d'Angleterre
actuelle si leurs chemins venaient à se croiser. C'est en égale qu'elle
pourrait la saluer !
Les
journalistes s'interrogeaient surtout au sujet d'une photographie à la une de
Paris Match, notamment un détail mis en valeur par un zoom vraisemblablement
étudié : on y voyait une bague, une alliance et chacun de se demander s'il ne
s'agissait pas là d'un message subliminal, histoire de procurer au bon peuple
de tulipots des frissons de frivolité dont il était si friand.
La
bataille entre obligés politiques demeura feutrée et oscilla sur un curseur de
charme. Qui l'emporterait, de la royale J ou de la sémillante B qui
apparaissait en maillot de bain, sur une plage, au bras de son mari, le baron
Emmanuel, en costume pour rester fidèle à l'éthique respectée par le poète
romancier Louis Aragon ?
Cette
oiseuse question restera sans doute sans réponse pour le respect des intérêts
inhérents à tous les habitants du royaume.
Tandis
que se profilait une belle bataille fleurie, avec falbalas, paillettes, souliers
vernis ou escarpins prêts à glisser sur une scène de bal aussi fastueuse que
celle du château de Chenonceaux pour la soirée des prétendants à la couronne,
l'irruption de Ravaillac en jupons, armées de couteaux de cuisine pour en
découdre dans un corps à corps perdu d'avance, éclata au grand jour ! Ces
malheureuses étaient censées gagner la porte du paradis en faisant mourir avec
elles un nombre conséquent de mécréants !
On
se félicita de ne pas avoir affaire à des personnes suffisamment instruites dans
l'art de la pyrotechnie car tout était prêt pour qu'un gigantesque feu
d'artifice explose près de Notre Dame de Paris, le fleuron du cœur royal, tuant
à l'aveugle touristes, amants de la beauté et adeptes d'une religion fondée sur
les principes de l'amour.
On
s'interrogea beaucoup sur les puissances occultes qui agissaient sur ces femmes
dont on vantait tant habituellement la pudeur, la réserve et le désir de se
cacher intégralement sous des voiles noirs pour n'apparaître dans toute leur
splendeur qu'à leurs maris.
Ces
derniers étaient d'ailleurs pour une fois relégués dans l'ombre car ces
combattantes apparurent aux yeux des rats d'élite habitués à la noirceur de
leurs assaillants comme des êtres maléfiques de première force.
Un
ancien haut gradé se souvint de guerrières aussi terribles à l'époque où
sévissait une idéologie jusqu'auboutiste aussi meurtrière, rappelant que les
femmes interpellées étaient si dangereuses qu'on devait les enchaîner durant
les interrogatoires car elles étaient prêtes à mordre, à griffer jusqu'au sang
ceux qui les incitaient à exposer leurs ressentiments.
Pour
ces femmes enragées, pas besoin d'armes particulières, un simple couteau de
cuisine faisait l'affaire.
On
cita des chiffres effrayants qui impliquaient femmes et enfants, prêts à offrir
leur vie en faisant basculer des innocents dans une mort programmée selon un
cérémonial satanique.
Et
pendant ce temps, se limant les ongles et entretenant sa coiffure de blonde qui
rappelait les champs de blé d'un électorat rural, la fabuleuse Stella
distillait ses paroles de miel avec parcimonie.
D'un
seul coup d'éventail, elle ferait disparaître ce mal absolu en frappant à la
racine, à savoir les mosquées.
Caressant
un rêve secret, elle souriait en songeant à la stupéfaction que son élection
engendrerait. Elle frapperait tout le monde d'étonnement en s'installant à
Trianon qui gardait l'empreinte de la reine Marie-Antoinette. C'est à
Versailles que le Général, référence suprême, avait reçu les grands de ce
monde, exigeant du pâtissier Le notre une composition fabuleuse, en
l'occurrence un cygne à base de choux et de crème glacée pour rappeler le faste
d'un pays, jadis gouverné par un roi qui servit d'exemple à l' Europe entière
et dont on se souvient pour avoir porté le titre de Roi Soleil.
Foi
de Stella, elle ferait renaître les beaux jours et tous lui en seraient
reconnaissants.
La
partie de cartes allait commencer et elle disposait déjà de la dame de cœur et
d'un joker.
Certaine
de gagner la partie, elle se retira en son Aventin et joua avec ses enfants en
riant à belles dents chaque fois qu'elle avait la main.
Cette
nuit là, le président rêva qu'il était enseveli dans un château de cartes et il
s'éveilla en se disant qu'une belle journée active allait chasser ces brumes
qui assombrissaient son devenir.
Sa
dame de cœur lui offrit la grâce de son sourire et il s'en fut, de par le
monde, à la recherche de son destin qui se conjuguait avec celui du royaume
dont la splendeur se rétrécissait comme une peau de chagrin.
Bien
malin qui pourrait dire le nom du gagnant de cette partie de poker menteur tant
les déclarations des uns et des autres étaient sujettes à caution, chacun
gardant en lui l'immuable secret qui lui permettrait d'abattre à la fin de la
partie, la main du triomphe.
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