Caché dans un rosier buisson, Narcisse,
chat persan adoré par la petite Léa, guettait un oiseau pour se faire les
griffes. On se moquait tant de lui à la maison ! C’était une peluche, un
chat juste bon pour remplacer une poupée ! Léa l’empoignait triomphalement
et le jetait sur le tapis, histoire de lui montrer qu’elle était la plus forte !
Et il l’aimait tant qu’il n’osait pas se servir de ses griffes à son encontre.
Il se contentait de remuer la queue et les oreilles en signe de mécontentement.
Cela n’impressionnait nullement Léa qui éclatait de rire.
C’est pourquoi, la mort dans l’âme, il
se résolut à sauter dans l’inconnu. Il écouta avec délices les appels angoissés
de toute la famille. Mais la petite voix claire de Léa lui hérissait le poil et
l’incitait à persévérer. La vue d’un rouge gorge le réjouit. Il s’apprêtait à
le blesser mais une petite voix stoppa son élan.
« Narcisse, je suis ton ami. Épargne
moi et je te donnerai les moyens de revenir en vainqueur chez toi ». Se
demandant si le bel oiseau ne cherchait pas à gagner du temps pour mieux le
duper, Narcisse hésitait. Cependant la perspective d’un retour triomphal le
séduisit. Voulant en savoir plus, il réclama des indices mais l’oiseau resta
ferme. Qu’il le suive à distance respectable et il serait récompensé.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Narcisse
abandonna son abri odorant et suivit l’oiseau qui l’entraîna dans un endroit
boisé, à l’écart du hameau familial. S’il s’est moqué de moi, je pourrai
toujours croquer la chair succulente d’un ortolan ou gober quelques œufs pensa
Narcisse. Il chassait les idées noires et de plus, il était trop tard pour
reculer. Ses coussinets étaient irrités car il n’avait pas l’habitude de fouler
un sol naturel. C’était un chat d’appartement ! Maudissant la famille qui
l’avait maintenu dans cette servitude, il reconnaissait cependant que la vie
était facile à la maison. Des croquettes vitaminées et de l’eau fraîche étaient
toujours à sa disposition. Dans cet environnement ingrat, l’eau avait un goût
de tourbe et son ventre commençait à lancer des signaux alarmants.
Cependant il n’eut pas le loisir de
nourrir des regrets car son guide s’arrêta enfin auprès d’une buse qui
conduisait, selon ses dires, de l’autre côté du ruisseau. « La fortune est
là ! » lui dit l’oiseau. « Si tu veux revenir en héros, il te
suffit d’avoir un peu de courage » ajouta-t-il. Ces paroles servirent d’aiguillon
à notre chat en mal de reconnaissance. Il pénétra bravement dans le conduit
obscur. Bien lui en prit car soudain un joli tas de pièces d’or s’offrit à son
regard.
Il ne pouvait pas s’emparer de toutes
les pièces mais il mit à profit le collier d’identité dont il était pourvu. Il
y attacha quelques louis et s’en revint le plus vite possible, miaulant avec
insistance sur le paillasson, une fresque de moquette à son image. La maîtresse
de maison le serra sur son cœur et lorsqu’elle découvrit les pièces d’or, elle
fut aux anges. Elle avait des loyers de retard et le propriétaire menaçait de l’expulser.
Ce trésor venait à point nommé !
Narcisse fut fêté. On interdit à Léa de
le manipuler comme un objet et un beau bol de croquettes lui fut servi.
Quelques jours plus tard, Narcisse
insista pour que sa maîtresse l’accompagne jusqu’au trésor. Ariane finit par
céder et tous deux se rendirent au bord du ruisseau, discrètement escortés par
le rouge gorge. La providence voulut qu’il y ait sur place une épuisette.
Ariane s’en empara et lui impulsa un
mouvement. Il fallut trois opérations pour que le trésor apparaisse enfin dans
toute sa splendeur.
Émerveillée,
Ariane serra Narcisse sur son cœur et rangea les pièces dans un petit sac qu’elle
portait toujours autour du cou.
Rubis, le rouge gorge porte bonheur,
décrivit une arabesque dans le ciel et ne fut qu’un point à l’horizon.
Narcisse calé contre sa poitrine, Ariane
revint à la maison. Il ne lui avait pas échappé que les coussinets de son chat
d’amour avaient été endommagés par les pierres du chemin. Il ne lui en fut que
plus précieux et plus héroïque.
Le propriétaire redevint aimable à la
réception des loyers en souffrance mais Ariane l’avertit qu’elle avait décidé d’acheter
une maison où elle serait plus à l’aise pour écrire ses contes. « Vous
avez toujours cru que mes livres étaient un investissement à perte, eh bien
vous avez tort puisqu’un éditeur de renom s’y intéresse ! »
Ariane n’était pas mécontente de donner
une petite leçon à ce propriétaire qui l’avait menacée d’expulsion. Bien plus,
il s’était moqué d’elle lorsqu’elle lui avait montré les ouvrages dont elle
espérait une bonne vente. Il était parti en ajoutant à son rire tonitruant et
méprisant un conseil perfide. « Pour commencer, débarrassez-vous de votre
chat qui ne vous rapporte strictement rien et vous coûte cher ». Ulcérée
par tant de méchanceté, Ariane avait pleuré ce soir-là, Narcisse constituant
son unique réconfort.
Elle fut heureuse de tourner la page
sombre de sa vie et emménagea bientôt dans une pimpante maison. Un jardin avec
une pièce d’eau et une charmille fut la récompense de Narcisse lors des beaux
jours.
Quant à Rubis, il vint rendre visite à
son ami et paracheva l’éducation de la petite Léa, une enfant confiée à Ariane,
nourrice agrée et écrivain à ses heures perdues : chaque fois qu’elle
manipulait Narcisse comme une vulgaire peluche, Rubis lui donnait un petit coup
de bec sur le doigt.
Au bout de quelques semaines, Léa
comprit le message et devint avec Rubis l’amie la plus fidèle de Narcisse,
amour de chat pour tous !
Superbe, j'adorrrrrrrre !!!!!!
RépondreSupprimerannie