Lettre à mon aimée
Douce aimée, pour tes vingt ans, je t’ai offert une broche
en argent. C’est un cœur orné de rubis et depuis j’espère que tu le portes,
tout près du tien.
Je pense à ces fêtes fabuleuses que j’ai organisées pour
toi.
Ici, dans les tranchées, je parle avec les rats et je
retiens mon souffle pour ne pas alerter ceux qui nous guettent, en face et qui
sont si près de nous que parfois, en période de relâche, des dialogues se
nouent.
Pourquoi, diable,
sommes-nous ici, à la merci d’une balle ou d’un éclat d’obus ou pire encore d’un
coup de baïonnette ?
Mais rien ne sert de penser au pire.
Alors, entre deux assauts, je sculpte ton visage dans un morceau
de métal destiné à la guerre et je façonne un sourire d’ange et des lèvres
pleines de retenue et de désir.
Ma douce-aimée, je ne te demande pas de m’attendre, juste de
penser un peu à moi et de broder sur du linge de table des bleuets et des
coquelicots, les fleurs qui poussent spontanément sur les champs de bataille
pour nous rappeler le bonheur d’aimer.
Douce-aimée, ce n’est pas la victoire que je te rapporterai
mais un pauvre corps couturé et douloureux dont tu ne voudras peut-être pas et
je ne t’en voudrai pas, vois-tu, car ici les corbeaux planent et emportent nos
rêves fous comme autant de rêves perdus.
Douce aimée, j’espère qu’une colombe emportera ma lettre et
qu’elle te trouvera, rieuse et pleine d’allant pour vivre nos deux vies qui n’en
font plus qu’une, au cœur de ta broche d’argent.
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