mercredi 6 mars 2024

Escapade au Domaine d'Espérance

 

 


Il y a quelques années, Claire de Montesquiou me fit l’amitié de m’inviter à participer à la journée Portes Ouvertes de son domaine.

Je viendrais avec quelques ouvrages fraîchement parus.

M’accompagneraient dans cette aventure mi-commerciale, mi-artisanale, un coutelier installé à Labastide d’Armagnac, ma cité d’adoption, un apiculteur qui proposerait le miel de ses ruches et des pains d’épices-maison, un charcutier traiteur qui avait un étal fourni en produits gastronomiques du Sud-Ouest, magrets de canard, foie gras d’oie et de canard, pâtés et rillettes ainsi que de nombreuses préparations culinaires issues de son laboratoire.

Naturellement Claire de Montesquiou proposerait les produits issus de ses vignes, Floc, vins rouges et vins blancs, sans oublier son produit phare, son Armagnac.

J’avais la place de choix dans la salle de réception qui était en fait la pièce réservée aux clients potentiels. Le coutelier était à mes côtés. Quant au charcutier et à l’apiculteur venu avec son épouse et leurs deux filles, ils se tenaient dans une pièce annexe.

Claire avait publié des invitations destinées à un public large.

Mon mari, toujours dévoué à ma cause, avait proposé aux commerciaux de notre cité, Titou figure légendaire de la boucherie-épicerie où l’on venait acheter des denrées et faire le plein de bonnes histoires, Colette Tortoré la propriétaire d’un café classé, le cœur du village, l’office du tourisme où se déroulaient les séances de L’âge d’or dont il était le président, Isabelle et Gilles Taris, les boulangers célèbres pour leur pain polka, leurs tourtières landaises et leurs gâteaux au chocolat et au café intitulés « bérets basques » , les invitations  écrites avec à propos de la propriétaire du Domaine d’Espérance, situé à Mauvezin d’Armagnac, cité déjà célèbre par la présence de l’actrice britannique incarnant Emma Peel dans Chapeau melon et bottes de cuir.

Bernard, mon cher mari, redoubla d’effort pour répondre à la demande d’invitations très soutenues, notamment par le biais de la boulangerie.

Au vu de l’engouement suscité par l’annonce de l’événement , les noms et les spécialités des participants ayant été clairement mentionnés, on pouvait s’attendre à un rush culturel, artisanal et gastronomique.

Nous devions être en place à dix heures du matin. Sur le pied de guerre, nous guettons la venue d’un acheteur potentiel en prenant un air détaché.

Au bout d’une longue attente, sans âme qui vive à l’horizon, le coutelier vint m’emprunter un livre pour « tuer le temps » selon ses propres mots.

Aux alentours de midi, nous n’avions pas vu l’ombre d’un visiteur.

Claire trompait son impatience et sa déception en grimpant à l’échelle pour fignoler la présentation de ses bouteilles.

A midi passé , il fallut se rendre à l’évidence : cette journée était un flop total même si l’on pouvait encore espérer la venue de visiteurs après le repas.

Si préoccupée par le déroulement de la journée, notre hôtesse avait complètement oublié l’organisation d’un déjeuner pour les participants !

Elle envoya des membres de son personnel de maison acheter du pain.

On s’installa dans le jardin et l’on mangea «à la bonne franquette »  les produits du traiteur et de l’apiculteur.

Le foie gras, des tranches de magret séchés accompagnant le pain frais comblèrent notre faim, floc, vins du domaine et carafes d’eau circulant pour étancher notre soif.

Pour ma part, je trouvai le pain d’épices délicieux.

Le comte de Montesquiou s’étant joint à nous pour « supporter » son épouse, l’atmosphère se détendit et l’on finit par rire de notre fiasco.

Je proposai alors de dire l’un de mes contes, celui qui se prête le mieux à une version orale, Les fées ne meurent jamais in A l’ombre des cerisiers en fleurs.

Je reçus une approbation enthousiaste à l’exception des deux petites filles qui se mirent à pleurer : leur mère m’expliqua qu’elles craignaient de subir une interrogation comme à l’école !

Ce nuage dissipé, je dis mon conte sans fausse note.

Le succès fut total. Louis de Montesquiou qui œuvrait dans une grande banque parisienne acheta un exemplaire  de A l’ombre des cerisiers en fleurs que je dédicaçai avec bonheur.

L’apiculteur m’offrit de la part de ses filles le reste du pain d’épices qui m’avait tant plu.

Cette pause terminée , nous attendîmes à nouveau les visiteurs qui se faisaient désirer.

Vers 15 heures, Claire nous annonça, du haut de son échelle qu’une personne marchait vers le lieu de rendez-vous.

«  Ne montrons pas notre impatience nous dit-elle, soyons absorbés dans une tâche ».

J’ai toujours de quoi écrire : il me fut facile de commencer le récit de notre folle journée. Pour le coutelier, ce fut plus difficile mais il rangea ses couteaux de sorte qu’ils apparaissent sous leur meilleur jour.

La visiteuse fit le tour de nos stands improvisés puis elle dit à Claire qu’elle était venue voir à quoi ressemblait cette Porte Ouverte et promit de revenir avec des amis, ce qui fut fait.

Vins et gourmandises diverses furent le pôle d’attraction des visiteurs.

Quant à moi, j’échappai à la honte de ne pas être aimée avec l’arrivée d’un voisin et ami, prénommé joliment Vandelin : il acheta quelques livres et plus encore, me promit de me soutenir à l’avenir pour que je sois reconnue par tous. Il avait un projet pour nous deux me dit-il , il avait l’intention de créer avec moi un  courant culturel local qui relancerait l’intérêt porté aux légendes gasconnes.

Hélas, ce projet ne vit jamais le jour car j’appris avec horreur le décès de cet ami véritable dans les mois qui suivirent la journée Domaine d’Espérance. Sa veuve vint me rendre visite et me montra toute émue les livres que j’avais dédicacés ce jour là et elle me confirma l’intérêt que son mari apportait à mes écrits : il avait entrepris les travaux préliminaires pour la création de l’association culturelle qu’il dirigerait, ses hautes fonctions au Ministère de L’Intérieur lui ayant donné l’aisance et l’autorité nécessaires à toute action.

La journée se termina sans ombre au tableau et aujourd’hui encore, j’aime me rappeler ces moments si charmants où le vent de la poésie réussit tout de même à souffler dans un lieu protégé, proche de l’esprit d’ Alexandre Dumas, l’auteur des Trois Mousquetaires, épris de langue française et de gastronomie.

Que vive le Domaine d’ Espérance et qu’il donne encore de beaux jours à notre beau terroir, la Gascogne !

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