mardi 23 décembre 2025

La révolte des Schtroumphs

 

 

 


Alors que les finances du royaume connaissaient une embellie, Tulipe d’Or s’y employant avec l’aide du baron Emmanuel, une révolte sourde s’empara du peuple des Schtroumpfs bien connu pourtant pour sa gentillesse.

Des signes précurseurs étaient venus d’une région qui avait toujours été contestataire, une terre de granit et de vent marin avec de vastes étendues de landes et d’ajoncs, la Bretagne. Arborant leur drapeau, ils inquiétèrent les royaumes étrangers qui crurent que le Grand Schtroumpf n’était plus de ce monde et que des révolutionnaires avaient renversé Tulipe d’Or. Or, comme d’habitude, les Schtroumpfs Bretons voulaient seulement signifier leur colère. Ce qui les motivait était uniquement un souci lié aux taxes et à la mévente de leurs produits car sous leur aspect farouche, ces fournisseurs de galettes, de biscuits au beurre et de bons jambons, de porc avec un assortiment de charcuteries fines, de boudins noirs et de plats délicieux aux aromates et légumes anciens, cachaient un cœur d’or.

Ce qui motiva leur colère fut l’annonce d’une taxe qui allait toucher leurs livraisons sur de petits parcours, les chariots lourds qui traversaient le royaume, en étant exonérés. Ils se coiffèrent de bonnets rouges et incendièrent les portails qui allaient mesurer leurs allées et venues.

Le cidre aidant, ils redevinrent les farouches opposants des rois qui faisaient trembler les trônes.

Récemment nommée, Reine du Poitou finit par apaiser les révoltés éternels.

Il est vrai que Reine du Poitou avait l’habitude de mettre un terme aux conflits les plus délicats. Lors de sa première nomination dans une région qui lui était alors étrangère, sous la présidence du mythique Entredeuxterres, elle avait été accueillie dans la langue du pays et si elle avait pu comprendre quelques mots pour avoir pratiqué la lecture de Rabelais, il lui était difficile de répondre. Restant stoïquement au bureau, elle avait finalement gagné la partie, un paysan l’ayant rejointe pour servir de traducteur. Ensuite sa renommée alla en croissant car elle favorisa des spécialités locales, la charentaise, le chabichou dont elle obtint l’AOC et donna suite à des projets modernes.

Cependant de l’eau avait coulé sous les ponts depuis la présidence de Entredeuxterres et les Schtroumpfs devenaient de plus en plus difficiles à gouverner.

Ils s’insurgèrent notamment contre la moindre exploitation d’un cours d’eau. Le plus petit ruisselet, s’il n’offrait plus de pépites devenait le trésor inaccessible. Le seul mot « barrage » déchaînait des actes subversifs et l’on voyait arriver sur les terres désolées du royaume des hors la loi arborant cagoules, foulards noirs et chaussés de bottes cloutées. La maréchaussée avait fort à faire avec ces êtres déchaînés et redoutait d’en blesser un, voire d’être la cause de sa mort. Ce malheur se produisit à la suite de manœuvres répétées de ces farouches défenseurs de ZAD. Ils demandèrent la démission d’Orson Maisoncarrée, le responsable de la maréchaussée. Ce dernier, originaire de cette terre de granit qui voyait poindre à la fois des révoltés et ceux qui aimaient l’ordre et la paix était lui aussi susceptible de figurer au nombre des héros balzaciens. Toujours bien mis, avec une élégance choisie, il possédait l’art de la rhétorique et mettait un terme en quelques phrases mesurées aux polémiques inutiles. Tel le défenseur du Colonel Chabert, remarquable ouvrage balzacien, il restait droit dans ses escarpins et l’on devinait derrière ses lunettes l’éclat de son intelligence et de sa volonté de briser toute révolte.

Il fut également secondé par la connaissance du terrain de Reine du Poitou. Elle fit preuve de bon sens, s’appuyant sur l’observation des castors. Ces animaux qui fréquentaient les rivières mieux que personne, fabriquaient des barrages lorsque le besoin s’en faisait sentir. Il suffisait donc de suivre leur exemple et de construire des barrages étagés pour que les cultures soient possibles.

La région était un laboratoire de tests en tous genres et elle pouvait donc apporter des solutions.

Ces problèmes liés à l’eau, la nature et l’environnement, le portefeuille de Reine du Poitou, étaient à peine en voie d’être solutionnés qu’éclata ou plutôt resurgit une vieille affaire. Il s’agissait de transformer un no man’s land où s’étiolaient quelques fleurs et croassaient quelques grenouilles en piste attrayante et touristique voire commerciale de montgolfières qui ne manqueraient pas de réveiller un arc endormi, celui de l’Atlantique. On proclamait sans cesse que le monde était à la portée du royaume grâce à un océan qui serait aisément franchi et au lieu de se réjouir d’un moyen de communication et de transport de denrées qui enrichiraient tout un chacun, on ne cessait d’empêcher le fonctionnement de ce moyen moderne de transport.

Une fois encore la maréchaussée fut appelée pour secourir les riverains de ces zones où se cachaient des êtres malfaisants qui surgissaient à point nommé lorsqu’ils apercevaient un peintre qui tentait d’appréhender la beauté de ces lieux. Leur violence était telle que les braves gens d’armes, pourtant aguerris aux combats se cachaient derrière leurs boucliers et après quelques attaques infructueuses, se repliaient pied à pied sous les coups portés par des enragés.

Tous ces événements navraient Tulipe d’Or car son unique souhait était de rendre le peuple des Schtroumpfs heureux. Rien ne se passait comme il l’avait prévu et chaque jour, il se demandait comment inverser la tendance néfaste de ces douloureux affrontements. Afin d’y voir plus clair, il décida de se rendre lui-même au monastère où le Grand Schtroumpf poursuivait sa méditation.

À son arrivée, il le trouva préoccupé par une donnée géométrique. « Jusqu’à présent, proféra le Grand Maître, tout s’est déroulé dans notre royaume selon un postulat qui stipule que la ligne droite est le plus court chemin pour aller d’un point à une autre. Or qu’en serait-il si l’on pensait au contraire que le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre n’est pas la ligne droite, mais le rêve ? » et il resta muet. On vit passer quelques anges et Tulipe d’Or s’exclama « C’est exactement ce que j’ai dit, plus ou moins précisément, dans mes discours. Il faut ré-enchanter le rêve disais-je et tout le monde m’applaudissait ! Aujourd’hui ils seraient nombreux à me lancer des pierres pour les mêmes propos » !  

D’autres anges passèrent puis Tulipe d’Or et le Grand Maître dirent en chœur : « Il faut prendre des mesures concrètes » !

J’ai lu dans le grimoire reprit le Grand Schtroumpf qu’un roi, surnommé le bon roi Henri, avait voulu que ses sujets puissent mettre la poule au pot chaque dimanche.

Oui, Maître, je me souviens de ce succès mais les temps ont changé. Des Schtroumpfs me reprocheraient de n’avoir pas pensé aux végétariens, des volaillers se battraient pour prétendre à l’excellence de leurs produits et finalement ils déposeraient du fumier aux grilles du château ! J’ai vu des vergers dont les arbres plient sous le poids des fruits. Des maîtres confiseurs pourraient en faire de merveilleux fruits confits gorgés de soleil, on pourrait aussi réaliser de bonnes confitures et bien sûr, en déguster au naturel mais je parierais que des Schtroumpfs grincheux m’accuseraient de vouloir les gaver de sucre, voire de m’en prendre à leurs dents et il y aurait aussitôt des émeutes ! Que faire pour plaire à ce peuple ingrat ? Si l’on ne prend pas de mesure, on vous le reproche et si l’on en prend, on vous en veut aussi ! Comme le disait si bien un chansonnier : fallait pas y aller !

Nos deux sages désabusés décidèrent de faire une pause, de se reposer et de prendre un peu de bon temps avant de chercher de nouvelles solutions.

Le lendemain, après une bonne nuit et un solide petit déjeuner à base de lait et de céréales, les deux amis partirent dans la campagne, un panier au bras et en pénétrant dans un petit bois, ils eurent la chance de trouver d’excellents champignons et des pousses de verdure savoureuses.

De retour au monastère, ils offrirent leur cueillette aux cuisiniers qui purent ainsi servir une magnifique tourte aux champignons et une salade de verdure et de fleurs. Le dessert consistait en une île flottante pralinée baignant dans une crème anglaise qui sentait bon la réglisse.

Chacun se retira ensuite dans sa chambre, reprenant le fil de sa méditation.

À cinq heures, on servit le thé et les mentors du royaume firent part réciproquement du fruit de leurs méditations.

Tulipe d’Or envisageait la reconquête de son royaume qui s’effilochait dans d’absurdes querelles picrocholines. Il lui faudrait se munir de la canne des compagnons et d’entrer dans les bourgs reculés où l’on ne savait de lui que des mensonges.

« Quelle excellente idée, les compagnons du devoir s’exclama le Grand Schtroumpf !

Voilà le moyen de reconstruire le tissu déchiré des entreprises du royaume ! Mille ans de réussite et de travail ! Renouons avec les traditions et nous retrouverons l’enthousiasme des Schtroumpfs si désabusés qu’ils se chamaillent comme des enfants !

Quant à moi, il m’est venu une idée, créer des escadrons, de petites unités qui iraient chantant vos louanges ! C’est ainsi qu’agit Schtroumpf Nerveux. J’ai bien observé ses déplacements. Il se constitue une clientèle de ville en ville et agit de mille façons pour capter des électeurs acquis à sa cause, y compris la force et la menace à mi- mot.

Chez nous, ce sera l’idéal qui parlera, le cœur humain, la chaleur fraternelle et la pratique du bon chemin ».

C’est un magnifique programme s’exclama Tulipe d’Or et j’ai hâte de le mettre en pratique. Il me faudra, à mon retour, le soumettre à mes conseillers. Ensuite nous verrons comment mettre en œuvre cette « reconquête ». Manolète me sera d’un grand secours et je le sais impatient de damer le pion à ce maudit Schtroumpf Nerveux qui surgit à tout moment comme le diable d’une boite ensorcelée.

Le numéro un du royaume prit congé de son hôte, le remerciant de l’avoir ainsi guidé sur le bon chemin et il s’en retourna au palais où l’attendaient intrigues, difficultés d’harmoniser les êtres et surprises bien souvent désagréables car depuis qu’il avait gravi les marches du pouvoir, il n’avait eu de cesse à démanteler des complots et des volontés parfois assassines.

Mais ses ennemis ignoraient une chose qu’il rappelait pourtant librement, le fait qu’il avait le cuir tanné et que rien ne pouvait l’effrayer.

Enfant, il avait été placé dans un internat tenu de main de fer par des Jésuites et à cette époque, il s’était déjà fait un nom parmi ses camarades. Son art d’éviter les châtiments corporels en usage dans cette maison où l’éducation impliquait le haut niveau, passait pour une force et depuis il avait su éviter tous les écueils de la vie, offrant une trompeuse bonhomie.

Non, il n’était pas doux, il essayait d’être juste, c’était le grand leitmotiv de sa vie, et foi de Tulipe d’Or, il le ferait savoir dans la terre entière s’il le fallait !

Qu’ils viennent, les spadassins de la politique, les menteurs, les tricheurs ! Il les affronterait à mains nues et il gagnerait, pour la seule raison que le salut du royaume était en jeu !   

 

 

           

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