Mes parents n'avaient pas d'amis dans notre village, juste des relations et la
plus intéressante, à mes yeux, était une fabricante de meubles, veuve et chef
d'entreprise d'une grande clairvoyance. Elle conduisait ses affaires de main de
maître et lorsqu'elle se déplaçait, vêtue invariablement d'une blouse blanche,
on entendait le bruit de billets de banque qui crissaient dans l'une de ses
poches.
Parfois elle s'excusait auprès de nous et s'éclipsait dans la cuisine pour boire un café avec l'un de ses ouvriers et
immanquablement, après des recommandations diverses et des questions habiles
sur la famille, elle glissait un billet en précisant qu'il fallait le mettre
sur le carnet d'épargne et se garder des syndicalistes ! Papa n'était pas
oublié lors de la distribution de billets : grâce à son talent épistolaire, il
s'était attiré ses faveurs et rédigeait à sa demande une missive élégante pour
servir ses intérêts et du reste personne n'était oublié, il y avait un billet
pour moi, d'autres pour ses petits fils qui venaient en coup de vent lui
souhaiter le bonsoir. Quant à Maman , elle recevait des œufs, du beurre , des
coupons de tissu et d'autres cadeaux qui lui permettaient de vivre mieux.
Cependant ce qui me la rendait unique et adorable,
c'était sa connaissance approfondie de la Bible : elle nous en lisait des
extraits ou nous résumait certains épisodes assez longs, l'histoire de Joseph
par exemple et par ailleurs elle commentait des faits en nous livrant son
interprétation avec enthousiasme . Mes parents n'étaient guère passionnés mais
ces lectures et commentaires me comblaient de bonheur. Elle s'en rendit compte
puisque je suis la seule personne de la famille à qui elle ait offert une bible
!
Et je la lisais passionnément le soir, tâchant de
comprendre l'entrelacs de tous ces textes. L' histoire de David et celle de
Samson me plaisaient énormément mais parfois je lisais des textes qui me
semblaient obscurs et étranges ! Je n'avais que dix ans il est vrai !
Madame Veuve César Lambert, tel était son nom, fit
ériger un Temple dont elle paya tous les frais !
Elle fut ma "première morte" : ensevelie
dans sa fameuse blouse blanche et portant une liseuse qu'elle avait
confectionnée de ses mains, elle était immobile et je m'attendais toujours à ce
qu'elle se lève et me sourie mais hélas il n'en fut rien et je repartis, le
cœur lourd et la tristesse au coin des yeux
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