File la laine
Du haut de sa tour d’ivoire protégée par une forêt
impénétrable, une jolie princesse, Delphine aux cheveux d’or filait la laine en
observant de temps à autre les oiseaux venus picorer sur le chemin de garde
entretenu par des serviteurs diligents.
Delphine était de première force au fuseau mais elle
veillait à ne pas se blesser car pensait-elle avec justesse, les princes prêts
à braver tous les dangers pour venir sortir d’un sommeil profond une princesse
endormie à la suite d’une malédiction lancée par une fée offensée, se font de
plus en plus rares !
Sa compagne et dame de compagnie Laurette s’occupait du
train de la maison circulaire riche en beautés de toutes sortes.
Elles étaient ravitaillées par des escortes de fées
circulant en drôles d’engins ailés qui reposaient sur le principe motile des
insectes et des oiseaux.
Les journées se passaient agréablement, la princesse
répartissant ses journées en ateliers de filature et de lecture accompagnée de
séances d’écriture.
La laine filée devenait écheveau et des lutins industrieux
se chargeaient de teindre cette matière destinée à devenir tapisserie : l’or,
le bleu turquoise, le rouge teinté de pourpre et le vert se répartissaient les
zones à colorer.
Cette matière prête à passer au tamis du cercle à broder et
autres supports devenait ensuite un chant de grâce et de beauté.
Delphine relatait par ces tableaux peints le quotidien de
ses jours. Elle s’enhardit jusqu’à reproduire le visage charmant dont elle
rêvait en secret et ô surprise, ce prince se matérialisa et prit place à ses
côtés sans mot dire.
Laurette ajouta un couvert et le prince devint tout
naturellement un hôte qui fit voler un pan de cette vie si réglementée.
« Ne pensez-vous, princesse, qu’il serait souhaitable
que vous sortiez un peu de cette tour : le monde est si beau » !
Delphine émit quelques remarques frappées au coin du bon
sens : ne serait-elle pas désarçonnée par ce monde qu’elle ne connaissait
que par les livres ?
Je serai à vos côtés dit le prince et je vous protègerai de mon
épée si un danger vous menace mais je crois au contraire que cette vie de
recluse ne sied ni à votre beauté ni à votre devenir qui ne peut être que
grandiose.
Comment sortirons-nous de cette forêt imprenable ?
objecta la princesse.
Mais comme j’y suis entré lui rétorqua le prince, par la
force de l’esprit !
Et c’est ainsi que les hôtes de la tour d’ivoire prirent
congé du monde onirique dans lequel ils s’étaient enfermés et partirent à la
conquête du vaste monde, si beau et si appréciable lorsque l’on vient à oser
poser un pied devant l’autre pour en faire le tour !
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