Dans le cœur d’une rose
Dans le cœur d’une rose vibrait tout un royaume dont la
reine était aussi une fée.
Son prince prenait parfois l’apparence d’un oiseau-lyre pour
parcourir les terres gelées des souvenirs lointains.
Apparut un jour une jeune fille, en sabots, cheveux au vent.
Ses vêtements usés et troués en certains endroits
contrastaient avec la beauté séraphique de la seule personne qui puisse
rivaliser avec la reine.
Yseult, tel était son nom, se présenta à la cour en
plaignante.
La guerre l’avait contrainte à fuir son village en feu et de
nombreuses jeunes filles avaient subi des outrages de la part d’une soldatesque
cruelle et barbare.
Elle n’avait dû son salut qu’à la rapidité de gazelle dont
on la gratifiait au village.
L’état de ses vêtements plaidait en sa faveur car elle avait
été contrainte à se cacher dans les fourrés pour échapper à ses poursuivants.
Afin de marquer sa compassion et son admiration pour son
courage, la reine Rosemonde conduisit la jeune fille dans ses appartements.
Un bain parfumé l’y attendait, des vêtements de nuit en
dentelle, satin et soieries, mules brodées d’or avaient été préparés avec soin
et l’on apporta à la jeune conquérante un pichet de lait frais et des brioches
moelleuses pour qu’elle puisse passer une bonne nuit.
Pour que la réception soit complète, la reine envoya un
orchestre de poche, violoniste, violoncelliste et accordéoniste pour lui jouer
un aubade.
L’orchestre se retira
dès que la jeune beauté eut donné des signes annonciateurs du sommeil.
Le lendemain, une semblable aubade incita Yseult à se lever.
De jeunes demoiselles d’atour l’aidèrent à faire une
toilette complète et à se vêtir et se parer.
Aussi belle qu’une princesse de conte de fée, elle se rendit
à la salle à manger où on lui servit un excellent petit déjeuner.
La reine l’attendait dans le jardin.
Elle s’y dirigea et la trouva assise près d’une pièce d’eau
où nageaient des cygnes.
Yseult prit place à ses côtés, sur un banc et toutes deux
devisèrent jusqu’à ce que le soleil soit suffisamment haut dans le ciel pour
qu’il devienne une gêne.
Elles rentrèrent alors au palais et la reine fit savoir à la ronde qu’elle comptait organiser un
grand bal pour honorer la présence de leur hôtesse.
L’effervescence fut de mise.
Robes, compositions musicales, préparation de buffets, rien
ne fut laissé au hasard et l’on envoya des invitations aux quatre coins du
royaume.
Enfin le grand jour arriva.
Vêtue de mousseline rose et de satin blanc, les cheveux
tressés et ornés de minuscules roses blanches, Yseult fit sensation.
Des murmures approbateurs circulèrent à la ronde et les
princes s’empressèrent de lui retenir une danse.
Le bal fut très animé et le buffet reçut une foule de
gourmets, heureux de reprendre des forces et de conter fleurette à une belle
esseulée.
Cette nuit-là, il se noua tant d’idylles que, par la suite,
on fit référence au bal sous le nom de bal des fiancés.
Yseult était très courtisée mais chaque cavalier connut une
sorte de déception car, tout en restant courtoise, elle ne laissa aucun espoir
de romance possible, ce qui peut expliquer le succès d’autres jeunes filles,
plus accessibles.
Après avoir dansé maintes gavottes, valses et mazurkas,
Yseult éprouva le besoin de se promener dans le parc du palais.
Une licorne lui apparut et elle prit place dans un carrosse
qui semblait avoir été préparé pour lui offrir la féerie d’une promenade
inespérée.
Le cocher fouetta les chevaux qui partirent d’un bon train.
Le carrosse était confortable et garni de velours. Néanmoins
la dame de compagnie d’Yseult enveloppa sa maîtresse d’une pelisse pour qu’elle
ne prenne pas froid en s’endormant et les deux dames connurent un sommeil
profond jusqu’au lendemain.
Le soleil frappa aux vitres du carrosse, éveillant les
voyageuses.
Lors de cette halte, les chevaux prirent du repos tandis que
le cocher se dégourdissait les jambes en courant à petites foulées sur les
berges d’un lac où glissaient gracieusement des cygnes et des canards.
Des îlots de verdure les appelaient au large et c’était un
ballet incessant qui charmait les regards.
Alors que le cocher et deux laquais partaient en
reconnaissance des lieux dans l’espoir de trouver un logement et des vivres,
Yseult et Bianca, sa dame de compagnie prirent place sur un banc protégé par
des ifs et des saules pour suivre les évolutions lacustres.
Pendant ce temps, au palais de la rose pourpre, on se
demandait avec inquiétude ce qu’était devenue celle pour qui on avait organisé
un bal fastueux.
Personne n’avait vu le carrosse et par ailleurs on notait
également l’absence de Bianca, recrue récente, choisie pour seconder la belle
Yseult.
Sa coiffure notamment nécessitait les plus grands soins et
beaucoup de dextérité.
On se souvint qu’elle avait été recommandée par un prince
qui n’avait pas honoré l’invitation aux festivités et, dans cette mesure, il
devint le principal suspect.
On lui envoya une délégation qui revint bredouille.
Furieux d’avoir été soupçonné de la disparition de la jolie
fleur du château, le prince Igor fit seller son cheval et informa le grand
écuyer de la délégation qu’il se joindrait aux recherches.
Auparavant, il avait à cœur
de faire quelques vérifications.
Interdisant à quiconque de le suivre, il se rendit dans ses
domaines éloignés, pensant que Bianca aurait aimé goûter les joies campagnardes
en compagnie de sa dame.
Ces portes fermées, il se rendit au palais, non sans avoir
préparé des cadeaux pour honorer la reine.
L’arrivée du prince Igor fit sensation.
Une berline emplie de bibelots somptueux, vases de Chine de
l’époque Ming, rouleaux de soie, éventails et kimonos brodés fit l’admiration,
par son contenu, de toutes les personnes présentes au château.
Une cassette de colliers de perles et de bijoux précieux
était destinée à la reine qui se para avec joie et sobriété de ces belles
pièces, réservant les plus belles pour Yseult dès qu’elle serait de retour.
Afin de remercier le prince Igor de sa générosité et de son
aide apportée aux recherches de sa filleule, la reine commanda aux cuisiniers
un festin raffiné.
Pâtés en croute, vol au vent de poularde à la crème, carrés
d’agneaux aux champignons et, pour le dessert, gâteaux roulés à la crème
d’amandes et religieuses au moka se succédèrent pour la plus grande joie des
convives, le tout accompagné de vins de Cahors et de Jurançon ainsi que de
pichets d’eau pétillante naturelle et de carafes de sirops de fruits.
Après ces agapes, on décida d’établir un plan de reconquête
des fugitives et l’on envoya, à nouveau, des hommes aguerris et quelques femmes
diplomates pour recueillir des indices en parlant aux villageois.
Seule, une aïeule aveugle qui charmait petits et grands lors
des veillées, par ses contes fleuris parla d’un carrosse tracté par huit
chevaux. C’est l’ouïe qui lui avait offert cette révélation. Selon ses dires,
les chevaux allaient bon train. Elle put indiquer la direction prise par
l’attelage.
La reine décida de suivre l’unique piste qui leur était
donnée et elle envoya des émissaires sur cette route improbable.
Le prince Igor fit venir ses meilleurs guerriers et ils
partirent fièrement, bannière au vent, pour délivrer les prisonnières car
c’était surement d’un rapt qu’il s’agissait !
Or l’organisateur de l’enlèvement n’était autre qu’un
enchanteur.
En visionnant dans sa boule de cristal les événements
majeurs et divertissants organisés dans les royaumes, il avait eu un coup de
foudre pour Yseult.
Sa beauté l’avait littéralement envoûté, c’est pourquoi il
avait dépêché ce carrosse et son équipage invisible à autrui afin de charmer, à
son arrivée, cette princesse de légende.
Toute de soie vêtue, avec la parure de sa magnifique
chevelure, elle s’imposait à lui dans l’éclat de sa divine splendeur.
Il avait fait enlever sa dame de compagnie pour ne pas
éveiller les soupçons de sa dame de cœur.
Bianca lui rendrait, de plus, la vie plus facile et plus
souriante au palais, paré pour la venue de sa belle.
Il rêvait de faire sienne la beauté d’Yseult, envisageant la
venue de petits princes et princesses pour se l’attacher à tout jamais.
Afin de plonger ces dames dans une ambiance romanesque,
l’enchanteur mit à profit ses talents pour présenter un décor à la hauteur de
ses sentiments.
La salle de réception devint un opéra fabuleux où l’on
assistait à des scénettes évoquant des contes de fées célèbres, La Belle au
bois dormant, Peau d’âne et autres histoires fabuleuses telles que La Belle et
la Bête.
Les chambres étaient une ode à l’amour avec une profusion de
petits dieux sculptés ou peints et des psychés ouvragées où l’on découvrirait
la splendeur des toilettes et des coiffures lors des réceptions.
Verrines de crèmes de volaille au tapioca, agneau cuit à la
broche, préparations champêtres à base de truffes, cèpes et plantes odorantes,
tartes aux myrtilles, puits d’amour, cake de Peau d’Ane où se cachait une
chevalière aux armes de l’enchanteur furent prestement mis en œuvre pour
charmer ces dames.
Lorsqu’elles arrivèrent, elles furent littéralement
envoutées par les décors, la musique et la présence d’un jeune homme au
physique agréable et à la conversation divertissante et raffinée.
Après avoir bu du thé au jasmin, Yseult et Bianca décidèrent
de se retirer afin de rafraichir leur toilette.
Leur hôte les
encouragea à prendre un peu de repos avant de participer à un banquet donné en
leur honneur.
La cloche du repas retentirait avec suffisamment d’avance
pour qu’elles puissent se parer.
Les délices de ce repas furent sans égales et des intermèdes
musicaux et poétiques trompèrent l’attente entre chaque plat accueilli avec
admiration tant la décoration soulignait l’excellence des mets.
Troubadours, ménestrels, poètes et monteurs d’ours se
succédèrent pour la joie de tous car les convives étaient nombreux à la table
du maître et les conversations allaient bon train.
On servit de l’ambroisie et de l’élixir d’angélique.
Enveloppées de douceur, Yseult et Bianca se laissèrent
charmer par leur hôte qui rivalisait avec les meilleurs poètes du temps pour
leur offrir des madrigaux et des ballades.
« Yseult, la belle aux cheveux d’or, tu règnes sur mon
cœur avec tant de voluptueuse splendeur que les rubis s’échappent de ma
poitrine pour que je t’en fasse présent.
Sache que ma destinée est liée à la tienne et que je rêve de
m’unir à toi dans une étreinte si passionnée que j’en mourrais si je n’étais
pas le bon génie de la plaine où je règne depuis des milliers d’années.
Accepte d’être ma reine, ô Yseult aux grands yeux de porcelaine
et je t’aimerai tant que tu ne pourras jamais me quitter ».
Yseult n’eut pas le loisir de répondre à cette déclaration
enflammée car il se fit un grand fracas et le prince Igor entra, l’épée à la
main.
Surpris, le génie n’eut pas le loisir de déclencher un
phénomène d’enchantement et il préféra dissoudre son palais et disparaître dans
une tornade dorée.
Les trois survivants du cataclysme se retrouvèrent sur le
sable et le cocher obéit aux injonctions du prince Igor qui fit mettre le cap
sur le palais de la rose ardente et tous revinrent sains et saufs de ce périple
inouï qui fut à l’origine d’une romance entre la belle Yseult aux cheveux d’or
et le prince Igor, heureux d’avoir pu charmer celle que tous admiraient.
Les noces furent programmées puis Yseult quitta le palais
pour se rendre chez son époux auprès duquel elle vécut de longues années
enchantées.
Bianca trouva un époux lors du bal qui suivit la noce et
toutes deux restèrent amies jusqu’à ce que la mémoire leur fasse défaut.
C’est ainsi que s’achève cette histoire fabuleuse qui doit
rappeler aux jeunes filles qu’il faut se méfier des enchanteurs et de leurs envoutements.
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