La gardienne du Graal
Après une longue chevauchée, Blanchefleur parvint au château
de Ponthus où elle reprit ses habitudes de maîtresse de maison.
Sa chambre était, selon ses désirs, épurée de tout ce qui
servait à la toilette et aux accessoires de beauté, se concentrant sur la
chevalerie et son environnement.
Elle partit en équipage de guerrière sur les lieux sacrés et
observa l’environnement avec attention, repérant l’endroit précis où elle
devrait faire son entrée, au milieu du tonnerre et des éclairs si un guerrier
impudent s’avisait de s’emparer du gobelet d’or qui était sur le perron pour renverser
de l’eau dans la fontaine qui se mettrait instantanément à bouillonner avec
furie, déclenchant un orage terrifiant et destructeur.
Jehan de La Bruyère avait accueilli sa dame avec soulagement
car s’il s’était toujours acquitté de sa tâche avec précision et dévotion, il
ne se sentait pas investi par la tâche sacrée et se disait qu’il ne pouvait
être là que pour servir d’intermédiaire avant l’investiture du véritable
chevalier gardien de la fontaine.
Il ne s’était jamais du reste installé au château, occupant
une aile réservée aux chevaliers de garde en compagnie de son épouse qui était
une jeune fille originaire de son village et non une grande dame à qui il ne
pouvait prétendre.
Blanchefleur lui confia des présents venus d’orient pour en
offrir à la ronde.
Gwendoline et sa maisonnée ne furent pas oubliés et Dorian
remercia la dame-chevalier pour la magnificence de ces cadeaux qui seraient les
plus beaux ornements de chacun.
La nouvelle du retour de la dame des lieux se propagea et
quelques étourdis en furent pour leurs frais : une dame-chevalier, allons
bon !
Ils ne purent raconter leurs exploits car Blanchefleur leur
apparut dans toute sa splendeur guerrière, dans le tonnerre et les éclairs, et
les étendit sur le sol, pantelants, ensanglantés et moribonds !
Ils s’étaient vantés de la reconduire à ses travaux de
broderie, bien mal leur en prit !
Jamais chevalier n’avait produit un tel effet aussi
terrifiant et l’expression « dans le bruit et la fureur »s’attacha à
la personne du chevalier dont on oublia définitivement qu’il s’agissait d’une
dame.
Gardée par une personne de cette qualité, la fontaine
retrouva des couleurs et des bardes et des druidesses vinrent sur ses bords
pour chanter ses louanges.
« Fontaine des amours, ô fontaine chérie par les
divinités celtiques, nous venons auprès de toi pour célébrer ta beauté
ineffable et ta source miraculeuse.
Le déesse qui sourde en toi et symbolise ton essence
incomparable et ton mystère, jaillit avec flamme et nous souhaitons préserver
pour toujours ta vénérable ardeur.
La jeune fille qui oindra son front de ton eau sera
sauvegardée de toute attaque sauvage et rentrera dans ses foyers, sûre de
trouver bientôt un époux qui saura la rendre heureuse.
Le bébé atteint d’une maladie que toutes les plantes de la
forêt n’ont pu guérir avec efficacité retrouvera la santé si l’on imprègne les
parties malades de son corps avec ton eau limpide.
Enfin, s’il se trouve, par malheur, une personne atteinte de
folie, elle retrouvera la raison en buvant cette eau miraculeuse qui peut nous
guérir de bien des maux, salutaire grâce à sa source qui puise les forces
souterraines de la terre sacrée de Brocéliande » .
Ainsi chantaient, avec des variantes, druides et bardes et
bientôt il se trouva des poètes qui s’inspirèrent de l’efficacité et de la
beauté de la dame guerrière qui préservait
le patrimoine sacré de la terre celtique pour chanter l’inépuisable
valeur de Dame Blanchefleur, garante de l’éternité de leur fontaine qui ne
cessa d’être renouvelée par des eaux miraculeuses, dotées des pouvoirs de maitres-
sourciers, œuvrant en toute modestie dans ce domaine éternel de la vivifiante
beauté.
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