Elle était si belle,
notre Servane, que lorsqu’elle entrait dans la salle des professeurs, on
croyait apercevoir les ailes d’un ange et elle était aussi talentueuse,
maîtrisant la langue de Shakespeare avec une aisance et un accent parfaits. Elle
cuisinait comme une reine après avoir vécu en compagnie de son mari dans un
camp palestinien. À Beyrouth où ils échappèrent plus d’une
fois à la mort, elle était au service de sa belle-mère, utilisant les rares
moments du couvre-feu pour se procurer à la hâte les denrées disponibles afin
de les transformer en plats appréciables.
L’exil en France leur
fut salutaire. Salah obtint l’asile politique et Servane retrouva sa Bretagne
natale. Le doctorat de Salah fut assimilé à un CAPES et il enseigna dans un
lycée Rennais tandis que sa femme évoluait dans la sphère des lycées
professionnels.
Je les ai connus tous
les deux successivement sans établir de lien tant Salah paraissait libre de
toute attache. C’est auprès de moi qu’il se réfugiait le plus souvent,
dissertant avec sa voix chantante au sujet des Croisades et fustigeant nos
chevaliers qui passaient, il est vrai, pour incultes et grossiers face au monde
arabe cultivé du XIIIème siècle.
Lorsque je les vis
ensemble, il me sembla que ce couple avait une fêlure. J’appris, petit à petit,
après le drame que cet homme si charmant, prêt à conter fleurette à toute
personne féminine naïve, une sorte d’exercice de style, nourrissait une
jalousie féroce en son cœur.
Et c’est ainsi qu’un
terrible lundi, on apprit au lycée la mort de Servane poignardée à treize
reprises, un coup par année de mariage dirent les avocats de la malheureuse,
par un inconnu dont on soupçonna vite l’identité, en la personne du mari,
Servane s’étant résignée après tant de déboires à demander le divorce. Après
avoir entendu du bruit, son fils Marouane 12 ans trouva Maman dans la cuisine
baignant dans son sang, la petite Bahia, 5 ans, dormant comme un ange.
C’était à 4 heures du
matin !
L’enterrement de
Servane eut lieu le mercredi matin et une délégation dont je faisais partie
assista aux obsèques. Mon mari et mes fils tinrent à m’accompagner et ce fut
une terrible cérémonie où l’on entendit au cimetière la belle voix de Fayrouz,
la chanteuse libanaise dont Servane aimait les mélodies et les interprétations
d’un grand classicisme. Servane parlait l’arabe ; c’était encore l’une de
ses qualités.
On jeta une rose sur
son cercueil et je ne pouvais pas m’empêcher de songer aux fameux treize coups
de couteau dans un si joli corps épargné par les maternités.
Une élève déclama un
compliment en anglais, de sa plume, et éclata en sanglots, se réfugiant sur mon
épaule tandis que mes jeunes fils restaient interdits devant tant de douleur !
Le lendemain, un professeur d’anglais
arriva au lycée pour remplacer Servane. La direction ne lui ayant rien dit, il
m’appartint de la mettre au courant de la terrible tragédie. Mais était-ce
vraiment un hasard si j’étais la seule à me trouver dans la salle des
professeurs au moment où la secrétaire me passa le relais ?
Terrible !
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