Organdi, tulle, nylon
de la première génération, tabliers brodés, robes de laine… j’ai vécu les
premières années de ma vie dans une ambiance rythmée par les coups de pédale
donnés à sa machine à coudre Singer par une mère vouée à la beauté du linge, de
la couture et des toilettes originales.
Ensuite j’ai connu un
autre univers, triste et gris avec porte-plumes et encriers, le tout pour
écrire sur une table inclinée, s’ouvrant sur un casier où l’on rangeait les
cahiers. J’aimais par-dessus tout ce qui se référait à la lecture. Il y avait
une petite bibliothèque et je dévorais les livres. C’est l’institutrice qui
choisissait les ouvrages et comme je figurais au nombre des privilégiées, je
devais souvent me contenter d’un second choix. Mes petites camarades peinaient
à déchiffrer le français et c’est ainsi qu’un jour, il ne resta pour moi qu’un
vieux livre de lecture nommé L’Anneau d’Alma. C’était un livre destiné à la
classe car il y avait des exercices lexicaux et grammaticaux à la fin de chaque
chapitre. Le livre était presque repoussant tant il avait été malmené, écorné
et du sparadrap jauni, réparait tant bien que mal des déchirures. Et pourtant
le contenu du livre m’émerveilla. C’était un conte découpé en séquences dont le
personnage principal était une rivière, la Dordogne. Une jeune fille nommée
Félicia en était l’âme ; elle était pourchassée par Malvina, la sorcière
qui voulait multiplier les obstacles pour tarir les eaux profondes. Au moment
où Félicia, épuisée, allait être rattrapée et mourir avec la rivière
agonisante, l’anneau d’Alma, un élément magique lui était offert par un aigle
et la sorcière était instantanément pulvérisée tandis que Félicia retrouvait
toute sa beauté, nageant avec bonheur dans une eau pleine de vigueur et d’éternelle
lumière blonde.
Ceux qui ont lu mes
contes voient ici se déployer la matrice de mes créations vagabondes, allant de
çà, de là, sur les cailloux blancs du lit de la rivière, mon héroïne cachée.
Lorsque je rentrais à
la maison, après la classe, je n’avais pas le loisir de parler de mes émotions
car pour des parents traumatisés par les affres de la seconde guerre mondiale
assortie de privations, les préoccupations étaient essentiellement tournées
vers la nourriture. La guerre était finie mais il y avait encore des tickets de
rationnement et mon père faisait des kilomètres à bicyclette pour s’approvisionner
en café en Belgique.
Les retours à la
maison après la classe étaient embaumés par du pain perdu saupoudré de
cassonade, de chocolat chaud, et plus tard, comble de luxe, de pain d’épices
acheté au marché. Ma mère partait avec un billet de mille francs afin de ne pas
trop dépenser mais elle se laissait toujours tenter par un article et laissait
une petite ardoise que je devais taire à tout prix à mon père. Puis ce furent
les années lycée, assorties parfois d’internat, très dures pour une petite
villageoise car s’il est vrai que j’étais la reine du savoir en mon village, il
n’en était plus de même dans le lycée d’une grande ville. Néanmoins, je gardai
des places de première en rédaction et en histoire. Je souffris beaucoup durant
ces années d’études mais je me pris peu à peu au jeu de la passion pour la
littérature et je me retrouvai avec étonnement et joie dans une salle de classe
mais cette fois, sur l’estrade du professeur.
Catapultée dans l’univers
enseignant sans avoir suivi de formation, je me trouvai tout à coup à la rentrée
face à une classe de sixième alors que je me sentais encore proche de l’enfance.
Durant la rencontre préliminaire avec les enseignants et la terrible principale
qui manageait son petit monde d’une poigne de fer, j’avais demandé ce que je
devais faire précisément en ce jour de rentrée et l’on m’avait rassurée en
précisant que je n’aurais quasiment rien à faire, étant donné que l’on
distribuerait livres et matériel et que des consignes générales seraient
données aux élèves par le professeur principal, chevronné et habitué à ce genre
d’exercice.
En fait, toutes les
tâches matérielles furent expédiées en un temps record par ce professeur d’histoire
géographie à l’autorité naturelle, ce qui n’était pas mon cas et je dus faire
face aux regards interrogateurs de ces enfants à qui je devais enseigner le
français et une initiation conséquente au latin.
Pour meubler l’espace-temps,
j’écrivis au tableau un poème que j’avais beaucoup aimé en classe de cinquième
et que je connaissais encore par cœur. Il s’agissait d’un poème de Maurice Maeterlinck
et il y était question d’une fée : « Dès qu’Urgèle apparut, en
robe verte et blonde, et qu’elle leur sourit avec simplicité, l’un des enfants
lui dit : c’est l’hiver sur le monde, non dit-elle c’est l’été… » Au
premier rang, il y avait un élève qui fronçait les sourcils. Il leva le doigt
avec beaucoup de fermeté pour me poser une question que je trouvai étrange sur
le coup : « Qu’est-ce que c’est les fées ? ».
Un peu désarçonnée, je donnai une réponse mais je vis
bien que je n’avais nullement convaincu Francis Lebrun, rationnel et carré. Il
m’aida beaucoup à évoluer positivement dans le monde professionnel, m’obligeant
à apporter, à l’avance, une réponse à une éventuelle remise en question de mon
univers personnel. Le même levait le doigt lorsque je parlais d’un auteur : « Il
est mort ? », manifestement déçu lorsque je répondais positivement. C’est
grâce à lui que je me mis en quête d’auteurs vivants et que, par la suite, je
fis connaître à mes élèves Eugène Guillevic, Patrick Poivre d’Arvor pour son
livre Les Enfants de l’Aube et des écrivains rennais que j’accueillis en
classe, Évelyne
Brisou Pellen notamment qui répondit sans complexe à des questions concernant
les rémunérations des écrivains.
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