Chargée d’angélique, une
barque se fraie un passage parmi les sarcelles et les colverts. Une jeune femme
dont le tee-shirt porte l’empreinte des iris de Van Gogh rame en chantant.
J’ai emporté un peu de
lumière dans un sac de toile et l’ai déversée sur la table du séjour : de
l’or en lingots est apparu puis s’est résorbé en taches qui ont nimbé les vieux
meubles d’un orient vivace.
Les fées de mon enfance,
métamorphosées en héroïnes du grand Meaulnes se sont relayées au piano pour y
jouer des impromptus de Chopin.
Leurs robes de mousseline
effleurent le carrelage rustique, leur donnant ainsi l’aérienne fragilité des
libellules. Araignées des marais, elles tissent d’invisibles toiles argentées
qui tranchent sur le vert franc des feuilles ondulant au gré du vent. Ces
longues nappes serpentent, troublées de temps à autre par la traversée d’une
flottille de cygnes ou de poules d’eau.
Vêtue de noir, la sylphide
des marais vogue sur l’eau en laissant ses cheveux capter l’harmonie du vent.
Sa romance conte l’aventure
d’un batelier ensorcelé par la vénus verte qui se cache derrière les roseaux
pour éblouir les hommes à l’âme sensible et les conduire vers quelque trou d’eau
où ils se noient en croyant étreindre l’émeraude vive de son corps.
Les vouivres se faufilent
sur les pierres plates à la recherche d’un éclat de soleil.
L’arabesque du martin
pêcheur ocelle de turquoise le ruban vert de la rivière en lui offrant la
parure de l’oiseau-lyre.
Empanachés, les ragondins se
cachent dans leur tanière, soucieux de mettre à l’abri leur chair délicate et
leur fourrure.
Un bœuf patauge dans le
marais et beugle tristement, de l’eau à mi-corps.
La Fée du marais tricote en
marchant. Ses points s’entrelacent en s’étoilant. Des vers luisants parsèment
sa traîne noire de minuscules diamants. Elle danse sculptée de lumière vive.
Ses pieds nus effleurent la terre humide, sa taille s’amincit, ses bras s’allongent,
sa chevelure de déploie et s’enfle jusqu’à devenir peuplier qui gémit sous le
vent.
Je l’ai entendu chanter un
soir, alors que la lune se voilait de brume. Voici sa chanson :
« Oublie ta peine,
batelier,
La fée du marais joue de la
harpe dans les peupliers.
Au rouet, la belle Ophélie
amasse le fil qui tissera sa robe de mariée.
Elle chante, ignorant que,
bientôt, elle partira au gré de l’eau.
Moi qui suis sa marraine, je
la recueillerai comme un bateau
Et nous voguerons parmi les
iris d’eau
Au pays éternel de la terre
mouillée ».
Le peuplier se tut et la Fée
du marais s’évanouit dans la brume flottant jusqu’au petit matin en nuage
fugace, gage de l’union terraquée sous les orgues du vent.
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