« Le soleil éclate en
pivoines d’argent dans l’eau pure du miroir aux fées. L’ondine tresse des couronnes
blanches et se love dans un rayon miel.
Des nénuphars émane une
musique qui charme un ange caché dans un nuage au large d’Avalon.
Le rose de sa robe est si
délicat qu’aucun peintre au monde ne pourrait le fixer sur une toile. Seule la
dame du lac y parviendra.
Ce tableau, je l’ai vu, dans
un rêve, je crois.
L’ange cherche en vain son
double séraphique sur le bleu de la toile. Cet autre moi erre au royaume d’Avalon,
en un endroit où terre et eau se confondent, s’illusionnent mutuellement pour
créer un tissu féerique où la vie s’irradie, turquoise ou iroise, au son de la
harpe du vent.
D’invisibles violons offrent
une brisure sacrée à cette terre prête à basculer dans le néant.
La dame du lac déploie ses
longs cheveux. Leur blondeur scandinave ou vénitienne frappe le miroir d’un or
ancien. Son double, une nymphe aux cheveux bruns s’évanouit dans la brume. Elle
seule créera le reflet lumineux de sa chevelure. C’est encore elle que je vois
dans la bulle bleutée d’une eau si claire qu’elle en devient aérienne,
montgolfière azurée où dérive l’enfance.
Toi qui es résurgence de
source, reviens à la vie. Cours dans les champs de blé, tresse des couronnes de
bleuets, sois propice aux moissons ! ».
Après cette invocation à l’antique,
Cyril s’allongea sur l’herbe, rêvant encore à cette ondine si pure, si
lointaine. Le regard vert l’avait cloué au sol puis les mots fous s’étaient
heurtés dans sa tête avec une telle rapidité et un tel éclat qu’il s’était cru
emporté par le délire.
Quelques heures plus tard,
il se trouvait devant son chevalet, fixant la mouvance bleue de cette
apparition.
Avec du recul, il n’osait
croire à la réalité de sa toile : « elle » était là, vivante,
prête à se détacher ainsi qu’une voile s’approche du rivage. Un papillon
diaphane se fondait en un rose mousseux dont on imaginait la fragrance. La
somptueuse robe de cour brodée de perles en forme de nénuphars ancrés sur la
trame turquoise par de minuscules bouquets d’or jetait une note vénitienne,
accentuant ainsi la clarté du regard et la délicatesse du visage.
Une souffrance folle s’empara
de lui : serait-elle la propriété d’un esthète ?
Il saisit un miroir et se
vit tel qu’il était : élancé, plutôt brun, des paillettes d’or dans ses
yeux couleur jade …
Puis leurs reflets tendirent
à se mêler. Un peu de sa blondeur féerique et il pénétrerait dans ce royaume
enchanté où elle vivait, s’échappant du chevalet où il avait tenté de l’emprisonner.
Soudain, sa présence devint
musique. Cyril ferma les yeux, ébloui par une immense clarté qui inondait son
atelier. Une pluie de roses nouées de perles joncha le sol ; une petite
main gantée de soie se glissa dans la sienne, douce, chaleureuse.
C’est alors que Cyril fit, à son insu, une
apparition sur la toile sous la forme d’un goéland.
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