Le salon d’argent
Un salon resplendissant d’ornements d’un blanc reflétant la
lumière et doté de fauteuils dorés et d’une scène de théâtre décorée selon les
critères légendaires, s’offrait aux yeux éblouis de Blanchefeur qui n’avait
jamais rien vu de tel.
La Dame Blanche apparut sur scène et prit la parole sans
interlude d’aucune sorte.
« Je suis née dans un domaine qui respirait le bonheur.
Choyée par des parents aimants, j’étais loin d’imaginer que la foudre du
malheur allait s’abattre sur moi dans la fleur de mes seize ans.
Alors que je me promenais dans les allées du parc, un homme
surgit, me fit respirer un parfum opiacé et m’emporta sans que je puisse
opposer la moindre résistance.
Puis je revins dans le parc, croyant que quelques instants s’étaient
écoulés depuis cette sorte de cauchemar mais en voyant la stupéfaction mêlée à
la joie sur tous les visages, je compris que mon absence avait été durable. Un
an me dit-on, j’étais partie toute une année sans laisser le moindre indice de
ma présence dans les domaines proches du nôtre.
Tous les voisins avaient juré qu’ils ne m’avaient vue en
aucune demeure gérée par leurs soins.
Pour raconter la suite de mon aventure, je vais demander à
Merlin, mon ami, mon bienfaiteur, de prendre la parole car ce sujet, quoique lointain,
m’est encore douloureux. »
Enora rejoignit Blanchefleur, s’assit à ses côtés tandis que
fleurissait un intermède musical.
On leur servit des palets de dame, une délicieuse pâtisserie
aux saveurs épicées et un verre d’hydromel pour les plonger dans une atmosphère
féerique.
C’est alors qu’apparut sur scène, enrobé dans un nuage
poudré d’or, Merlin en toute majesté.
Il poursuivit le récit.
« Le temps passa puis on parla de moins en moins de l’aventure
d’ Enora et ce, d’autant plus qu’elle ne se souvenait de rien, à l’exception d’étranges
rêves. Elle se voyait, vivant aux côtés d’un dieu aquatique, mi-homme, mi-
poisson.
On fit savoir au château et à la ronde qu’il ne fallait plus
importuner la jeune fille en sollicitant sa mémoire.
Peu à peu, le souvenir de son étrange disparition s’effaça
et l’on songea tout naturellement qu’un beau mariage clôturerait cet épisode
fâcheux.
De nombreux prétendants se déclarèrent tant la beauté d’Enora
était bouleversante.
La jeune fille ressentit une vive inclination pour un bel
homme peu fortuné mais doté de l’art de plaire en toutes les manières.
Il s’agissait d’un baron dont le prénom était celui d’un
héros légendaire, Olivier, cité comme le meilleur ami de Roland dans ce poème
épique.
De fontaines en ruisseaux avec causeries dans le jardin d’amour,
il se noua une idylle comme on n’en voit que dans les romances.
Personne ne s’offusqua du choix de la comtesse et l’on s’affaira
pour les préparatifs d’un magnifique mariage.
Tout fut au rendez-vous, faste, cérémonie émouvante où la
mariée apparut, rayonnante, sa belle chevelure retenue par un diadème d’argent
serti de fleurs d’oranger en pierres ciselées, couleur nacre et topaze ainsi
que mille et une merveilles.
On vit même un éléphant, offert par un prince africain.
Le repas fut à la hauteur de l’événement. S’ensuivit un bal
ouvert par les mariés qui s’esquivèrent dès que la fête battit son plein.
Et c’est alors qu’un drame se produisit. L’amoureux éperdu
de sa jeune épousée constata que la mariée ne méritait pas d’arborer les
insignes de la virginité.
Enora se défendit en sanglotant mais l’époux fut inexorable.
Il fit atteler, de nuit, un attelage, appela des amis
fidèles, sensibles aux codes de l’honneur. Ils acceptèrent de le suivre dans
ses desseins funestes et ils emmenèrent la mariée, revêtue de sa belle robe
immaculée, pour la conduire au tombeau et l’y ensevelir, vivante.
C’était sans compter sur Merlin l’enchanteur dit
malicieusement le conteur car au moment même où ils firent descendre de la
calèche la belle Enora pour lui réserver la plus cruelle des morts, la jeune
femme fut subtilisée par une poupée qui ressemblait, à s’y méprendre, à la belle
épousée.
J’emmenai Enora dans un château digne de sa beauté, celui
que vous connaissez, tandis que les jeunes gens, avides de vengeance et pleins
de cruauté ensevelissaient le subterfuge.
Depuis, je m’emploie à honorer sa beauté et tout
naturellement, je lui ai fait don de la jeunesse éternelle et de la beauté.
Permettez-moi d’en user de même avec vous, chère
Blanchefleur. »
Joignant le geste à la parole, Merlin ceignit la chevelure
de Blanchefleur d’un diadème d’or serti d’aubépines, rendant ainsi le message
apporté par la mésange, bien réel et porteur d’un avenir radieux.
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