La mer des souvenirs
Les cours se succédaient avec beaucoup de réussite dans
l’école des enchanteurs et la direction se félicitait des résultats prometteurs
engrangés par de nombreux candidats à des concours prestigieux.
Rien ne sert de plonger les adolescents dans une inquiétude
folle pour en obtenir l’excellence se disait la fée des Lumières, initiatrice
de la pédagogie souriante préconisée à l’école.
Mais soudain un fait brouilla cette vision lumineuse :
une élève très douée, Marjolaine, qui remportait tous les suffrages
professoraux, se désintéressa, sans raison apparente, des études qu’elle
portait pourtant aux nues jusqu’à présent.
Elle ne se levait plus, ne voulait plus s’alimenter et les
livres qu’elle chérissait avant tout, lui tombaient des mains. Elle dormait
sans cesse mais paraissait de plus en plus fatiguée.
Avant de sombrer dans cette étrange léthargie, Marjolaine
était pleine de vie et ses talents en matière théâtrale étaient si prodigieux
que ses professeurs caressaient l’espoir de la voir entrer à la Comédie
Française.
Son interprétation de Roxane avait été sublime au dire de
tous et elle avait provoqué les larmes d’un nombre considérable de spectateurs
dans la scène finale.
Elle avait été également une Rosine convaincante et tous les
grands rôles dévolus aux ingénues qui, en définitive, s’avéraient être de
maîtresses femmes, à l’intelligence vive, sous les rubans de l’époque avaient
été revisités par ses interprétations toutes en finesse et originalité.
Toutes les fées se penchèrent sur son lit de souffrance mais
rien n’y fit et la fée des Lumières décida de faire venir un médecin
spécialiste des troubles de l’âme car c’était certainement le mal qui s’était
attaqué à la brillante jeune fille.
Le médecin ne fut pas en mesure de guérir instantanément la
patiente mais il suggéra que des séances d’hypnose dont il avait la maîtrise
définiraient peut-être le terrain à circonscrire.
Les séances commencèrent et lors de quinze approches il ne
se produisit rien de notable si ce n’est que la jeune fille prononça une
expression qui méritait d’être éclaircie et approfondie : « mer
de Flines ».
La directrice remercia le médecin et elle entreprit sans
plus tarder des recherches permettant d’éclairer la métaphore.
Il s’agissait d’un étang plus que d’une mer à proprement
parler mais ses origines étaient si étranges et sa forme circulaire si
particulière qu’on pouvait l’assimiler à un étang chimérique tel qu’il apparaît
dans une merveilleuse chanson d’un compositeur local.
Marjolaine avait vécu une partie de son enfance sur ses
berges et il suffisait de tirer le fil pour que toute la pelote de laine se
déroule et révèle ses secrets.
On transcrivit le contenu de ses rêves : avec son amie
Elsa, elle vivait dans une atmosphère féerique pour fuir un environnement
malsain et c’est souvent Marjolaine qui avait l’initiative de jeux étranges et
poétiques. Elle avait imaginé qu’elle pourrait commercialiser des pétales de
roses et c’est, pleine de cet espoir déçu qu’elle rencontra la réticence de
chacun à imaginer les métamorphoses féeriques.
Elsa la suivait dans ses folles conceptions et si elle
parlait peu, elle dessinait des scènes de leur enfance, s’intéressant davantage
à ce qui semblait digne d’esquisse.
Au fil des rêves de la jeune fille, la trame de son mal
apparut avec clarté et il arriva enfin qu’elle se sente délivrée par le poids
du passé.
L’étang chimérique reprit sa place dans le grimoire de ses
rêves d’enfant et elle s’éveilla à nouveau dans la réalité qui reprit tout son
poids avec ses centres d’intérêt.
Elle reprit goût au théâtre et s’illustra dans des rôles
auxquels elle apporta une touche supplémentaire de profondeur et de charme.
Son entrée à la Comédie Française ne fit plus aucun doute et
l’école des enchanteurs sortit renforcée de cette épreuve difficile qui avait
mis à mal tout le poids de la féerie.
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