Curieuse destinée
Heureux à la perspective d’être adoubé par son suzerain, le
comte Louis, au lendemain de ses noces, le bachelier Dorian, dit le Magnifique
tant sa beauté rayonnait et illuminait le lieu où il se trouvait, chevauchait
en direction du château.
Il était porteur de bonnes nouvelles et précédait de peu le
cortège des amants, enfin prêts pour la cérémonie.
Mais voici qu’en chemin, il fit une mauvaise rencontre :
le roi des gueux, Mérovée s’était échappé de la prison où on le retenait
prisonnier et il était avide de vengeance. Un petit groupe de bandits au cœur de
pierre cheminait à ses côtés.
La vue de ce beau cavalier leur parut insupportable car ces
suppôts du diable n’aimaient que la laideur qui enserrait leur cœur à la
manière d’indestructibles ronces noires.
Ils s’emparèrent du jeune homme avec délectation et s’apprêtaient
à lui faire subir les pires sévices lorsque survint à nouveau le petit grain de
sable qui faisait échouer leurs plans démoniaques.
Une cavalière apparut à l’horizon. Nimbée de soleil, elle
resplendissait comme un astre et des rayons frappaient sa cuirasse et son
bouclier.
Désireux de faire d’une pierre deux coups, les gueux
tendaient déjà leurs filets pour emprisonner cette beauté mais ils furent
désappointés car à quelques mètres de la cavalière, douze chevaliers à l’étendard
fleuri de tulipes d’or, galopaient farouchement.
Afin de ne pas se retrouver à nouveau dans une sinistre
prison, Mérovée fit demi-tour avec ses sbires, libérant à contrecœur le beau
Dorian à qui ils promettaient maints sévices.
Dorian mit pied à terre car on lui avait rendu sa monture et
il plia le genou devant la belle amazone qui l’avait délivré.
Manon des Tournelles, filleule de Blanchefleur, invitée pour
assister au mariage, avait tout de suite séduit les compagnons de la tulipe d’or,
adoubés par le prince, après de nombreuses épreuves, préparées pour tester leur
courage et leur fidélité. Ils se firent fort de protéger l’incomparable Manon
des Tournelles dont la beauté n’avait d’égale que son ardeur au combat.
Jamais couple ne fut mieux assorti, pensèrent-ils, non sans
une once de jalousie bien naturelle et ils escortèrent ces deux personnes
destinées à se rencontrer.
C’est ainsi que se forma un mythique duo qui fit revoir à la
baisse ceux de Tristan et Yseult et même Viviane et l’enchanteur Merlin.
Blanchefleur célébra leur retour avec faste et tendresse
familiale.
Le prince fit honneur à ces agapes festives et il promit de
faire une révélation à la fin de la soirée.
Vêtue de mousseline et parée de bijoux en or, Bethsabée
illumina le repas où dominait une pastilla aux pigeons et aux amandes dont elle
avait fourni la recette aux cuisinières
et aux marmitons du château, tout en mettant la main à la pâte, vêtue d’une
chasuble de lin sur laquelle les taches n’auraient pas de prise.
Elle prépara également des pâtisseries où la pâte d’amandes
était l’ingrédient numéro un de même que la fleur d’oranger et une farine si
fluide qu’elle filait entre les doigts.
Le résultat était fabuleux et la belle Bethsabée n’avait pas
dit son dernier mot puisque des puits d’amour furent façonnés par ses mains
expertes de même que des pastillas à la rose et à la crème, individuelles.
Des tranches de méchoui régalèrent les chevaliers qui aimaient
les plats consistants.
Quant aux deux tourtereaux, Manon et Dorian, ils touchèrent
à peine aux plats tant leur cœur débordait d’amour.
Blanchefleur leur suggéra de se retirer dans le patio du
jardin d’amour et elle fit envoyer des plats et des boissons qui seraient à la
fois nutritifs et légers pour ne pas plomber leur passion naissante.
Lorsque le thé vert circula à la ronde, le prince, comme
promis, fit sa révélation.
Son discours fut assez long et émaillé de notes fleuries et
documentées mais en substance, on apprit avec intérêt, notamment du côté de
Blanchefleur et de Bethsabée, que la belle Ornella n’était pas qu’une divine
danseuse : c’était aussi une princesse, enlevée au berceau par des
baladins qui songeaient à faire chanter les parents.
Cependant ces derniers périrent lors de la prise de leur
palais par des croisés et nul ne songea à réclamer la petite princesse, pensant
d’ailleurs qu’elle était plus en sûreté au sein de la troupe théâtrale que dans
son palais où ses jours auraient été mis en danger !
« Bon sang ne peut mentir » dit sentencieusement
la belle Bethsabée et elle se félicita de savoir que sa future belle fille
était de haut lignage.
Elle l’aurait aimée, danseuse et parée de ses atouts
naturels mais cette révélation était de nature à clore les murmures
réprobateurs qui pourraient circuler, sous le manteau, à son encontre.
Blanchefleur rosit de bonheur en apprenant le lignage de
celle qu’elle avait tant voulu éloigner de celui qu’elle considérait comme son
fils et elle se promit de prodiguer un amour et une tendresse multipliés pour
se faire pardonner ses préjugés.
Cette soirée fut mémorable à tous points de vue et on se
régala d’ambroisie et de cervoise blonde pour célébrer ce mariage qui serait
très certainement suivi d’un autre, celui de la belle Manon des Tournelles et
de Dorian le Magnifique.
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