Blanchefleur
Du haut de son donjon, Blanchefleur scrutait l’horizon afin
d’y apercevoir, au loin, l’escorte de celui qu’elle aimait passionnément, son
époux, Eudes du Loiret.
Il lui avait fait parvenir, de cet orient qu’il avait voulu
rendre au Christ, mille coffres de tissus, bijoux et parfums aux senteurs
inestimables.
Des maîtres jardiniers exécutèrent, selon les plans qu’il
avait fournis, la création de jardins qui devinrent paradisiaques lors de leur
achèvement.
Orangers, abricotiers, vignes et rosiers en abondance
dessinèrent bientôt les contours d’un véritable Eden.
Un jardin d’amour avec buissons odorants, fontaine et
volière, présentait la particularité d’avoir en son cœur, un édifice charmant
où l’on pouvait se reposer, lire, écrire et écouter des chants car Eudes avait
également envoyé à sa dame, des troubadours habiles au chant, à l’art de la
vielle et de l’épinette.
Mais ce qui avait le plus charmé la belle Blanchefleur au
teint de lys et aux pommettes rosées et ambrées, c’était une lettre dans
laquelle le comte exprimait tout son amour.
La comtesse avait enfermé le précieux parchemin dans un
coffret en bois de rose et elle en connaissait le contenu par cœur.
« Ma belle, ma bien-aimée, semblable à la fleur de
lys, au doux parfum de rose, je me meurs loin de toi. Il m’arrive de servir de
diplomate et de rencontrer les émirs que nous affrontons jour et nuit et lors
de ces entretiens complexes, je suis accueilli, avec ma délégation, dans de
merveilleux jardins où jasent les fontaines et chantent les oiseaux, en
volière.
On nous sert du thé parfumé à la menthe et des pâtisseries
au miel adoucissent ces instants parfois âpres et tendus.
Je souhaite que tu puisses savourer ces moments où le temps
semble suspendu, où la beauté du monde éclate aux yeux de tous et je t’envoie donc plans, maîtres d’œuvre et jardiniers qui
t’aideront à reproduire ces jardins d’Eden.
Mais ce que je souhaite le plus au monde, c’est de te
retrouver dans notre lit en bois de chêne et de t’enlacer dans des transports
jusqu’à l’extase durant de longues et délicieuses nuits.
Mon amour, ma beauté, il me tarde de te revoir et de te
serrer aux yeux de tous, sur ma poitrine où bat un cœur qui n’appartient qu’à
toi.
Je t’aime et serai ton époux aussi longtemps que Dieu le
voudra.
A toi, ma bien-aimée, ma femme au corps de reine et au
visage d’ange, ton époux, bien marri d’être séparé de toi, Eudes le Valeureux
aux dires de tous, ici, près de Jérusalem que nous ne tarderons pas à quitter,
enfin délivrée !
Je t’embrasse et te redis mon amour, sans tache, enchâssé
dans un cœur qui n’appartient qu’à toi pour l’éternité ».
Blanchefleur ne put retenir ses larmes en découvrant ce cri
d’amour et elle s’empressa d’ordonner la réalisation de ces jardins qui avaient
tant plu à son époux puis elle attendit son retour.
Mais les jours, les mois, les années passèrent. De nombreux
chevaliers revinrent chez eux et aucun ne put donner de nouvelles d’Eudes le
Valeureux.
Puis cette terrible escorte, vêtue de noir, arriva aux
portes du château et l’on apporta à Blanchefleur la dépouille de son époux, tué
au combat par celui-là même qui l’avait si bien accueilli dans ses jardins.
Le combat avait été terrible comme le rapportèrent les
écuyers et c’est d’un coup de sabre que le comte mourut, non sans avoir infligé
au préalable, maintes blessures, à son ennemi.
Après avoir ordonné et présidé de grandioses funérailles,
toute vêtue de noir, Blanchefleur se retira dans le patio de son jardin d’amour
et c’est alors qu’une colombe lui apporta une tulipe d’or qui portait, enroulé
sur sa tige, le message suivant : « Cherche le royaume de la tulipe
d’or et de ses preux chevaliers et tu trouveras la paix de l’âme ».
Profondément émue par ce message venu des cieux,
Blanchefleur regagna les appartements de son château, enferma la tulipe d’or et
son message dans le coffret qui contenait la lettre de son époux puis réfléchit
longuement à son curieux destin.
Le lendemain, elle renonça à porter le deuil et se comporta
comme si son mari devait revenir auprès d’elle.
Elle se renseigna sur les chevaliers qui auraient pu voir
son mari sur un champ de bataille et décida de respecter ses dernières volontés
en ordonnant des fêtes dans les jardins. Elle lança des invitations avec l’espoir
de trouver un compagnon de la tulipe d’or pour se mettre à la recherche du
fameux royaume.
C’est ainsi que la quête de la belle Blanchefleur commença !
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