Le tulipier magique
La nuit portant conseil, Blanchefleur s’éveilla avec la
ferme décision d’effectuer une retraite méditative dans le monastère proche de
son domaine.
Cette inexplicable nuit de passion avec un chevalier, certes
doté de qualités mais qui n’était pas son époux la hantait et il lui semblait
qu’elle portait une lourde croix qui lui entaillait l’épaule.
Elle était un peu gênée de ce qui apparaîtrait à certains
comme une dérobade et elle s’en voulait de ne pas être l’hôtesse de marque
auprès du prince venu de si loin pour la voir mais elle demeura ferme en
songeant que Lilwen aux joues roses la remplacerait avec maîtrise, fermeté et
souci d’accomplir une tâche sacrée.
Elle annonça la nouvelle à la ronde, Lilwen à ses côtés et
elle nota, non sans un petit pincement au cœur, que de nombreux chevaliers
semblaient enchantés tant la beauté, la fraîcheur et surtout la jeunesse de
Lilwen avaient l’éclat de la perfection faite femme.
Fidèle à la tradition orientale, le prince ne laissa rien
paraître et il se contenta de remettre à la dame des lieux, des bijoux
précieux, choisis dans ses coffres parmi les plus beaux.
Il lui réservait en outre, une surprise, un cœur d’or pur où
le lys et la rose représentait le couple qu’elle formait avec Eudes du Loiret.
Touchée par cette délicate attention, Blanchefleur décida d’emporter
cet emblème de l’amour courtois auquel elle avait dérogé.
Elle se retira afin de préparer ses bagages, ce qui fut mené
rondement, l’essentiel consistant en robes de lin blanc, chemises de nuit et
accessoires de toilette.
Elle ajouta du linge délicatement brodé du cœur de Jésus et
de marguerites, symbolisant l’apparition dont avait été honorée Sainte
Marguerite-Marie car elle songeait en faire cadeau à chacune des nonnes qui
vivaient en ce cloître, fermé au monde, au rythme de la prière.
Le prince tint à l’accompagner jusqu’au monastère avec
quelques dignitaires de son escorte et après l’avoir assurée de son amitié la
plus profonde, il reprit la route du château pour y retrouver les chevaliers en
pleine tempête cérébrale, eu égard au message dont ils devaient décrypter le
sens profond.
Le prince déposa sur la table la tulipe d’or que son faucon
lui avait apportée en guise de trophée ainsi que le message assez sibyllin : « Un double huit
où niche le cœur de la reine te conduira au royaume où l’orient et l’occident
sont frères ».
C’est tout à fait singulier s’écria Florian Roze !
Comment se fait-il que vous ayez pensé au château de Dame Blanchefleur comme
pièce maîtresse ?
Mais tout simplement parce que son mari était persuadé que
la guerre entre nos deux contrées était inutile, voire criminelle et que nous
devions persuader nos proches de la véracité de cette idée majeure. C’est
pourquoi je suis venu jusqu’au château avec la fine fleur de mes compagnons
pour tenter de mettre un terme définitif à ces embryons de guerre qui
serpentent avec malfaisance dans le cœur des hommes.
Dame Blanchefleur trouvera certainement l’énergie nécessaire
pour guerroyer à nos côtés, pour la paix cette fois, et lorsqu’elle sortira de
sa retraite méditative, elle nous apportera son indomptable foi en l’âme
humaine.
Lilwen fit une apparition pour demander à ses hôtes ce qu’ils
souhaitaient manger, ce à quoi on lui répondit qu’ils mangeraient à la fortune
du pot et qu’il fallait oublier les festins : des produits de base fournis
par le potager et le poulailler feraient l’affaire !
Dans les cuisines, on prépara du poulet, des tartes aux
légumes et des crèmes à la fleur d’oranger et à la bergamote.
Tout cela fut mené rondement et servi sur la terrasse avec des pichets de cervoise et d’orangeade.
Lilwen fut remerciée chaleureusement, ce qui la fit rosir de
plaisir.
Ensuite, chacun se retira dans sa chambre pour une courte
sieste.
Dès leur retour dans la salle d’armes transformée en bureau
d’études , ils se remirent à la tâche et finalement un thème net se dessina.
Il existait, dans un royaume à définir, un tulipier magique.
Il faudrait en cueillir les plus belles fleurs, les réunir en un bouquet
enchanteur qui ferait jaillir la fleur éternelle destinée à propager l’amour.
Alexandre de Saint-Denis parut le plus approprié pour
représenter l’union des deux mondes et chacun s’accorda à penser que la place d’honneur
revenait au prince puisqu’il était le mieux placé pour symboliser l’orient tant
aimé et si convoité.
Des binômes se constituèrent en tenant compte de leur
complémentarité ou de leur entente harmonieuse et une carte fut établie,
attribuant à chaque duo une direction susceptible de le conduire à l’arbre
convoité.
Puis des provisions furent mises à la disposition des
écuyers qui accompagnaient les chevaliers.
Enfin le signal du départ fut donné et chacun de s’en
remettre à sa bonne étoile pour trouver l’arbre magique qui offrirait à tous la
paix tant attendue et désirée.
Seul, le chevalier Florian Roze, avec l’accord unanime de
ses compagnons, demeura au château car
on convint bien volontiers qu’il était imprudent, en ces temps encore
incertains, de laisser un tel édifice à la merci de pillards ou de mauvais
génies.
Dame Lilwen se réjouit de cette mesure, craignant de ne pas
pouvoir remplir une tâche de guerrière si besoin était.
Ce fut un soulagement général et chacun suivit sa destinée
avec bonne humeur et espérance.
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