Le calice sacré
Tandis que Blanchefleur battait sa coulpe et psalmodiait des
prières dans son monastère afin d’expier sa faute, les chevaliers allaient de
l’avant pour rapporter la fleur magique qui sauverait le monde.
Le tandem Alexandre de Saint-Denis et le prince s’en remit
au faucon royal qui les conduisit dans un château entouré de brumes et de
nuages.
On leur ouvrit et on les reçut avec une magnificence de bon
aloi. A la fin du repas composé de poulardes demi-deuil, farcies et
accompagnées de délicieux champignons à la crème & purée de topinambours,
d’entremets fabuleux à base de riz et de fruits confits, arrosé de vin blanc
des collines, une coupe majestueuse en forme de calice circula à la ronde et
chacun y trempa ses lèvres.
C’était un élixir qui semblait inépuisable et qui avait le
goût de l’angélique des marais et de la gentiane des bois.
Cette boisson les propulsa dans un monde onirique où
apparaissaient des fées florales et des enchanteurs munis de harpes et de
tambourins.
Les deux compagnons furent heureux de pouvoir enfermer ces
rêves au creux du lit à baldaquin où de jolies servantes les conduisirent après
leur avoir fait couler un bain.
A leur réveil, le château avait disparu et il ne restait de
leur séjour étrange qu’un calice semblable à celui où ils avaient trempé les
lèvres.
Ils étaient adossés à un chêne aux feuilles argentées et
quelqu’un avait pris le soin de ferrer les chevaux et de leur fournir un sac de
lin où abondaient jambons, fruits secs et gâteaux destinés aux voyages.
Ils reprirent leur route et s’en remirent à leur bon sens et
à la grande ourse plutôt qu’à la fantaisie du faucon qui semblait somnoler sur
l’épaule de son maître.
D’autres chevaliers connurent des expériences similaires et
à chaque fois, on leur offrait avec solennité ou en le glissant subrepticement
dans les bagages, un merveilleux calice qui semblait être le sésame du royaume
qu’on leur promettait, fleuri de tulipes et de pavots d’or.
Un jour, au monastère, l’escorte royale d’une moniale venue
d’Orient frappa le heurtoir fleurdelisé de la porte en chêne massif.
Sœur Myriam produisit un effet quasi divin sur la mère
supérieure qui offrit l’hospitalité à toutes ces dames et désormais, de
sublimes chants d’origine orientale se mêlèrent aux chants liturgiques de l’ordre.
Blanchefleur éprouva un bonheur inconnu en échangeant des
propos, souvent sur des thèmes floraux, avec sœur Myriam qui lui apportait
l’apaisement dont elle rêvait en vain depuis si longtemps.
Peu à peu, le souvenir de cette nuit passionnée et sacrilège
s’estompa et Dame Blanchefleur finit par se pardonner à elle-même ce qu’elle
trouvait insupportable et irréparable.
Au moment précis où elle s’apprêtait à revenir en son
château pour en reprendre le contrôle, sœur Myriam songea à retourner en son
pays natal.
Blanchefleur lui proposa de faire une halte en son château,
ce qu’elle accepta avec gratitude et une fois les adieux accomplis avec les
moniales, ces dames se mirent en route pour la somptueuse demeure de la veuve
d’un valeureux chevalier.
De retour au château, Blanchefleur constata avec plaisir que
Lilwen avait su gérer l’entretien de la demeure avec maestria.
La vue du chevalier Florian Roze, l’auteur de tous ses
tourments, ne lui fut pas désagréable et elle le remercia chaleureusement
d’avoir veillé sur son domaine.
Elle ne put d’ailleurs pas s’appesantir sur d’hypothétiques
émois car il fallait trouver un hébergement pour sœur Myriam et ses moniales.
De plus, le château retrouva une atmosphère festive et
mystérieuse avec l’arrivée de tous les chevaliers, porteurs du fameux calice
sacré.
La salle d’armes fut à nouveau réquisitionnée pour que
chacun puisse faire état de son voyage et de ses découvertes.
On se donna rendez-vous pour le bouquet final, le lendemain,
après une bonne nuit réparatrice.
Avant de parvenir à un tel objectif, chacun fut d’avis de
laisser le temps faire son œuvre.
Lilwen avait eu la bonne idée de disposer les calices en
couronne sur la table et c’était du plus bel effet.
De plus, à midi, les rayons du soleil illuminèrent l’ensemble
et il sembla à tous qu’une tulipe dorée se dessinait en pleine rosace.
Désireux d’en savoir plus mais peu habitués à décrypter les
messages mystiques, les chevaliers se tournèrent vers les coutumes
traditionnelles et ils organisèrent des parties de chasse, envisageant même d’annoncer
un tournoi.
Pendant ce temps, les dames n’étaient pas de reste. Sœur Myriam
voulut voir le jardin d’amour dont on parlait tant et ce qu’elle vit l’enchanta.
Elle émit cependant le fait qu’il y avait une omission, en l’occurrence, un
oratoire.
Elle proposa de l’ériger à ses frais, ce que Blanchefleur
accepta avec gratitude, l’entretien des chevaliers et le train de maison
faisant fondre les réserves monétaires dont elle disposait.
Sœur Myriam commanda du marbre, fit venir d’ Italie des
ouvriers passés maîtres dans les différents corps de métier, amoureux du beau
travail et recruta ainsi des ébénistes pour façonner le mobilier de l’oratoire.
Une statue de la Vierge Marie fut confiée aux bons soins d’un sculpteur ainsi
que douze tableaux représentant la vie du Christ.
La maîtrise de ces travaux accapara toutes les dames du
château. En outre, pour donner du cachet à l’oratoire, elles entreprirent la
réalisation d’une tapisserie dont les thèmes croisaient les emblèmes des deux
mondes, le lys pour l’occident et l’olivier pour l’orient.
Blanchefleur, Lilwen et Sœur Myriam, aidée de sa fidèle
Latifa, étaient représentées de manière éminente et l’on convint de l’opportunité
d’évoquer le rôle prépondérant des chevaliers en choisissant les plus
représentatifs, à savoir le chevalier Roze et le prince, avec son faucon sur l’épaule.
Les moniales préparèrent des plats orientaux. La pastilla
aux pigeons et aux amandes obtint un vif succès et le thé vert à la menthe et à
la verveine, circula à la ronde pour le ravissement de tous.
Les travaux de l’oratoire et la préparation du tournoi
occupèrent tous les esprits et chacun apporta son savoir-faire avec diligence.
Lorsque l’oratoire fut achevé et qu’il fut garni de son
mobilier et des objets décoratifs appropriés, sœur Myriam déposa sur l’autel un
calice qu’elle avait emporté dans ses bagages et dont elle attendait qu’on en
trouve l’usage.
Ce calice n’était pas comme les autres, il avait la forme d’une
tulipe et en son cœur, figuraient une statuette de la Vierge Marie et celle de
son adoratrice, Sainte Marguerite-Marie, arborant sur sa chasuble le cœur sacré
de Jésus, selon l’hagiographie de la sainte. Une pluie de marguerites ornait l’extérieur
du calice et lorsque le soleil frappa cet objet sacré, chacun se rendit compte
que l’objet qu’ils avaient tant cherché de par le monde, était là, sous leurs
yeux, et qu’il resplendissait de tout son éclat.
Le prince pensa qu’il était grand temps, pour lui, de
regagner son royaume puisque la clef d’or qui ouvrait les portes à deux
battants, jadis fermées, de l’orient et de l’occident, avait été trouvée.
Auparavant, il eut à cœur de doter chacun d’un inoubliable
cadeau.
Il offrit un rubis en forme de tulipe à chaque dame, en
souvenir de cette tulipe d’or qui les avait tant émus puis il laissa ses
faucons et les maîtres qui les dressaient à la compagnie des chevaliers qui
furent heureux de pouvoir s’adonner à cette subtile façon de chasser.
Il laissa en outre, un coffre de pièces d’or pour l’entretien
des invités ainsi que des malles emplies de soieries et de tissus damassés. Les
dames promirent d’en faire bon usage car
ces merveilles requéraient des doigts de fée.
Son escorte considérablement diminuée, le prince partit en
laissant à tous un souvenir impérissable.
Ce départ causa un tel vide que chacun pensa qu’il était
temps de préparer un tournoi qui clôturerait cette magnifique aventure et ce
fut, à nouveau, un tourbillon de préparatifs pour organiser cette suite
festive.
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