vendredi 17 août 2018

Le calice sacré


Le calice sacré
Tandis que Blanchefleur battait sa coulpe et psalmodiait des prières dans son monastère afin d’expier sa faute, les chevaliers allaient de l’avant pour rapporter la fleur magique qui sauverait le monde.
Le tandem Alexandre de Saint-Denis et le prince s’en remit au faucon royal qui les conduisit dans un château entouré de brumes et de nuages.
On leur ouvrit et on les reçut avec une magnificence de bon aloi. A la fin du repas composé de poulardes demi-deuil, farcies et accompagnées de délicieux champignons à la crème & purée de topinambours, d’entremets fabuleux à base de riz et de fruits confits, arrosé de vin blanc des collines, une coupe majestueuse en forme de calice circula à la ronde et chacun y trempa ses lèvres.
C’était un élixir qui semblait inépuisable et qui avait le goût de l’angélique des marais et de la gentiane des bois.
Cette boisson les propulsa dans un monde onirique où apparaissaient des fées florales et des enchanteurs munis de harpes et de tambourins.
Les deux compagnons furent heureux de pouvoir enfermer ces rêves au creux du lit à baldaquin où de jolies servantes les conduisirent après leur avoir fait couler un bain.
A leur réveil, le château avait disparu et il ne restait de leur séjour étrange qu’un calice semblable à celui où ils avaient trempé les lèvres.
Ils étaient adossés à un chêne aux feuilles argentées et quelqu’un avait pris le soin de ferrer les chevaux et de leur fournir un sac de lin où abondaient jambons, fruits secs et gâteaux destinés aux voyages.
Ils reprirent leur route et s’en remirent à leur bon sens et à la grande ourse plutôt qu’à la fantaisie du faucon qui semblait somnoler sur l’épaule de son maître.
D’autres chevaliers connurent des expériences similaires et à chaque fois, on leur offrait avec solennité ou en le glissant subrepticement dans les bagages, un merveilleux calice qui semblait être le sésame du royaume qu’on leur promettait, fleuri de tulipes et de pavots d’or.
Un jour, au monastère, l’escorte royale d’une moniale venue d’Orient frappa le heurtoir fleurdelisé de la porte en chêne massif.
Sœur Myriam produisit un effet quasi divin sur la mère supérieure qui offrit l’hospitalité à toutes ces dames et désormais, de sublimes chants d’origine orientale se mêlèrent aux chants liturgiques de l’ordre.
Blanchefleur éprouva un bonheur inconnu en échangeant des propos, souvent sur des thèmes floraux, avec sœur Myriam qui lui apportait l’apaisement dont elle rêvait en vain depuis si longtemps.
Peu à peu, le souvenir de cette nuit passionnée et sacrilège s’estompa et Dame Blanchefleur finit par se pardonner à elle-même ce qu’elle trouvait insupportable et irréparable.
Au moment précis où elle s’apprêtait à revenir en son château pour en reprendre le contrôle, sœur Myriam songea à retourner en son pays natal.
Blanchefleur lui proposa de faire une halte en son château, ce qu’elle accepta avec gratitude et une fois les adieux accomplis avec les moniales, ces dames se mirent en route pour la somptueuse demeure de la veuve d’un valeureux chevalier.
De retour au château, Blanchefleur constata avec plaisir que Lilwen avait su gérer l’entretien de la demeure avec maestria.
La vue du chevalier Florian Roze, l’auteur de tous ses tourments, ne lui fut pas désagréable et elle le remercia chaleureusement d’avoir veillé sur son domaine.
Elle ne put d’ailleurs pas s’appesantir sur d’hypothétiques émois car il fallait trouver un hébergement pour sœur Myriam et ses moniales.
De plus, le château retrouva une atmosphère festive et mystérieuse avec l’arrivée de tous les chevaliers, porteurs du fameux calice sacré.
La salle d’armes fut à nouveau réquisitionnée pour que chacun puisse faire état de son voyage et de ses découvertes.
On se donna rendez-vous pour le bouquet final, le lendemain, après une bonne nuit réparatrice.
Avant de parvenir à un tel objectif, chacun fut d’avis de laisser le temps faire son œuvre.
Lilwen avait eu la bonne idée de disposer les calices en couronne sur la table et c’était du plus bel effet.
De plus, à midi, les rayons du soleil illuminèrent l’ensemble et il sembla à tous qu’une tulipe dorée se dessinait en pleine rosace.
Désireux d’en savoir plus mais peu habitués à décrypter les messages mystiques, les chevaliers se tournèrent vers les coutumes traditionnelles et ils organisèrent des parties de chasse, envisageant même d’annoncer un tournoi.
Pendant ce temps, les dames n’étaient pas de reste. Sœur Myriam voulut voir le jardin d’amour dont on parlait tant et ce qu’elle vit l’enchanta. Elle émit cependant le fait qu’il y avait une omission, en l’occurrence, un oratoire.
Elle proposa de l’ériger à ses frais, ce que Blanchefleur accepta avec gratitude, l’entretien des chevaliers et le train de maison faisant fondre les réserves monétaires dont elle disposait.
Sœur Myriam commanda du marbre, fit venir d’ Italie des ouvriers passés maîtres dans les différents corps de métier, amoureux du beau travail et recruta ainsi des ébénistes pour façonner le mobilier de l’oratoire. Une statue de la Vierge Marie fut confiée aux bons soins d’un sculpteur ainsi que douze tableaux représentant la vie du Christ.
La maîtrise de ces travaux accapara toutes les dames du château. En outre, pour donner du cachet à l’oratoire, elles entreprirent la réalisation d’une tapisserie dont les thèmes croisaient les emblèmes des deux mondes, le lys pour l’occident et l’olivier pour l’orient.
Blanchefleur, Lilwen et Sœur Myriam, aidée de sa fidèle Latifa, étaient représentées de manière éminente et l’on convint de l’opportunité d’évoquer le rôle prépondérant des chevaliers en choisissant les plus représentatifs, à savoir le chevalier Roze et le prince, avec son faucon sur l’épaule.
Les moniales préparèrent des plats orientaux. La pastilla aux pigeons et aux amandes obtint un vif succès et le thé vert à la menthe et à la verveine, circula à la ronde pour le ravissement de tous.
Les travaux de l’oratoire et la préparation du tournoi occupèrent tous les esprits et chacun apporta son savoir-faire avec diligence.
Lorsque l’oratoire fut achevé et qu’il fut garni de son mobilier et des objets décoratifs appropriés, sœur Myriam déposa sur l’autel un calice qu’elle avait emporté dans ses bagages et dont elle attendait qu’on en trouve l’usage.
Ce calice n’était pas comme les autres, il avait la forme d’une tulipe et en son cœur, figuraient une statuette de la Vierge Marie et celle de son adoratrice, Sainte Marguerite-Marie, arborant sur sa chasuble le cœur sacré de Jésus, selon l’hagiographie de la sainte. Une pluie de marguerites ornait l’extérieur du calice et lorsque le soleil frappa cet objet sacré, chacun se rendit compte que l’objet qu’ils avaient tant cherché de par le monde, était là, sous leurs yeux, et qu’il resplendissait de tout son éclat.
Le prince pensa qu’il était grand temps, pour lui, de regagner son royaume puisque la clef d’or qui ouvrait les portes à deux battants, jadis fermées, de l’orient et de l’occident, avait été trouvée.
Auparavant, il eut à cœur de doter chacun d’un inoubliable cadeau.
Il offrit un rubis en forme de tulipe à chaque dame, en souvenir de cette tulipe d’or qui les avait tant émus puis il laissa ses faucons et les maîtres qui les dressaient à la compagnie des chevaliers qui furent heureux de pouvoir s’adonner à cette subtile façon de chasser.
Il laissa en outre, un coffre de pièces d’or pour l’entretien des invités ainsi que des malles emplies de soieries et de tissus damassés. Les dames promirent  d’en faire bon usage car ces merveilles requéraient des doigts de fée.
Son escorte considérablement diminuée, le prince partit en laissant à tous un souvenir impérissable.
Ce départ causa un tel vide que chacun pensa qu’il était temps de préparer un tournoi qui clôturerait cette magnifique aventure et ce fut, à nouveau, un tourbillon de préparatifs pour organiser cette suite festive.

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