Le bal de la Tulipe d’ Or
Il ne fallut pas moins d’une année pour organiser le bal de
la tulipe d’or.
Tout d’abord, des émissaires furent envoyés dans tous les
comtés réputés pour l’excellence de leur chevalerie afin de reconnaître
d’éventuels détenteurs de messages accompagnant une tulipe d’or.
De plus, Blanchefleur eut à cœur d’inviter beaucoup de
jolies dames pour que personne ne puisse imaginer qu’elle songeait à remplacer
son mari et la liste fut longue et des plus charmante.
Ysabeau de Brabant, célèbre pour ses tresses blondes comme
les blés de son terroir, Iseult de Tréhorenteuc, aussi belle, disait-on en
terre de Brocéliande que Viviane et Morgane réunies, Louise du Val de Loire
dont la plume rivalisait avec celle des poètes des domaines royaux, Floriane du
Poitou, au charme mystérieux, Aliénor de Bretagne, cavalière émérite, Jehanne
de Lorraine dont l’art de la broderie relevait du miracle, des mitaines en
dentelle faites au crochet étaient sa spécialité, et Ludivine du Lac dont la
sculpturale beauté n’avait d’égale que celle de Vénus, figurèrent parmi les
invitées les plus prestigieuses. S’ajoutèrent également des jeunes filles qui
résidaient dans les villages dont on avait pu remarquer la beauté ou un art
manifeste sans oublier celui de la gastronomie.
L’atout de charme précisé, il fallut bien du discernement et
l’amour de l’aventure pour que les envoyés de la comtesse parviennent à réunir
des prétendants à la tulipe d’or.
Le grand jour venu, on les annonça avec le cérémonial dévolu
aux princes, nobles et hauts dignitaires du royaume.
Waldy de Provence, à la haute stature et au sourire
provocant mit en émoi toutes les dames. Sa devise « ceux qui s’entraiment
dorment en paix » était brodée en lettres d’or sur son oriflamme.
Le message de la tulipe d’or était le
suivant : « Une reine t’offrira le royaume de la tulipe d’or si
tu fais preuve de courage ».
Alexandre de Saint Denis, aux cheveux bruns bouclés
cascadant sur ses épaules impressionnantes, avait reçu, avec sa tulipe, une
rose pourpre porteuse d’un texte mystérieux : « Rose et tulipe
entrelacées t’offriront la clef d’un royaume divin ».
Robert de Guermantes, à la silhouette élégante et aux traits
charmants, cachait cependant une force peu commune que des mains velues
trahissaient. Le message : « L’épée de la tulipe d’or, tu
brandiras si tu gravis l’olympe royale » produisit un bel effet sur
Blanchefleur qui songea à un avenir enfin florissant.
Louis d’ Ermenonville, Bertrand de Gascogne, René de Douai,
Jehan de Valenciennes, Florian d’ Audencourt, Lilian de Montesquiou, Philibert
de Ouistreham, Charles d’ Etretat étaient tous des chevaliers émérites qui
s’étaient distingués dans les croisades par leur bravoure, leurs faits d’armes
et ce qui est plus rare, par leur humanité.
Aucun d’eux n’avait tué femme, vieillard ou enfant et
lorsque le choix était possible, ils laissaient la vie sauve à un ennemi
valeureux qu’ils avaient terrassé en suivant le code de l’honneur
chevaleresque.
Les messages accolés à la tulipe d’or qu’ils avaient reçue
de manière singulière, toujours liée à l’apparition d’un oiseau, portaient en
essence des promesses similaires d’un royaume merveilleux si l’on était capable
de le conquérir.
Avec l’assurance d’être l’homme de la situation, chacun
d’eux s’était présenté à ce bal qui devrait vraisemblablement apporter la clef
de l’énigme.
Dans cette attente, chacun se prêta aimablement aux
festivités et ce fut une succession de moments charmants, à commencer par un
dîner servi dans le jardin d’amour qui suscita émerveillement et bonheur.
Vol au vent, poulardes farcies avec un accompagnement de
légumes de saison, Brie à la rhubarbe et divines pâtisseries au miel firent les
délices de tous, alors que l’on servait dans des hanaps, du vin de
Cahors , du Monbazillac ou du Jurançon et, dans des coupes, du vin de
Champagne et des boissons aux fleurs.
Des liqueurs à la fleur de sureau ou à l’orange et à la rose
facilitèrent la digestion et chacun se rafraîchit puis changea de toilette pour
se prépare au bal tant attendu.
C’est au son de la harpe, du violon et du clavecin que
l’ouverture du bal se fit.
Blanchefleur donna le la en dansant avec Waldy de Provence
qui s’avéra être un parfait cavalier.
Ensuite, elle refusa toutes les danses car le souci de ne
pas chercher un autre mari l’emportait sur toute autre considération mondaine.
Elle se devait, en sa qualité d’hôtesse, d’ouvrir le bal
mais elle n’avait aucune autre obligation pour le reste de la soirée.
Elle prit place auprès des dames d’un certain âge, d’adolescents
et d’enfants pour observer les élégantes évolutions dansées de couples dont il
fut dit qu’aucun ne pouvait rivaliser avec celui qu’elle formait avec son époux
Eudes le Valeureux.
Waldy invita une jeune beauté d’origine paysanne mais si
merveilleuse qu’on la retint parmi les reines de la fête.
Jehan de Valenciennes forma avec Ysabeau de Brabant un
couple d’exception et la blondeur de leurs chevelures jeta une note lumineuse
qui rendit les flammes des chandeliers vacillantes et pâlies.
Des couples se formèrent par le charme du destin.
C’est ainsi que le bel Alexandre de Saint-Denis enlaça
Ludivine du Lac et cette union de deux êtres à la beauté hors du commun arracha
des soupirs à celles et ceux qui pensaient ne pas pouvoir prétendre à une telle
harmonie.
Il en alla de même pour Robert de Guermantes et Louisa du
Val de Loire dont chacun appréciait les talents poétiques. Elle a la beauté d’un
sonnet murmurait-on et d’aucuns ajoutaient : « il incarne l’alexandrin
de la légende épique et leurs noces perpétueront certainement l’histoire
poétique de la nation ».
Blanchefleur se réjouissait de voir ces couples merveilleux
se former sous ses yeux et il lui venait une certaine mélancolie en pensant à
son bien aimé, Eudes le Valeureux qui n’avait pu survivre à une guerre qu’il n’avait
pas aimée.
Plongée dans ses pensées, elle ne vit pas venir à elle le
premier chevalier qui avait été gratifié de la tulipe d’or, Florian Roze qui
était lui aussi tombé sous le charme du pays qu’ils étaient censés détruire et
dont ils avaient rapporté divers arts culturels, notamment celui des chants d’amour,
des dîners raffinés et des jardins merveilleux incluant patios, fontaines, roseraies
et oiseaux vivant en volière.
Le chevalier Roze demanda à son hôtesse de bien vouloir lui
montrer à nouveau ses jardins, ce qu’elle fit bien volontiers après avoir fait
disposer des torches aux essences destinées à faire fuir les insectes indésirables.
Ils s’assirent tous deux sur un banc de marbre rose auprès
de la fontaine et se révélèrent réciproquement le contenu de leurs messages.
Un ange passa et leurs lèvres s’unirent sans qu’ils aient
réellement projeté un désir d’aimer.
Un feu ardent s’empara d’eux et ils s’enfermèrent dans le
monument destiné aux rêves pour se découvrir et parcourir le corps de l’autre
avec la fougue de leurs baisers.
Au petit matin, ils se réveillèrent, enlacés et le chevalier
demanda sa main à la belle Blanchefleur dont le message : « Cherche
le royaume de la tulipe d’or et de ses preux chevaliers et tu trouveras la paix
de l’âme » s’illumina d’une éblouissante clarté.
Quant au chevalier Roze, il découvrit un double sens au
message qu’il avait reçu : « Cherche la pareille pour initier le
mouvement des compagnons de la tulipe d’or ». Par la pareille, il fallait
entendre, non seulement une tulipe identique mais surtout une âme-sœur, celle
avec qui il pourrait construire un royaume destiné à la recherche d’un graal
nouveau pour réunir les deux bannières de l’orient et de l’occident.
Blanchefleur se devait d’accomplir son devoir d’hôtesse et
elle s’employa à faire dresser des tentes spacieuses sur un modèle oriental,
pour les invités car les charmes du bal s’étant évaporés, il faudrait réunir
les messages des tulipes pour trouver un axe politique audible, pour tous.
Concernant ceux qui n’avaient pas de message, ils pouvaient
rentrer chez eux, sauf, bien entendu, s’ils avaient noué une idylle capable de
faire basculer leur destin.
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