Les compagnons de la Tulipe d’ Or
De retour de croisade, le chevalier Florian Roze s’estima
heureux de retrouver son château sans avoir subi trop de blessures irréversibles.
Les combats lui avaient laissé un goût amer de sang séché et
de poussière. L’essence de rose et les parfums dont il avait pris l’habitude de s’asperger ne parvenaient pas à effacer
les terribles stigmates de ces chevauchées sauvages, pleines de cris, de
sanglots et de hurlements terrifiants.
Après avoir supervisé des travaux pour consolider sa demeure
et procédé à divers embellissements intérieurs, il s’attaqua aux jardins afin
de leur donner un aspect apaisant, fleuri et nourricier.
Vergers et potagers jouxtant les cuisines situées à l’arrière
du château, on ne voyait, en arrivant près du perron et de la porte d’entrée
que beautés florales et buissons odorants près de fontaines et de volières.
Il fit réaliser le plus beau jardin d’amour qui puisse se
concevoir, avec une charmille où des fleurs ardentes et folles semblaient
vouloir attirer une dame à l’incomparable beauté, destinée à l’amour.
Un soir, alors qu’il tentait d’imaginer cette diva, un
oiseau blanc laissa tomber à ses pieds, une tulipe d’or.
Sur la tige de la fleur, un message portait enroulé, le
message suivant : « Cherche la pareille pour initier les compagnons
de la Tulipe d’Or »
Il scruta les alentours pour voir si personne n’était caché
dans les buissons mais sa recherche fut vaine et il dut admettre qu’un défi lui
était proposé. Etait-ce pour expier les crimes dont il avait la conscience
assombrie ?
Tout guerrier depuis l’Iliade, mettant en relief la mort de
Patrocle et Hector, pour ne choisir que les plus valeureux et les plus
sympathiques, avait forcément pris la vie d’un être innocent, placé sous les
pas de son cheval au moment où il aurait dû être cloîtré dans une chambre
protégée.
Pourquoi devrait-il créer un ordre nouveau, celui des
Compagnons de la Tulipe d’Or ? N’y avait-il pas déjà de nombreux ordres,
celui des Templiers, des chevaliers de Malte ou encore les chevaliers de l’ordre
de Jérusalem et tant d’autres groupes qui, au nom d’un idéal christique,
avaient reproduit les effets néfastes et destructeurs de toutes les guerres ?
La Tulipe d’ Or, par son aspect charmant et floral,
présentait un idéal inoffensif et agréable à contempler. Cependant l’or dont
elle était composée impliquait la convoitise et le goût de la puissance
aveugle.
Ces réflexions le conduisirent jusque dans ses appartements.
Il enferma la tulipe d’or dans un globe de cristal, fit venir son orfèvre et
lui commanda un coffret précieux destiné à contenir l’objet premier d’une
recherche plus ou moins ésotérique puis il s’appliqua à ne plus y penser.
Après un bon bain, il se fit servir un plateau de ses mets
préférés, fruits, fromages et pâtisseries au miel avec des hanaps de vin rosé
et pétillant et enfin, après avoir écouté le chant de son troubadour, il se
glissa dans un lit parfumé à la lavande pour sombrer dans un sommeil entrecoupé
de rêves où flottaient des nuages qui avaient l’apparence de femmes
voluptueuses, prêtes aux ébats, passionnées et langoureuses.
Lorsqu’il s’éveilla, il avait sur les lèvres, le goût des
baisers, ce qui le changeait agréablement des odeurs de cendre et de sang dont
il ne parvenait plus à se défaire, depuis ces terribles combats inutiles et peu
glorieux.
Ils étaient partis en faisant flotter haut leur étendard et
la joie les animait car ils étaient persuadés que leur guerre était juste mais
au retour, ils avaient pris des chemins détournés pour que nul ne les voie,
désespérés d’avoir porté tant de coups et de ne plus savoir, finalement, si
leur soif de conquête avait des raisons d’être, au vu de tout le sang qui avait
été répandu.
Le chevalier chassa ces souvenirs comme des apparitions importunes
et il se concentra sur le message de la tulipe d’or qui lui paraissait porteuse
d’un avenir souriant.
Oui, il partirait à la recherche des compagnons de la tulipe
d’or et lorsqu’ils seraient tous réunis, chacun ayant nécessairement un
message, ils pourraient effacer tous les souvenirs lugubres, comme autant d’oiseaux
noirs, pour parfaire un ordre nouveau.
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