Le roi des gueux
L’aurore apparut au comte Louis sous les traits de la
voluptueuse Ornella aux mille voiles et après avoir rêvé qu’il franchissait un
à un ces cercles d’or, Louis demanda à la cuisinière qu’elle veuille bien
préparer de délicieuses pâtisseries qu’on nommait palets de dame et dont le
biscuit s’ornait d’un revêtement au sucre glace parfumé à la fleur d’oranger.
Il s’échappa dans le jardin d’amour avec son écritoire car
son cœur débordait d’une passion dévorante qui se traduirait en sonnets mélodieux
où la rose se laisserait effeuiller, pétale après pétale, comme dans la danse
qui s’était emparée de lui.
Il ne vit pas le temps passer.
Les parchemins devenaient mélodies et chants d’amour
éternel, rappelant les légendes fameuses de Tristan et Yseult ou de Flor et
Blanchefleur.
Il n’aurait pas besoin de boire un philtre d’amour car il
sentait la passion s’infiltrer dans ses veines comme un breuvage magique et
sacré.
Soudain ses rêveries prirent fin car il aperçut des fumées
au loin et il vit les habitants du domaine courir vers le château pour demander
l’asile.
Il emporta ses parchemins et partit à son tour vers la salle
d’armes du château qui grouillait de personnes apeurées.
L’une d’elles prit la parole et décrivit une scène digne de
Dante : des bandits avaient surgi, armés de couteaux et de haches et ils s’en
étaient pris à leurs maisons, menaçant de les faire passer de vie à trépas s’ils
refusaient de les suivre.
Ils étaient vêtus de noir et se cachaient le visage à l’aide
d’une étoffe sombre où luisait un éclair d’argent.
Leur chef était terrifiant et sa voix grondait comme le
tonnerre.
Ils avaient pris la fuite, laissant derrière eux, les
vieillards et les enfants, ce qu’ils déploraient en se tordant les mains de
désespoir car un funeste pressentiment les habitait.
En regardant s’ils n’étaient pas poursuivis, ils avaient vu
des flammes embraser le village. Qu’étaient donc devenus ceux qui n’avaient pas
pu courir ?
Je ne vous blâmerai pas d’avoir voulu sauver vos vies dit
Florian et désormais vous êtes en sécurité. Je réunirai une escorte pour faire
une reconnaissance dans la campagne et sauver ce qui peut l’être.
En attendant, prenez une collation et tâchez de vous
détendre un peu.
Florian partit préparer son escorte et Dame Lilwen fit
apporter des rafraîchissements et des douceurs.
Les palets de dame commandés par Louis furent dégustés avec
délices.
Louis profita de ces moments où chacun s’affairait pour s’emparer d’un plateau qu’il garnit de
palets de dame, de loukoums à la rose et
à la violette et d’un pichet de lait aux amandes afin de les porter à la dame
de ses pensées, la douce Ornella qui l’embrasait de mille feux mais, à son
grand désespoir, il ne la trouva pas.
Qu’était-elle devenue ?
Avait-elle déjà repris la route avec la troupe de comédiens ?
Et dans ce cas, elle était peut-être aux mains du terrifiant bandit, assoiffé
de sang et pourfendeur de personnes sans défense …
Honteux d’avoir privilégié ses rêves et ses ambitions
personnelles au bien-être du fief, Louis se précipita pour seconder Florian
dans l’opération punitive à l’encontre des brigands.
Mais alors que tout le monde était sur le pied de guerre,
une grande voix tonitruante se fit entendre aux abords immédiats du château.
Holà, du château, tremblez car je viens vous assiéger. Je
suis Mérovée, le roi des gueux et nul ne me surpasse au lancer de couteau. Je n’ai
ni cuirasse ni lance ni épée mais je ne crains personne. Qu’un de vos braves
vienne me défier en combat singulier !
Ces propos provocateurs n’émurent nullement Florian qui
sortit du château, protégé par ses écuyers, Louis à ses côtés et il répondit
bravement à celui qui défiait les seigneurs :
Je te trouve bien insolent, Mérovée ! Réponds-moi à ton
tour : qu’as-tu fait des vieillards et des enfants avant de brûler leurs
maisons ? Pourquoi avoir fait peur à de braves gens qui travaillent
durement pour gagner le pain qui les nourrit ?
Sois rassuré, il ne leur a été fait aucun mal. Certains de
mes compagnons les ont emmenés au monastère où l’on prendra soin d’eux. Quant à
ceux qui ont fui et se sont réfugiés dans ton château, je ne les félicite pas
pour leur lâcheté. Ils auraient dû se joindre à nous pour réclamer leur part.
Pauvres nous sommes nés et pauvres nous sommes restés pour
que vous, les seigneurs, puissiez vivre dans l’opulence et les fêtes.
Ceci ne peut plus durer, foi de Mérovée !
Envoie-moi un champion qui ose se mesurer à moi et nous
verrons qui, de nous deux, mérite de vivre au château !
Plein de fureur devant tant d’insolence, Louis se délivra
prestement de sa cuirasse et bondit, face à celui qui les défiait.
Sans épée et sans bouclier, il apparaissait comme l’archange
des saintes écritures, s’apprêtant à châtier celui qui proférait mensonges et
propos venimeux.
Mérovée lança son poignard et alors que tous retenaient leur
souffle, une main invisible détourna le cours de l’arme fatale et elle se ficha
entre deux pavés, faisant éclore une rose de Damas, la fleur des croisés.
Un tourbillon de sable doré enveloppa Mérovée et sa bande de
gueux et les balaya comme des fétus de paille.
Lorsque le nuage fut dissipé, il n’y avait plus de trace de
l’arrogant roi des gueux et en sa place, la belle Ornella qui avait été sa
captive au milieu de sa troupe de comédiens et de poètes, lui tendait ses beaux
bras blancs reconnaissants.
Louis la serra sur sa poitrine et tous revinrent au château,
sous les vivats destinés au comte qui n’avait pas hésité à mettre sa vie en danger
pour les sauver.
Ce furent de beaux moments et des fêtes suivirent.
Cette fois, Ornella ne dansa pas car Louis lui fit jurer de
ne plus montrer son corps à quiconque : il était résolu à l’épouser !
Elle ne se dévoilerait plus désormais que pour lui !
Cette union fut scellée par un baiser au suave parfum de
rose et de patchouli.
Parti par la volonté de Blanchefleur pour fuir l’amour des
mille voiles, Louis se laissa voluptueusement prendre dans ces mousselines
porteuses de bonheur.
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