Le tournoi
Le prince avait prêté serment devant les compagnons de la
tulipe d’or, assurant qu’il formerait de tels combattants en son royaume et
qu’il les enverrait au château de ses hôtes lorsqu’ils seraient dignes
d’arborer la bannière brodée de la fleur magique.
Sœur Myriam et les moniales s’étaient lancées dans des
travaux de broderie où la tulipe d’or était visible sous maintes déclinaisons
florales pour ne pas être répétitives.
Bannières, draperies, jetés de table, nappes, robes
d’apparat ,mantelets jaillissaient de leurs doigts agiles.
Blanchefleur, Lilwen et toutes les dames du château mirent
leur talent à l’épreuve, de sorte que la demeure des chevaliers fut plongée
dans une atmosphère créative, ce qui inspira un peintre qui composa une toile représentant
ces dames, affairées à leur œuvre délicate.
Des chevaliers à l’âme poétique écrivirent des poèmes et des
chansons où les dames se languissaient de leur bel amant en brodant et sœur
Myriam qui n’était pas en reste pour les talents de l’écriture, composa un
magnifique poème à la gloire du Christ dont elle et ses compagnes étaient les
servantes.
Quant à Blanchefleur, aidée par le chevalier Roze et
certains de ses proches, elle réalisa une liste où apparaissaient de grands
noms de la chevalerie pour que le tournoi soit une réussite.
Des chevaliers charpentiers et maçons édifièrent la piste où
s’élanceraient, lance fièrement dressée, les participants au tournoi.
On construisit également des écuries pour les chevaux, on
forma des palefreniers, bref, tout fut mis en œuvre pour que le grand jour soit
mémorable.
Les gradins étaient de toute beauté car on n’oublia pas ces
dames dont le rôle majeur consisterait à encourager ceux qui allaient se battre
pour leurs beaux yeux et elles préparèrent une faveur qu’elles décerneraient au
chevalier de leur choix, sous forme de ruban.
Quand les travaux d’aiguille furent terminés, sœur Myriam et
les moniales prirent la route pour se reposer au monastère car il n’était pas
convenable, pour les servantes du Christ, d’assister à des combats.
Elles promirent de prier pour que tout se déroule sans
incident majeur et c’est avec une escorte de chevaliers qu’elles s’en allèrent
vers leur refuge sacré.
Sœur Myriam remit à Blanchefleur une belle cassette de louis
d’or pour couvrir les frais de réception et tout sembla sourire à cette réunion
chevaleresque.
Les participants au tournoi arrivèrent les uns après les
autres. Ils présentaient leurs hommages à Blanchefleur puis se retiraient sous
leur tente afin de se préparer à combattre et surtout à gagner.
Le prix du tournoi était une belle coupe ciselée en or et
chacun rêvait de se la voir remettre par la maîtresse des lieux, si belle et si
bonne. De plus, ce qui ne gâtait rien, c’est qu’elle était la propriétaire d’un
magnifique château et de domaines florissants. Bois de charmes et lacs profonds
jetaient leur note enchantée, au milieu de champs cultivés avec soin par de
bons agriculteurs.
Les chevaliers ne manquèrent pas d’admirer la lice où se
jouerait le championnat ainsi que le soin apporté aux arènes attenantes et aux
écuries.
Le chevalier du Bois d’Arcy avait fière allure et la
prestance de Bertrand de Guerlande semblait sans égale. Puis vint un chevalier
qui ne voulait pas donner son nom, fidèle à la coutume du combattant mystérieux
qui était souvent le futur vainqueur.
On eut beau l’épier pour le démasquer, rien ne fut dévoilé
et son écuyer demeura muet.
On s’en remit à la tradition. On ne saurait son nom et on ne
verrait son visage que s’il était vaincu ou le vainqueur final.
Le nom de Lancelot hanta chacun mais personne n’en parla car
les chevaliers de la Table Ronde avaient tous disparu et il était impossible
que Lancelot soit encore de ce monde.
Néanmoins, cette légende flotta comme un mystérieux étendard
et cela donna à Lilwen l’idée de broder une oriflamme supplémentaire.
En sa qualité d’hôtesse du château, Blanchefleur se devait
de préparer les couleurs à remettre au chevalier qui les solliciterait. Elle
broda de lys une belle étoffe prise dans la malle que son défunt mari lui avait
fait parvenir et cette occupation l’absorba en la plongeant dans une mélancolie
rêveuse qui la rendait plus belle qu’elle n’avait jamais été.
Lilwen broda des roses d’or sur une belle étoffe bleue comme
ses yeux et elle paraissait si rêveuse que Blanchefleur pensa qu’elle avait un
soupirant mais elle préféra ne pas la questionner.
L’amour peut être si changeant, si fragile !
Elle était bien placée pour le savoir et même si la plaie s’était
cicatrisée, elle gardait encore le souvenir douloureux de la trahison.
Enfin, le grand jour arriva et le tournoi de haute tenue
tint toutes ses promesses.
Vainqueurs et vaincus, après avoir jouté de belle façon, se
retrouvaient dans la salle d’armes où de fraîches jeunes filles leur apportaient
des boissons revigorantes à base de fruits.
Les blessés s’en remettaient aux mains habiles de soignantes
qui enduisaient les blessures de baumes cicatrisants.
Le chevalier du Bois d’Arcy fit merveille mais il fut défait
par le chevalier sans nom qui avait réclamé les faveurs de Blanchefleur.
Il s’inclina face à sa dame et il aurait été déclaré
vainqueur si un chevalier, avec les couleurs de Lilwen ne l’avait pas défié.
Le cœur battant, la comtesse et sa dame de compagnie
prièrent en silence pour que le chevalier Roze, car c’était bien lui, ne morde
pas la poussière.
Les bannières de leur dame flottaient au vent et le choc des
lances fut terrible. Ils durent mettre pied à terre pour combattre à l’épée.
Les dames retenaient leur souffle.
L’inespéré se produisit : Florian Roze eut le dernier
mot et c’est d’un geste sûr et rapide qu’il souleva la visière du chevalier
inconnu, vaincu.
Chacun put alors voir que celui qui avait fait mordre la
poussière à tant de preux chevaliers était un tout jeune homme, presque un
enfant.
En s’inclinant auprès de sa dame, Blanchefleur, il déclina
son identité.
Il n’était autre que l’héritier d’ Eudes le Valeureux !
Alors que le chevalier envoyait des messages d’amour ardent
à son épouse, la belle Blanchefleur dont il énumérait, lettre après lettre, les
canons de sa beauté, il avait vécu une aventure passionnée près de Jérusalem.
Bethsabée aux jolis yeux de biche lui avait donné un garçon
à qui il avait inculqué, dès son plus jeune âge, les valeurs et les devoirs
chevaleresques, se réservant de le faire venir, un jour, en son château,
lorsque Blanchefleur lui aurait pardonné sa trahison.
Un grand poids quitta la poitrine de Blanchefleur et elle
étreignit avec joie ce bel enfant qui précipitait sa faute dans les oubliettes
du château.
Il se prénommait Louis et avait à cœur de défendre le
château de son père.
Blanchefleur lui fit préparer la plus belle chambre et elle
ne manqua pas à ses devoirs en remettant la coupe d’or ciselé au vainqueur, le
beau chevalier Florian Roze qu’elle pourrait enfin regarder sans éprouver un
sentiment de honte.
Les joues de la belle Lilwen rosissaient lorsqu’il lui
rendit sa faveur, à peine tachée de sang car il avait tenu à la préserver.
La naissance d’un amour et la formation d’un couple
enchantèrent la dame du château qui rentra dans sa demeure, apaisée et décidée
à se consacrer désormais à l’éducation et au bien-être de Louis qui ne
tarderait pas à porter le nom de son père : le Valeureux.
Ainsi finit l’histoire des compagnons de la tulipe d’or et
si vous souhaitez en savoir davantage, une suite naîtra sous la plume inspirée
de votre conteuse !
Que troubadours et ménestrels fassent leur entrée au château
pour enchanter les hôtes, heureux d’avoir vécu une suite d’aventures
mémorables.
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