Ensuite, l’écriture devenait progressivement illisible.
On distinguait une suite de mots :
3h30 Sommeil – C’est injuste. Je digère mal le
cake. Roméo et Juliette – Ophélie, Ophélie. Des lys partout – Pourquoi tous ces
lys ? Le manuscrit s’achevait sur ces mots.
Le Bihan détacha le feuillet et l’inséra dans une
pochette plastifiée, se félicitant d’avoir mis ses gants. Une sacrée pièce à
conviction ! Sous l’effet d’une drogue puissante, le réceptionniste de
nuit avait étranglé la jeune fille qui reposait dans la chambre Ophélie. Mais,
en ce cas, pourquoi une tierce personne, la perfide Sylviane, s’était-elle
donné la peine de le droguer ? Ce malheureux jeune homme, loin d’être un
criminel, avait peut-être assisté à la scène du crime sans en comprendre
clairement le déroulement. « Du boulot pour le chef ! » pensa-t-il
et il s’enquit avec un détachement simulé de l’heure du départ du
réceptionniste, à huit heures comme d’habitude. « Vous semblait-il dans
son état normal ? Il s’est plaint d’avoir ressenti de violents maux de
tête dans la seconde partie de la nuit. Il était si pressé de rentrer chez lui
qu’il a oublié ses notes. D’habitude, il les emporte pour en améliorer la
présentation. Il est très pointilleux sur le chapitre du style. C’est un jeune
homme qui suit des cours de philosophie à l’université. Il a pris cet emploi
pour payer ses études. Comme il est très scrupuleux, nous avons confiance en
lui. Sur ces mots, Sandrine qui dirigeait le pôle réception se replongea dans
ses documents. Merci Mesdames » dit Le Bihan et il se demanda ce que
faisait le chef
Croisant à nouveau Florian les bras chargés de
serviettes de bain, il eut la réponse à sa question : « L’inspecteur
vous commande de regagner le commissariat et de faire part au commissaire
Dubost de l’ensemble des investigations. En ce qui le concerne, il va déjeuner
au château en compagnie de Monsieur Béryl, notre directeur. Sans doute
mettront-ils au point un modus vivendi. Le légiste en a terminé sur place. La
pauvre demoiselle a rejoint une salle d’études où il achèvera de faire parler
le corps. L’équipe s’affaire pour le relevé des empreintes. En sortant, ils ne
manqueront pas d’apposer les scellés. Bonne journée !
Merci ; une question cependant : où
étiez-vous cette nuit ? Mais au château naturellement, dans le couloir,
près de la chambre Ophélie, guettant la venue d’une jeune fille pour
l’étrangler ! Pensez-vous vraiment qu’après des journées aussi chargées,
j’aurais pour loisir favori le crime gratuit ? Certes, je rencontre la
fleuriste tous les jours. Demandez-lui donc si je lui ai demandé des lys.
D’ailleurs, tout le monde vous le confirmera, j’ai quitté le château à vingt et
une heures pour regagner ma chambre car j’ai loué un studio en ville. Bonne
journée et fructueuses investigations ! Ces serviettes de bain commencent
à peser et je dois me rendre à la piscine pour les y déposer. A plus tard,
Inspecteur !
Agent Le Bihan, soyons précis. J’ai l’impression
de vous avoir choqué. Je ne vous ai posé qu’une question de routine. Merci pour
le conseil : j’irai voir la fleuriste afin de m’assurer qu’il n’y ait pas
eu de commande de lys.
Sans vouloir vous froisser à mon tour, ce serait
trop facile si votre recherche s’avérait positive. De plus, ce ne sont pas des
fleurs que l’on trouve en abondance chez les fleuristes qui préfèrent les lys
colorés.
Je vais donc enquêter côté jardin de curé.
Kenavo ! »
Et Le Bihan partit d’un pas élastique, heureux
d’avoir à enquêter sur le chemin du commissariat. Il ne se sentait pas à l’aise
au château. Cet environnement lui rappelait qu’il avait porté son prénom comme
un fardeau. Pour un enfant sans père, un prénom de prince, quelle ironie !
En arrivant au presbytère, il aperçut Maria, la fidèle servante du curé.
« Sergent, l’apostropha-t-elle, on m’a volé mes beaux lys blancs ! Je
les réservais pour le repas du pardon. Ma Doué ! mais qui a pu faire un
pareil crime ?
Réprimant un sourire, Le Bihan demanda à la
servante de venir au commissariat afin de signer sa déposition. Vous me croyez
donc, dit-elle soulagée ! C’est que je craignais d’être
moquée ! »
Détrompée par le sourire amical de Le Bihan,
Maria parla de se rendre au presbytère car elle avait un Kig ha Fars sur le feu
et il était temps de couper fars blanc et fars brun dans le plat des fêtes.
Monsieur le Curé avait besoin de réconfort ces
temps ci car la proximité du pardon le rendait nerveux.
Je reviendrai après le café promit-elle.
Le Bihan se résigna à utiliser le téléphone
portable et avertir le chef de ses dernières investigations. Il serait
peut-être utile de faire des moulages dans le jardin. Le fleuriste y aurait
peut-être laissé ses empreintes ?
Réconforté par les encouragements du chef, Le
Bihan entra chez Brigitte où il s’envoya une cervoise pression Duchesse Anne,
sa préférée puis il sortit en mâchant consciencieusement un sandwich au beurre
et andouille de Guémené.
Après avoir serré la main au légiste et s’être
assuré par contact téléphonique que Bobosse avait accompagné le peintre dans sa
chambre, Le Bihan fit apposer les scellés et demanda à son adjoint de procéder
à la vérification des emplois du temps du personnel avec discrétion. Ce travail
achevé, Bobosse rejoindrait Le Bihan au commissariat afin d’informer le
commissaire pressé d’être tenu au courant du déroulement de l’affaire. La
question majeure étant celle de l’identité de la jeune fille, il convenait
d’étudier le fichier « Disparus » et de consulter le quotidien local,
Ouest-France, pour localiser une hypothétique petite annonce.
On attirait les jeunes filles dans de véritables
souricières sous couvert de castings prometteurs. La tenue de la jeune fille,
longue robe de lin, chaussons de satin, détail qui avait intrigué le légiste,
les fleurs naturellement, tout cela les poussait vers cette piste. A moins
qu’il ne s’agisse d’une macabre mise en scène des pseudos druides venus de la
région parisienne à la suite d’une émission télévisée racoleuse, sous-titrée
Mystères. On y affirmait que les lutins hantaient bien les sous bois de
Brocéliande et l’on racontait avec beaucoup de sérieux des récits relevant de
la paranoïa taxés de para psychologie.
L’inspecteur fut soulagé d’apercevoir la
silhouette imposante du directeur Philippe Béryl qui s’était présenté à
lui : il accompagnait une heure plus tôt l’équipe du légiste. Il leur fit
part de son étonnement et de sa douleur face à cette inconnue et les informa du
lien littéraire qu’il avait établi entre la position du corps et les vers de
Rimbaud.
Le comble de la coïncidence provenait du fait que
la chambre portait le nom d’Ophélie, en hommage à un personnage célèbre Hamlet,
à la fin tragique.
Il s’était ensuite éclipsé pour régler un détail
technique mais donnait rendez-vous à l’inspecteur pour qu’ils déjeunent
ensemble dans la salle des Plaisirs Gourmands réservée aux invités de marque.
Ne protestez pas assura-t-il nous y serons tranquilles. Je pourrai vous présenter,
notre établissement dans être dérangé. Les deux hommes entrèrent de concert
dans une salle décorée avec goût et sobriété.
Le menu était évocateur. Le Foie gras de canard
des Landes, cuit en terrine, Pommes Acidulées.
La Poêlée de Langoustines du Guilvinec.
Cocos de Paimpol Lard et Truffe Fraîche.
Le Filet de Bœuf aux Pleurotes.
Le Brie Rôti à la Rhubarbe.
Le Parfait à la Bergamote et aux Agrumes.
Sans oublier les Amuses Bouches et les
Mignardises et un excellent Champagne Veuve Clicquot 1995.
Commandez moi une bouteille de Badoit demanda
l’inspecteur.
Je dois garder la tête froide pour raisonner.
Certes, j’allais vous le proposer. Mais ne
dédaignez pas ce merveilleux champagne. Il vous mettra peut-être sur la voie en
cette délicate affaire. Chez Simenon le commissaire Maigret boit de bonnes
bières et du vin blanc.
Simenon était peut-être au régime car c’était lui
qui résolvait les énigmes ! Dans l’affaire Ophélie, appelons la ainsi, il
y a hélas ! une véritable victime et un meurtrier on ne peut plus réel
d’après les constatations du légiste. La thèse de l’accident est absolument
exclue. Avez-vous fait votre enquête interne au sujet du couple américain, les
Evans ?
C’est la première démarche que j’ai entreprise.
Nous avons téléphoné à leur domicile new yorkais. La jeune sœur de Mrs Evans
m’assuré qu’ils se trouvaient à Saint Tropez. J’ai pu les joindre par portable.
Le soir du meurtre, vers 20h30 des amis leur ont envoyé un hélicoptère pour
qu’ils quittent le château au plus vite. Une surprise les attendait à Saint
Tropez. Ils ont averti la réception, payé la note, décommandé leur petit
déjeuner et sont partis. Or j’ai interrogé mes employés. Personne ne se
souvient d’une telle démarche et je n’en ai trouvé aucune trace.
Voilà donc des suspects potentiels.
Rassurez-vous. Vous n’aurez aucune peine à vous comporter avec délicatesse car
le couple a proposé de revenir au château pour témoigner de sa bonne foi. S’ils
tiennent parole, nous prendrons le café avec eux au bord de la piscine.
Mais savourez ce foie gras en terrine. Le chef le
prépare à merveille. Le plat lui a valu d’être meilleur ouvrier de France. Nous
prendrons un doigt de pacherenc du Vic Bilh qui se marie bien avec ce mets
digne d’un grand chef. Par courtoisie et aussi, il faut bien le dire, par
gourmandise pure et simple, les deux hommes firent honneur au repas remarquable
en tous points. Le sommelier, grave et attentif, se comportait comme les
échansons d’autrefois. A la demande du directeur il analysa des vins avec infiniment
de minutie et de talent. Ce jeune homme a été formé dans un lycée hôtelier
breton, école très sérieuse d’où sortent des jeunes gens à l’avenir prometteur.
Lorsqu’il était encore élève, Aurélien tel est
son prénom, a effectué un stage de formation chez nous. Il nous a semblé
tellement digne de confiance. Une perle dans un établissement ! disaient
de lui ses professeurs, que nous l’avons embauché avant même qu’il n’obtienne
son diplôme. Un bon sommelier c’est un peu comme la diva d’un opéra. Sans lui,
nous n’aurions jamais obtenu notre étoile au guide Michelin. Le chef y est pour
beaucoup également mais lorsqu’un relais-châteaux est récompensé chacun y a sa
part.
Florian n’y est sans doute pas étranger.
Certes ; lui, c’est un peu notre mascotte.
Ce garçon semble secondé par les dieux. D’ailleurs le voici. Avec sa grâce
coutumière, Florian semblait fouler une allée de pétales de roses tant sa
démarche aisée démentait le perpétuel va et vient de sa vie professionnelle. Un
autre que lui aurait acquis des automatismes, au contraire il semblait toujours
prendre plaisir à sa tâche, si ingrate fût-elle.
Mrs et Mr Evans vous attendent dans le salon
bleu. Je leur ai fait servir du champagne afin de les faire patienter.
Parfait, Florian ; vous pourrez bientôt
prendre ma place si j’ai quelques défaillances.
Allons, voulez-vous ?
L’inspecteur tint à remercier le chef pour le
mémorable déjeuner qu’il venait de connaître. Coiffé de sa toque immaculée,
portant le cordon bleu blanc rouge, insigne du meilleur ouvrier de France, sa
veste de cuisinier portant son nom, récompense d’une maison, à un chef étoilé,
le chef apparut, timide et embarrassé. Il fleurait bon la cannelle. Tout
rougissant, il accepta les compliments de l’inspecteur, promit de régaler un
soir ces messieurs du commissariat et soulagé d’avoir trouvé une formule qui
lui permettait de se retirer, s’enfuit dans sa cuisine qui était son seul
domaine.
Rassurez-vous dit Béryl en souriant, il n’est pas
toujours timide. Parfois, les coups de torchon et de spatules pleuvent sur les
cuisiniers dolents ou maladroits. Il a une vivacité de tous les diables
lorsqu’il est au piano. Mais voici nos hôtes dit-il en découvrant le couple
Evans confortablement installé sur une ottomane. En choisissant, ce terme
d’hôtes, il rappelait ainsi à l’inspecteur qu’il lui fallait aborder le sujet
avec délicatesse.
La conversation, habilement menée par un Béryl
mondain voire snob méandra sur la beauté de la France et de son attrait
touristique et du confort plus ou moins réel des relais-châteaux. Pressé d’en
venir au but, Mr Evans mit fin aux mondanités et répéta mot pour mot ce qu’il
avait dit au téléphone. Il ponctua sa tirade d’un « pouvons-nous nous
retirer ? » qui se voulait péremptoire.
Chers amis, vous êtes libres ! Minauda
Béryl. Néanmoins, l’inspecteur Le Bihan qui est à mes côtés, a besoin du nom de
la personne qui a été avertie au château de votre départ et qui vous a établi
une facture.
Bien sûr, c’est pour son rapport, nous
comprenons. Eh bien, c’est très simple. Ma femme a un faible pour Florian et fait
toujours appel à lui lorsqu’elle descend au château. C’est toi qui as réglé
tous les petits détails, chérie n’est-ce-pas ?
Exactly ! J’ai bien fait appel à Florian.
En ce cas, je suggère qu’on le fasse venir ici
pour confirmation. Sophie, interpella-t-il, servez nous cafés et petits gâteaux
et demandez à Florian de venir ici même.
Le jeune homme fut bientôt en leur présence.
Béryl l’interrogea avec beaucoup de doigté et
s’entendit répondre.
Si Monsieur souhaite qu’il en soit ainsi, j’en
endosse la responsabilité.
Que voulez-vous dire Florian ? Avez-vous,
oui ou non reçu l’ordre de faire partir les bagages de Mrs et Mr Evans hier
soir et avez-vous préparé la note de nos hôtes ? En ce cas, comment se
fait-il qu’il n’y ait aucune trace ?
John il faut avouer dit Mrs et Mr Evans.
Ce n’était qu’un jeu après tout.
Un jeu ! s’écrièrent Béryl et Le Dantec dans
un ensemble parfait !
Nous avons parié avec des amis qu’il nous serait
facile de quitter le château sans payer. Nous avons inventé de toutes pièces
l’ordre donné au réceptionniste.
En réalité nous sommes partis à 4h du matin. Nous
avons tenu quelques heures, suffisamment pour que notre pari soit gagné.
Allons, souriez ! Nous serions revenus payer les frais de séjour quoi
qu’il arrive. Je croyais que les Français avaient de l’humour ! Un
inspecteur de police pour une simple note non réglée !
Rassurez-vous, les français ont toujours de
l’humour y compris les inspecteurs de police dit Le Dantec avec une certaine
gravité. Mais en l’occurrence, il s’agit d’un meurtre et vous comprendrez
aisément, j’imagine, que l’on ne puisse pas badiner à ce propos, d’autant plus
que la victime reposait dans une chambre où vous auriez dû vous trouver si vous
n’aviez pas engagé ce pari. Vous comprendrez aisément, j’imagine, que votre
séjour dans ce château d’où l’on peut s’échapper si facilement va se prolonger.
Médusé le couple resta sans voix quelques minutes
puis le directeur reprit la parole sur un ton conciliant.
Vous serez nos invités, il va sans dire. Sont-ils
libres de leurs mouvements, inspecteur ?
Bien entendu. Prolongez vos vacances. Cela durera
le temps des vérifications nécessaires.
L’inspecteur quitta son auditoire pour regagner
le commissariat. Il prit à part le Directeur pour lui demander de le seconder
juste le temps qu’il envoie une équipe, en civil comme il se doit afin de ne
pas effaroucher les clients.
Personne ne devait quitter le château. Tandis
qu’ils préparaient une souricière bon chic bon genre, le téléphone portable
retentit. Le réceptionniste de nuit Alan Man avertissait qu’il ne pourrait pas
prendre ses fonctions car il était malade et le médecin lui avait prescrit le
repos pour quelques nuits.
Je n’ai personne pour le remplacer ! Gémit
Philippe Béryl.
Qu’à cela ne tienne ! L’un de nos agents, je
pense à Véronique Le Guen, sera parfaite dans ce rôle. Elle a suivi plusieurs
formations qui lui permettent à présent de s’infiltrer avec beaucoup de tact et
de réussite. Vous verrez, elle fera merveille.
Je vous l’envoie tout de suite afin qu’elle se
familiarise avec les lieux et ses collègues.
Le Dantec, sur ces mots, partit d’un pas décidé,
croisa Florian qui conversait en anglais avec un jeune homme de belle
prestance, le prince pensa-t-il, car cet homme de haute stature portait des
bottes munies d’éperons.
Il avait hâte de faire le point avec le chef,
conscient d’avoir bien conduit l’enquête.
Il fallait à présent engranger les informations
collectées séparément et tâcher de trouver quelques pistes. C’est donc gaiement
qu’il franchit la grille. Quoi qu’il en soit, on ne pourrait pas l’accuser
d’avoir commis des impairs. !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire