L’autel de la Vierge était toujours orné de ces
fleurs en saison. C’est un emblème royal. En Bretagne, on ne l’aime pas, on lui
préfère l’hermine. Le lys, c’était la fleur de l’ennemi, du Roi de France. Ils
semblent avoir été posés sur le lit avec délicatesse. Est-ce l’assassin ou une
personne qui pleure la mort de la jeune fille qui a organisé cette mise en
scène ?
De plus, ils n’ont pas été mis au hasard ;
ils épousent les courbes de la belle morte, un peu comme si on avait voulu
composer un tableau.
Vous demandez un moulage, chef, c’est une bonne
idée mais je ferais plus, je demanderais à un artiste de réaliser une esquisse
du tableau mortuaire avant qu’on n’enlève le corps. Il faut agir vite.
Appeler ce jeune homme efficace, Florian ?
- Soit ! dit Le Dantec partagé entre la
reconnaissance envers son subordonné et son dépit de ne pas avoir eu cette
judicieuse réflexion.
Beau joueur, il remercia Bobosse et appela la
réception pour qu’on lui envoie Florian. Le jeune homme apparut très vite comme
s’il était doté des ailes de Mercure. Mis au fait, il n’eut aucune hésitation
pour disparaître et revenir en compagnie d’un homme jeune et élégant muni d’un
chevalet, de pinceaux et de crayons.
Florian sourit et expliqua :
- Nous avons la chance de compter parmi nous Jean
de Casteljaloux dont le loisir majeur est la peinture. Permettez-moi de me
retirer à présent et de veiller au confort de nos hôtes.
Il s’éclipsa, laissant en pleine lumière son
compagnon qui prit aussitôt la parole, après avoir observé attentivement la
morte.
- Je loge sur le même palier que cette jeune
fille, chambre Au Roi Arthur et je peux vous assurer que je ne l’ai jamais vue.
Il y a quinze jours que j’ai pris pension. Je peins surtout des paysages.
- Pardonnez-moi de troubler votre quiétude dit Le
Dantec mais voyez-vous, dois-je dire Monsieur le Comte ? Oui ? je
vous félicite en ce cas de vouloir aider le roturier que je suis, voyez-vous,
disais-je, nous avons l’impression que la clef du mystère réside dans la
présentation morbide et artistique du corps.
Nous vous serions infiniment reconnaissants de
réaliser plusieurs esquisses.
J’aimerais que vous puissiez nous restituer une
image vivante si j’ose dire. Un détail qui nous a échappé dans l’investigation
classique nous frappera peut-être lorsque nous contemplerons le résultat de
votre interprétation de la scène.
- Fascinant ! dit le Comte. Vous avez de la
chance puisque je suis un peintre figuratif. Ce qui m’intrigue, en premier
lieu, c’est que cette magnifique jeune fille ne porte aucun bijou. Le légiste
pourra sans doute déceler, en examinant son épiderme, si on lui a retiré des
bijoux post mortem ou si, effectivement, elle n’en portait pas. La disposition
des lys est intéressante. Je crois y lire le dessin d’un sarcophage, à la
manière égyptienne. Sa main gauche est posée sur quelque chose.
- Un caillou rose, dit Bobosse, et il le fit
glisser de ses mains gantées dans un sachet qu’il étiqueta.
- De plus en plus étrange, concéda le Comte et il
ajouta : on trouve ces cailloux sur les sentiers de randonnée qui mènent
aux sites de Brocéliande.
- Merci infiniment de votre collaboration,
insista L’inspecteur et, se tournant vers Bobosse, il lui signifia, à mots
couverts, l’ordre de ne pas quitter du regard le dessinateur et de
l’accompagner à sa chambre, la tâche accomplie.
Il poursuivit à voix haute :
- mon adjoint Le Bihan et moi-même allons à la
rencontre du légiste et de son équipe. Toutes les empreintes seront relevées.
Veillez donc à ne pas les multiplier.
Après un clin d’œil complice à Bobosse, Erwan Le
Dantec et Le Bihan sortirent de la chambre Orphélie où reposait un angoissant
mystère.
- Vous avez bien un prénom, Le Bihan ?
- Oui, chef, mais je ne tiens pas à ce qu’il soit
utilisé, surtout au commissariat. Josselin ! Vous rendez-vous compte
chef ? Josselin ! Une tare pour un policier ! Ma pauvre mère a
rendu l’âme en me mettant au monde, de père inconnu.
C’est la voisine qui m’a déclaré à l’état civil.
Comme ma mère n’avait dit à personne quel prénom elle me destinait, en passant
près du château de Josselin, la voisine eut cette idée lumineuse.
Le prénom de Rohan ! Moi qui n’aime ni les
ducs ni les princes, je suis gâté !
- Je respecte votre point de vue, Le Bihan ;
cependant, je pense que tous les nobles ne sont pas nécessairement des monstres.
Le Comte de Casteljaloux s’est plié de bonne grâce à ma requête.
- Sauf votre respect, chef, il y allait de son
intérêt. Il figure, comme tous les clients et les membres du personnel sur la
liste des criminels potentiels.
- Certes - D’ailleurs, dès que nous aurons croisé
l’équipe du légiste, nous interrogerons les responsables de la réception et
insisterons pour que personne ne prenne le départ avant de signer une
déposition. Mais voilà l’équipe ! Prenez les devants. J’ai deux mots à
dire au légiste au sujet du moulage.
Le Bihan se dirigea vers la réception avec
soulagement.
Enfin de l’action !
Au détour d’un couloir dallé de faïence ancienne
d’une telle beauté qu’on hésitait à y faire résonner ses pas, il aperçut
l’inévitable Florian.
Debout, près d’une desserte, il composait des
bouquets. Pas de lys nota-t-il machinalement. Il sourit au jeune homme tout en
lui faisant part de son étonnement :
- Quelle est votre affectation exacte ?
- Je suis réceptionniste, mais comme vous le
voyez, je suis polyvalent. Je compose les bouquets, je chasse les papillons
près de la piscine, je porte les bagages, je réponds au téléphone en plusieurs
langues car je suis polyglotte : je parle l’anglais, l’allemand,
l’italien, le russe, le portugais et je possède des rudiments en arabe
classique ; j’assure les saisies à l’ordinateur, j’expédie les factures,
je suis aussi convoyeur de fonds. Lorsque le château reçoit les hôtes de
marque, on me les confie.
Le couple Ewans n’était donc pas considéré comme
tels, je présume ?
- Exact - Par hôtes de marque, nous entendons de
grands noms de France et d’ailleurs. S’y adjoignent les célébrités.
- Etes-vous actuellement en mission
spéciale ?
- Oui, auprès du prince Youssef de Jordanie. Il
occupe la chambre Othello. Si je suis aussi peu stressé ce matin, c’est qu’il
n’a pas passé la nuit dernière au château. Il se rendait dans un haras pour
négocier l’achat d’un pur sang qu’il convoite depuis longtemps. Il a quitté le
château hier vers dix huit heures et ne rentrera que demain matin inch !
Allah !
Ne vous donnez pas de peine pour moi ; je ne
suis que l’agent Le Bihan. Mais, dites-moi, comment se fait-il que vous deviez
assumer tant de responsabilités ?
- De la même manière que vous obéissez à votre
chef répondit laconiquement le jeune homme.
Ses bouquets terminés, il devait à présent en
fleurir les chambres.
Le Bihan le quitta à regret. Il avait la nette
impression que ce jeune homme surprenant aurait pu lui donner des
renseignements précieux.
A la réception, deux femmes s’affairaient. Elles
avaient le nez rivé sur des documents. Le Bihan les aborda de façon policée, au
double sens du terme.
Impressionnées par la carte officielle de
l’agent, elles se plièrent de bonne grâce à ses multiples demandes et lui
remirent la liste du personnel et des hôtes du château. Elles promirent de ne
laisser personne quitter Au Roi Lear.
Le réceptionniste de nuit, Alan Ma, d’origine
Sino américaine, s’était retiré pour se reposer. Le Bihan demanda à consulter
son bloc notes personnel.
Les jeunes femmes lui avaient révélé qu’il avait
l’habitude de noter tous les détails qui lui semblaient intéressants. Elles lui
remirent un classeur. Sur la page consacrée à la nuit du crime le 25 mai, il lut
ceci :
22h – 1ère ronde R.A.S.
22h30 Du bruit du côté de la piscine. J’y cours –
Rien Il m’avait semblé cependant que quelqu’un se baignait.
23h – 2ème ronde R.A.S.
23h30 La romancière Lydie Herlem, chambre Blue
Devil, me commande un sorbet au gingembre. Elle exige que je le lui monte sur
un plateau d’argent avec un soliflore garni d’une orchidée. Elle demande aussi
un jus d’oranges et des gâteaux. Elle est en panne d’inspiration et souhaite
fouetter son imaginaire.
J’appelle Sophie à l’office qui m’apporte le
tout. Pas d’orchidée, une rose fera l’affaire, m’assure-t-elle. Voire ! Je
monte et la sers prestement. Visiblement de bonne humeur, elle pardonne
l’absence d’orchidée et me souhaite une bonne nuit. « Ouvrez bien l’œil,
jeune homme ! dit-elle avec malice. Les deux, Madame, il le
faut ! » Je me retire.
Minuit quinze 3ème ronde.
J’aperçois une chauve souris à la piscine. Est-ce
le bruit que j’ai entendu précédemment ?
1 heure 4ème ronde R.A.S.
1h30 La romancière m’appelle à nouveau. Elle a
entendu du bruit dans le couloir. J’y cours – Rien Je la rassure sans ouvrir la porte.
2h – 5ème ronde Des éclats de voix à
l’office. Ceci ne me concerne pas. Le chef redoute constamment de perdre son
étoile et devient nerveux.
3h Sylviane, cette peste, habituellement acharnée
à me nuire, m’apporte un plateau chargé de yaourts bulgares, spécialité du chef
pâtissier, mes préférés, et des tranches d’un cake aux arômes orientaux.
Je ne sais comment la remercier car je luttais
contre le sommeil. Une carafe de sirop à la rose pour couronner le tout.
« C’est mon anniversaire, me dit-elle en guise d’explication, et je veux
que tout le monde soit heureux.» . Elle m’ébouriffe, histoire de m’exciter et
part comme une ballerine.
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