Luciole d’argent
Andréa reçut à son tour la carte féerique et son attention
se porta sur le nom du hameau Luciole d’argent.
Peintre impressionniste, il aimait les jeux de lumière et ce
nom semblait prometteur.
Il cherchait sans cesse la clarté spécifique des trouées de
la nuit et les lucioles lui apparaissaient comme des émanations féeriques qu’aucune
palette de peintre n’avait encore pu saisir.
Les préparatifs terminés, Andréa partit en berline,
chevalet, toiles, pinceaux et pots de peinture formant l’essentiel de son bagage.
Le trajet se déroula sans incident notable et le parcours
fléché s’avéra fiable.
Le hameau Luciole d’argent méritait son nom car un étrange
comité d’accueil, des yeux phosphorescents, fit une haie d’honneur au peintre
ébloui, pressé de saisir ces faisceaux de lumière du bout de son pinceau.
Un chalet portant son nom l’attendait près d’une rivière
prometteuse en émotions et captations lumineuses.
Le majordome assigné à son service s’empara de ses effets et
rangea le matériel destiné à la peinture dans un local spacieux et bien éclairé
pouvant servir d’atelier.
Andréa s’en remit à Picard, ce fidèle serviteur pour la
prise en main de son emploi du temps.
Le repas fut parfait : Vol au vent de volaille
fermière, truite de rivière pochée aux amandes, fromages de chèvre, de brebis,
brie à la rhubarbe et enfin pastilla à la crème d’orange et à la rose, puis
pour finir avec un souvenir d’enfance, un gâteau moka le régalèrent
délicieusement.
Heureux de ces prémices fastueux, il lut quelques pages des
Misérables de Victor Hugo, ce livre quasi biblique qui ne le quittait jamais et
rêvant à une Cosette cachée dans ce hameau, il fit une toilette approfondie, se
frictionna à l’eau de Cologne et plongea dans un sommeil onirique au fond d’un
lit douillet propice aux ébats de Morphée.
Le lendemain, après un petit déjeuner copieux servi par
Picard, Andréa se promena près de la rivière, son carnet d’esquisses à la main.
Une ravissante sirène hantait les flots et Andréa saisit son
incroyable beauté d’un coup de crayon précis qu’il embellit ensuite dans son
atelier en se servant de brosses et de pinceaux.
Il mit plusieurs jours à peindre l’apparition et lorsque le
tableau fut terminé, il était si beau que Picard eut une sorte d’éblouissement,
lui qui était de nature flegmatique.
Andréa passa quelques jours dans sa chambre car il éprouvait
une sorte de syndrome stendhalien.
La beauté de la jeune fille qu’il avait peinte sous les
effets d’une inspiration voisine de la folie par son intensité, le terrassait
littéralement.
Lorsqu’Andréa se fut reposé, heureux d’avoir réussi le chef
d’œuvre de sa vie, il se décida à rentrer chez lui, emportant la toile qu’il
nomma Lorelei et il demanda à Picard de bien vouloir l’accompagner car, lui
dit-il, il aurait de la peine à se passer de ses excellents services.
C’est le cœur un peu serré que maître et valet quittèrent
Luciole d’argent pour ne plus jamais y revenir car selon Picard, les magiciens
n’aimaient pas que l’on parte d’un hameau enchanté pour aller et venir à sa
guise.
Les chemins du rêve sont impénétrables dit doctement Picard.
Monsieur a réussi l’œuvre majeure de sa période Luciole et
il lui suffira, par la suite, lorsque sa renommée sera établie, de peindre sur
commande pour vivre confortablement.
Quelle sagacité dit Andréa : vous serez mon
collaborateur dans la gestion de mes affaires car je ne suis guère doué en
pratique comptable.
Comme Picard l’avait prédit, Andréa devint célèbre.
Il fut recherché par de nombreuses beautés et lorsqu’il
devint amoureux et projeta de se marier, il garda Picard à son service.
Ce dernier devint un ami plus qu’un serviteur et il troqua
son sobriquet de Picard par son prénom d’enfance, Jean-Louis.
Luciole d’argent resta leur secret et tous deux demeurèrent
muets lorsqu’on les interrogea pour connaître le modèle de la belle Lorelei qui
passa à la postérité !
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