Dans
un royaume africain, des pêcheurs qui lançaient leurs filets dans un grand lac
virent apparaître, au loin, une pirogue qui semblait vide. Ils l’arraisonnèrent
à l’aide d’un harpon et découvrirent au fond de l’embarcation le corps d’un
jeune homme richement vêtu. Il reposait sur un lit de pétales de roses et avait
à la main une gourde vide et un carnet de dessins où figuraient la
représentation d’une princesse fabuleusement belle et un château en ruines où
grimpaient d’innombrables rosiers.
Bantu
qui était réputé pour son adresse dans le domaine médical humecta les lèvres du
jeune homme avec un produit de sa composition où figuraient en bonne place des
racines et des plantes macérées dans un alcool de sa fabrication demeurée secrète.
L’effet fut magistral : l’homme ouvrit les yeux qu’il avait clairs et
bleus.
Les
pêcheurs admirèrent la luminosité de ce regard et s’empressèrent à son chevet.
On lui frictionna les tempes, on le nourrit avec de petites bouchées de poisson
enrobées dans une pâte d’arachide et accompagnées de boulettes de manioc. Le
jeune homme sembla retrouver ses forces. Il remercia ses sauveurs en formant un
soleil de ses mains réunies.
Lorsqu’ils
accostèrent, le chef, nommé Bakari estima que cet homme venu du bout du monde
était encore trop faible pour marcher. Tous se mirent à confectionner à l’aide
de roseaux et de feuillages une sorte de palanquin dans lequel l’être qu’ils
avaient sauvé prit place. Ils firent bien car le soleil brûlait facilement les
peaux fragilisées par une blancheur peu courante sous ces climats.
- Comment t’appelles-tu ? demanda Bakari.
-
Je ne le sais pas précisément mais il me semble que là d’où je viens, on
m’appelait le Prince à la rose.
-
C’est un bien joli nom et nous te nommerons ainsi. Il n’est pas bon qu’un homme
change de nom. Le nom, c’est la parure de l’humain, sa référence intime.
Prince, tu étais, Prince tu seras et la rose sera le symbole qui te déterminera
chez nous.
Sur
ce, le chef intima à la petite escorte de se mettre en route afin d’arriver au
village le plus rapidement possible. Bamba et Coudou se chargèrent de la
provision de poissons et les quatre robustes gaillards au nombre desquels on
comptait le chef portèrent le palanquin, volant littéralement sur la route qui
serpentait, de zones sablées en zones d’herbes sèches et de cailloux.
Bientôt
le village fut en vue. Des femmes se précipitèrent à leur rencontre. La fine
silhouette de Cherima, la plus jolie fille apparut comme un cadeau de la terre.
Elle planta son regard dans les yeux azurés du prince et sentit aussitôt ses
genoux se dérober. Comme elle se savait observée, elle se pinça violemment en
faisant sembler de chasser un insecte et intima à ses amies, Awa, Bia et Beyza
de conduire leur invité dans la plus belle habitation du village. Ainsi fut
fait. Le prince fut littéralement happé par toutes ces femmes qui, sous un
prétexte ou un autre, effleuraient à la dérobée cette peau blanche qu’elles
voyaient pour la première fois.
De
son côté, le prince était ébloui par tant de beauté. Dans leur empressement,
les jeunes filles révélaient la chaleur de leur teint mordoré qui captait le
soleil. L’aspect satiné de leur épiderme suscitait le désir. Le prince devait
refréner l’irrésistible envie de caresser ces jolies peaux qui le saisissait,
faisant passer le besoin de nourriture à un plan subalterne. Et pourtant on lui
proposait de véritables délices où abondaient crustacés, poissons en sauces
servis avec une sauce dite enragée qui emportait le palais et entretenait le
besoin de nourritures épicées où dominaient des cubes de légumes colorés et
savoureux. Naturellement, les fameuses boulettes de manioc, ingrédient
indispensable à la recette du plat traditionnel joliment nommé Foufou servaient
à s’imprégner du nappage du plat odorant.
Après
avoir fait honneur à ce somptueux repas arrosé de bière légère et d’eau
fraîche, le prince se cala dans un rocking chair. Awa et Beyza prirent la peine
de l’éventer tandis que Bia psalmodiait un chant d’amour.
Le
prince ferma les yeux et se transporta mentalement dans un royaume lointain où
abondaient les rosiers. Ils encerclaient un château en ruines ainsi qu’une
chapelle et c’est alors que le prince retrouva la mémoire.
Sa
vie lui apparut comme la succession d’images de bande dessinée. Quelques larmes
coulèrent sur ses joues à l’évocation de son vieux maître qui l’avait envoyé
faire un tour du monde, nécessaire à ses yeux pour l’éducation d’un jeune
prince. Ses lèvres tremblèrent et son entourage découvrit avec stupeur que des
boutons de roses stylisés, ornés de feuilles d’or tombaient dans les mains du
prince, unies en réceptacle.
« Jeunes
filles, dit alors le prince, sachez que je viens de retrouver la mémoire. Je me
nomme Erwan. Un magicien m’a arraché à un lieu qui contenait vraisemblablement
le secret de mon destin. Sans doute faut-il que je vous quitte mais ce serait,
pour moi, un véritable crève-cœur car vous venez de m’apporter tant de
bonheur ! ». À la demande générale, il entreprit le récit de sa vie.
Lorsqu’il parvint à l’évocation du baiser d’amour échangé avec une princesse
née d’une rose, son auditoire fut partagé entre la consternation et un regain
d’espérance. Cette créature surnaturelle devait être démasquée. Derrière ce
joli minois et cette merveilleuse silhouette se cachait peut-être un démon.
En
termes mesurés, Charima demanda au jeune prince ce qu’il comptait faire. Ce
dernier resta rêveur. Au bout de longues minutes, il dit son désarroi. Il se
sentait si bien sur cette terre hospitalière mais apparemment son propre
bonheur n’était pas le but recherché de son maître d’armes, père adoptif en
quelque sorte.
Bia
qui parlait peu d’habitude laissa rouler un torrent de paroles. Que savait-il
de la vie, au juste, cet homme qui lui avait enseigné l’art de la guerre ?
Tôt ou tard, lorsqu’on avait appris à se servir d’une arme on était tenté d’en
faire usage. Au village, personne ne songeait à guerroyer et l’on ne s’en
portait pas plus mal, bien au contraire.
Tenu
au courant de l’étrangeté de la situation, le chef trancha : Erwan les
quitterait s’il en sentait la nécessité. Tous l’escorteraient pour lui éviter
de se retrouver dans une situation critique. Par contre, il lui demandait,
avant de prendre une décision, de les accompagner dans le royaume des gorilles.
L’observation de ces animaux si attachants et si proches de l’homme lui
donnerait peut-être la clef de son destin.
Le
lendemain, ils se mirent en route, parcourant des terres de plus en plus
boisées et verdoyantes. Ils arrivèrent enfin, au bout de quelques jours de
marche, dans un lieu paradisiaque qui semblait avoir été épargné par le temps
et les hommes. Les haltes étaient agréables, courtes et récompensées par des
repas pleins de frugalité et d’amitié. Le groupe était de plus en plus soudé et
Erwan goûtait enfin un plaisir sans retenue. Enfin, on les aperçut, ces dieux
de la forêt, si débonnaires et si puissants. « Surtout ne les regardez pas
dans les yeux, ils prendraient cela pour une provocation. Gardez la tête
baissée ! » Erwan regretta de ne pas pouvoir observer ces prunelles
intelligentes, capables de déceler tant de messages mais il fit confiance à ses
compagnons. Le regard biaisé, il observa leur façon de se nourrir, de se
comporter au sein d’un groupe et même d’aimer. Le temps n’existait plus dans ce
lieu paisible, véritable Éden que les hommes n’avaient pas su garder.
Lorsqu’ils
revinrent au village, il était un autre homme. Son titre de Prince lui semblait
dérisoire, sa mission première lui apparaissait comme une folie.
Le
chef qui semblait lire dans ses pensées lui conseilla de ne pas prendre de
décision immédiate et de laisser le temps faire son œuvre. Ainsi fut fait et
quand le moment d’opter pour un retour aux origines intégrant château en ruines
et énigmes ou pour un séjour quasi définitif au village fut venu, Erwan dit gravement
qu’en dépit de la séduction extrême du village, il était de son devoir de
retourner au château où sa présence était nécessaire.
Le
chef le félicita pour son courage car il lisait dans ses yeux la déception de
quitter un endroit où il était heureux.
À
peine avait-il pris cette décision qu’un albatros se posa à ses pieds. Il
portait le message suivant : « Prince à la rose, ton retour se fait
pressant. Reviens parmi nous. Ta Princesse ».
Pirogues
et embarcations fleuries furent de mise. Erwan jura aux charmantes filles du
village qu’il leur offrirait des bijoux précieux en remerciement de leur
accueil. Il embrassa leurs jolies mains et prit le large en se laissant
emporter par le pas cadencé de ses amis.
Se
fiant au soleil, ils allèrent droit devant eux, pagayant avec ardeur.
Des
cygnes apparurent, suivis d’un cortège de flamants roses et de grues cendrées.
Un carrosse d’or attendait le prince sur le rivage. Des jeunes gens au nombre
desquels se trouvait Benjamin escortèrent Erwan jusque dans le réceptacle du
carrosse où l’attendait la princesse de ses rêves.
Je
vous laisse imaginer la chaleur des retrouvailles ! Le Prince et sa belle
amie prirent la route du château tandis que les pêcheurs retournaient au
village. Ils n’avaient pas les mains vides : la princesse avait pris la
précaution de se munir de belles pièces d’or et de parures exécutées par les
orfèvres du royaume. Erwan se félicita de pouvoir récompenser aussi promptement
les amis qu’il n’oublierait pas de sitôt et les charmantes filles qui lui avaient
prodigué des soins, l’enchantant littéralement par leur beauté et leur
gentillesse.
Si
mon cœur n’avait pas été pris, pensait-il, j’aurais certainement épousé l’une
de ces beautés et nous aurions eu de beaux enfants qui auraient vécu dans le
terroir de l’innocence et de la force tranquille, à l’instar des gorilles aux
yeux pleins de mystère. S’ils ne voulaient pas qu’on les regarde dans les yeux,
c’était sans doute pour garder intact le secret de leur existence et de leur
longévité.
« Vous
voilà bien rêveur, mon aimé, dit la princesse en souriant ».
Alors Erwan enlaça sa belle amie et l’embrassa longuement, rêvant à des
soleils et à des lendemains couleur turquoise.
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