Afin de ne pas se
laisser prendre par les pièges nocturnes, le prince envoya quelques éclaireurs
à la recherche d’un logis où tous pourraient se restaurer et dormir. Ils
revinrent porteurs d’une bonne nouvelle. Non seulement ils avaient trouvé un
très joli château mais encore ils semblaient y être attendus. Dans la pièce
principale un bon feu de bois flambait, contenu par des pare-feu aux effigies
princières. Le couvert était mis, porcelaine de chine, verres de cristal et
argenterie chiffrée. Au milieu de la table, une corbeille de fruits assortie à
des drageoirs où étaient disposées d’alléchantes sucreries, bonbons au miel, à
la violette et au citron, guimauve, pommes d’amour, dragées et crackers anglais
jetaient une note enfantine et accueillante.
Erwan fit remarquer à
son interlocuteur que rien ne laissait supposer que ce bel amoncellement de
denrées précieuses leur était destiné, ce à quoi le chevalier répondit qu’il en
était certain et il sortit de son gant la reproduction d’une inscription en
nougatine qui ne laissait plus la moindre place au doute :
« Bienvenue au Prince Erwan et à son escorte. Ce château est le
vôtre ».
Certes pensa Erwan
sans exprimer ce soupçon, il se peut qu’il s’agisse d’un sortilège et que l’on
nous tende un piège mais avait-il vraiment le choix ? Après cette
présentation grandiose, il aurait été difficile, de plus, de demander à ces
courageux combattants de dormir à la belle étoile et de se contenter de
quelques biscuits pour tout souper.
Il donna donc l’ordre
de suivre l’estafette et ils arrivèrent bientôt aux abords du château tout en
briques roses avec des oriflammes brodées de fleurs de lys et du symbole de
l’hermine. Une escouade de valets apparut afin de conduire les chevaux à
l’écurie. Trois palefreniers bouchonnèrent avec soin le magnifique Vent du Sud
et ils assurèrent à son maître qu’on le lui rendrait rajeuni et prêt à
accomplir des prouesses. Erwan dispensa généreusement pièces d’or et d’argent
et promit de leur en donner le double à son retour.
De jolies jeunes
filles vinrent accueillir les chevaliers et leurs princes, leur proposèrent de
se délasser un peu dans des bains bouillonnants, ce qu’ils acceptèrent avec
joie. Des tenues d’appartement blanc et or pour le prince, bleu myosotis ou
pervenche et tout un assortiment des couleurs de l’arc-en-ciel pour les
chevaliers, des sandales en cuir tressées et même des médaillons où l’on voyait
s’ébattre des licornes, des fées et des papillons étaient à leur disposition.
Ainsi vêtus, les chevaliers et leur prince se dirigèrent vers la salle à manger
où apparurent très vite des servantes élégantes qui déposèrent prestement dans
les assiettes creuses un bouillon de volaille dont le fumet promettait des
merveilles. Chacun se régala de cette entrée alléchante et accueillit la suite
avec bonheur. Omelette mousseuse aux cèpes, coupelles de riz parfumé, rôti de
sanglier aux airelles, légumes en purées, fromages de chèvre frais, brie à la
compote de rhubarbe, macarons fourrés aux fruits, à la crème et au chocolat,
gâteaux mokas, quatre-quarts et îles flottantes permirent à tous de se
restaurer avec magnificence. On leur servait des boissons diversifiées, au gré
de chacun, jus de fruits, eau plate ou gazeuse, vin miellé, bière légère,
limonades ou sirops d’orgeat et de roses.
Boissons chaudes
également diversifiées, grogs au rhum notamment qui eurent un vif succès, thés
aromatisés, cafés suivis d’alcools au nombre desquels figuraient l’armagnac,
l’eau de vie la plus ancienne de France, le cognac, la plus célèbre et enfin
rarissimes et subtiles les liqueurs aux plantes élaborées par les Moines dans
le secret de leur laboratoire, offrirent la note finale en bouquet de ce
splendide repas.
Afin de garder
l’esprit clair et de pallier toute surprise désagréable, Erwan n’avait bu que
de l’eau et il avait juste trempé ses lèvres dans une petite coupe de liqueur
afin de rendre hommage au travail des Moines.
C’est avec soulagement
que tous accueillirent la proposition de se retirer en leurs appartements.
Quelques chevaliers avaient le pas un peu lourd mais aucun n’était en état
d’ivresse car ils n’avaient pas perdu l’objectif de leur mission et ils
aimaient trop leur prince pour le décevoir par une attitude inappropriée.
La chambre d’Erwan
était très spacieuse et décorée avec goût. Ce qui le frappa d’abord et l’émut
fortement était la présence d’un tableau où la princesse apparaissait en
majesté, escortée par une licorne et un faon au milieu d’une farandole
d’oiseaux. Le château formait un solide ancrage dans le réel avec un lac où
voguait un bateau qui ressemblait à s’y méprendre à celui qu’Erwan avait dû
abandonner avec l’apparition terrifiante du dragon.
Erwan ne douta pas de
l’authenticité de ce signe merveilleux qui lui était adressé et il se coucha
sous un édredon douillet qui le plongea rapidement dans un sommeil émaillé de
rêves. Une étrange mélopée le réveilla en pleine nuit. Il s’approcha de la
fenêtre et ce qu’il vit le persuada de la proximité de sa bien Aimée, de sa
délivrance programmée par le concours des forces vives de l’enchantement. Un être
féerique vêtu de pièces ajustées où abondaient tissus vaporeux, strass et
sequins d’or jouait de la flûte avec tant de talent qu’on s’étonnait à peine de
voir une licorne et une fée danser sous la lune.
Erwan s’habilla
prestement et s’élança dans le jardin, espérant se joindre à ce trio fabuleux
mais lorsqu’il arriva, ils avaient disparu, laissant de leur passage un témoin,
la flûte et quelques joyaux opales en forme de croissant de lune.
Erwan prit ces objets
avec délicatesse en les enveloppant dans une écharpe de soie abandonnée par le
musicien. Il rentra dans sa chambre pour mettre ces précieux témoins en lieu
sûr, dans une armoire qu’il ferma à clef et dont il garda le sésame puis il se
rendormit, rêvant que sa princesse était à ses côtés, gardée par une licorne au
regard humain et tendre.
Le lendemain, pensant
avoir rêvé la scène nocturne, il vérifia le contenu de l’armoire pour conclure
qu’elle avait bien eu lieu puisque les objets étaient toujours là.
Le petit déjeuner était
servi dans une pièce agréable et lumineuse puisque les rayons du soleil
traversaient une véranda pour offrir chaleur et confort. Thé, café, chocolat,
boissons chaudes à base de fruits, de fleurs et de plantes aromatiques étaient
à la disposition des chevaliers ainsi que toasts grillés, gâteaux divers dont
un au citron qui fit fureur et brioches à la fleur d’oranger.
Ainsi prêts à
affronter les dangers, les chevaliers eurent le plaisir supplémentaire de se
voir adjoindre une escouade de cuisiniers, marmitons, commis en tous genres veillant
jalousement sur des denrées précieuses soigneusement emballées pour la suite du
voyage.
Le prince avait pris
soin de demander un petit coffret destiné aux pièces magiques de nuit. Une
première dame lui en apporta un, précieux, en or massif serti de rubis. Erwan
eut beau protester et réclamer un coffret plus modeste, la dame résista à tous
ses arguments et le pria d’emporter également une grande boite cadeau dans
laquelle on avait placé une robe d’apparat destinée à la princesse. Toutes les
couturières et les brodeuses de la région y ont participé, dit-elle fièrement
et les orfèvres n’avaient pas voulu être en reste, assemblant diamants nés de
leur travail et pierres précieuses avec pour relais l’or, l’argent et le
vermeil.
« Voici pour te
protéger, Prince, ajouta-t-elle en lui présentant un objet merveilleux, une
croix en or sertie de grenats, attachée à un collier d’or torsadé, à mailles
fines. Nous pensons que ce bijou te sauvera de mille et un maléfices. Lorsque
tu te sentiras en danger, face à un être malfaisant, n’hésite pas à brandir
cette croix en prononçant cette formule magique : la rose percera la
neige. Tu n’auras pas à le regretter ! ».
Erwan remercia la première dame, l’assurant qu’elle
n’aurait pas affaire à un ingrat s’il survivait à tous les dangers qu’il
devrait certainement affronter. Muni des objets précieux récoltés dans le
jardin à médianoche, il donna à son escorte augmentée d’un groupe chargé de la
logistique bien sympathique, l’ordre d’avancer.
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