Ils avancèrent au
trot, le groupe professionnel suivant à un rythme plus lent, encadré par des
hommes d’armes du château.
Lors de la deuxième
étape, après qu’ils eurent goûté au charme du confort prestement installé par
les officiels de cuisine et de voyage, ils virent au loin la masse dense et
sombre d’un bois que l’on ne pouvait pas contourner et qui n’offrait aucune
perspective cavalière.
Pris d’une
inspiration, Erwan se saisit de la flûte et en joua. Une belle mélopée jaillit
de cet instrument magique et aussitôt une trouée lumineuse s’offrit aux sabots
des juments et des étalons, pour le plus grand bonheur de Vent du Sud qui prit
un peu d’avance, rejoignant la licorne et sa farandole de fées, de lutins et de
biches. Enveloppé d’un brouillard d’étoiles, Erwan fit corps avec le ballet,
semant derrière lui, comme le petit poucet, des étoiles d’or et de pierreries.
Les cailloux blancs n’auraient pas été de mise dans cet univers fantastique,
c’est pourquoi il fut heureux de disposer de généreux cadeaux transmis par la
licorne et son cortège royal.
Rassurés par ces
présents qu’ils attribuaient sans conteste à leur prince, les cavaliers, après
avoir nommé chef du clan, le meilleur d’entre eux dont le sobriquet Dent de
Loup était révélateur de son tempérament et de son désir d’en découdre, tinrent
la cadence, laissant aux équipes du château le soin de collecter ces
considérables trésors.
Néanmoins, bien qu’ils
aient mené un train d’enfer, ils perdirent de vue Vent du Sud et son cavalier. Dent
de Loup, persuadé qu’il y avait un développement irrationnel dans ce cursus,
modéra le tempo. C’est donc au trot que la troupe s’inscrivit dans l’allée
cavalière et que l’arrière garde partit en sens inverse afin de s’assurer que
les gens du château n’avaient pas connu de dommages. Les nouvelles étant
rassurantes, Dent de Loup ordonna une pause afin que les deux corps se
réunissent pour reprendre ensuite une allure tempérée.
De son côté, Erwan
vivait un rêve et lorsqu’il arriva à la fin du bois, il ne fut guère étonné de
voir s’avancer le carrosse d’or auquel il avait si souvent affaire lors de ses
péripéties sentimentales. Un cocher jovial conduisait l’attelage de six juments
blanches qui auraient causé un émoi à sa monture si des lads expérimentés ne
lui avaient pas mis des œillères. Des pages et demoiselles d’honneur en tenue
équestre se portèrent à sa rencontre et l’escortèrent jusqu’au carrosse où il
prit place avec bonheur, pensant que ce véhicule magique allait le conduire à
sa bien Aimée Gwendoline.
Avec sa petite escorte
où se joignaient licorne, fées et lutins, le prince vit défiler de somptueux
paysages où alternaient lacs, rivières et champs cultivés de blé et de lin.
Erwan somnola quelques
instants et lorsqu’il reprit ses esprits, ce fut pour constater que le carrosse
s’était arrêté. La portière s’ouvrit et une jeune fille ravissante nommée
Ondine selon ses dires, prit place à ses côtés. L’attelage repartit de plus
belle tandis que la jeune fille, coquette et attachée à son image, disposait
ses jupons. Elle sortit un livre d’un joli sac en tapisserie où alternaient
roses, lys et violettes sur un fond turquoise qui rappela au prince la couleur
favorite de Gwendoline, celle de ses yeux ouverts au monde comme d’immenses
lacs ornés de pépites d’or au cœur des nénuphars et des lotus. Ondine ouvrit
son livre au hasard et se mit à en déchiffrer le contenu. Il s’agissait d’une
très belle histoire, celle de Tristan et Yseult. Erwan respecta la lecture de
sa voisine et faute d’avoir songé à emporter un livre, se concentra sur le
défilé de paysages qui continuait son déroulement. C’est avec bonheur qu’il
aperçut au loin le bateau de plaisance commandé pour sa princesse. Il était
amarré et semblait attendre ses passagers. De fait, le carrosse s’arrêta une
nouvelle fois et un majordome le pria de prendre place dans le bateau ainsi que
Damoiselle Ondine fut-il précisé.
Erwan s’exécuta,
aidant galamment Ondine toujours empêtrée dans ses jupons à descendre du
carrosse pour prendre place dans le bateau de plaisance. Tout était prêt, selon
les ordres du prince mais hélas ! ce n’était pas sa bien Aimée qui était
installée sur le divan de soie rouge commandé pour servir d’écrin à sa beauté.
Des marins levèrent
les voiles et le bateau glissa sur le lac avec la grâce efficace d’un cygne.
Tandis qu’Erwan se
rapprochait de l’élue de son cœur, Dent de Loup et son escorte eurent la
désagréable surprise de voir les arbres se resserrer autour de leur troupe,
prêts à l’étouffer. Le chef montra l’exemple en attaquant ces arbres
diaboliques à la hache, bientôt suivi par tous ses guerriers. Marmitons et
cuisiniers ne furent pas du reste, taillant sans relâche ces ennemis peu communs.
À l’approche de la nuit, ils durent rendre les armes, fourbus
et soucieux de la sécurité de leurs compagnons. En taillant à l’aveuglette, ils
craignaient de blesser un guerrier ou un ami. C’est ainsi que les arbres
recommencèrent leur processus d’étouffement et la petite armée aurait été
brisée si une miraculeuse licorne n’avait pas fait son entrée dans la ronde
maléfique des arbres. Ces végétaux hors du commun reprirent leur place
initiale, comme par magie et l’escorte princière, fatiguée certes mais libérée
de ce terrible piège, trotta allègrement sur un sentier lumineusement tracé par
la licorne.
À la sortie de la forêt, les voyageurs furent heureux de
trouver un campement confortable qui avait été établi pour le repos qu’ils
méritaient amplement. Des serviteurs arrivèrent chargés de plateaux où
alternaient plats sucrés et salés, tourtes au poulet, brochettes de poulet
marinées dans un jus d’oranges additionné d’huile d’olive et de piment, tartes
au citron, bref toute une série de plaisirs gourmands qui relégua dans le passé
la terrible épreuve infligée par les arbres. Après cette collation et des
breuvages à base de fruits, tous apprécièrent les bienfaits d’un sommeil
profond, goûté dans des sacs de couchage douillets.
Quelques heures de
sommeil suffirent à ces hommes habitués à affronter de multiples dangers et
Dent de Loup n’hésita pas une seconde à donner le signal du départ, pain et
lait absorbés pour renouer avec les habitudes coutumières du salut au nouveau
jour.
Chacun partit,
soucieux et léger. On savait à présent que le danger ne provenait pas seulement
des hommes et qu’une observation renouvelée était indispensable pour pallier
tout dommage. La légèreté était cependant de mise car tous se sentaient plus ou
moins protégés par cette extraordinaire licorne et son souvenir était vivace en
leur cœur.
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