Tendrement enlacés,
Erwan et Gwendoline ne virent rien du paysage qui changea brusquement après que
le carrosse eut plongé dans une fracture terrestre, les chevaux menant un train
d’enfer.
Le voyage fut très
long mais les amants trouvèrent le temps trop court. Parlant à mi mots, ils
firent défiler leur vie qui leur sembla bien terne au regard des immensités
qu’ils s’offraient avec une amoureuse réciprocité.
Ils arrivèrent enfin
aux portes du château dont il ne restait que des ruines dans le souvenir du
prince. Féerie ou travail de réhabilitation des lieux ? Un fier édifice
muni d’une tour qui se perdait dans les nuages s’offrait à leurs regards
éblouis.
La garde personnelle
du prince était bien là. Quant à la princesse, elle était attendue par de
jolies femmes vêtues avec élégance, ses amies plus que ses servantes. La
joyeuse nuée de jeunes gens escorta les amants jusque dans la salle de
réception du château où flambait un bon feu de cheminée. Tous se dispersèrent
après avoir prié le couple de prendre place autour d’une table de chêne où on
leur servit prestement des rafraîchissements et des mignardises sucrées ou
salées, selon les goûts royaux. Après avoir repris des forces, les jeunes gens
prirent la direction des jardins pour admirer la beauté de leur cadre devenu
désormais le symbole de leur amour. Tout y était : pièces d’eau où
glissaient cygnes et sarcelles, petits jardins secrets à l’abri des regards
indiscrets où Gwendoline pourrait lire ou broder.
Des rosiers venus d’Orient
agrémentaient le coup d’œil. Des tonnelles où couraient glycines, clématites et
groseilliers formaient des endroits propices à la rêverie et à l’écriture.
Erwan se jura de noter les souvenirs de sa jeune vie avant qu’ils ne s’enlisent
dans les strates de toutes les actions qu’il lui incomberait d’entreprendre.
Chacun se retira en
ses appartements, Gwendoline heureuse de retrouver une suite princière, parfait
écrin de sa beauté et Erwan non moins satisfait de vivre son rêve de manière
concrète. Sa chambre ayant vue sur les jardins, il contempla l’œuvre des
ouvriers sous la houlette des maîtres jardiniers, émules de Le Nôtre.
Il se promit de faire
construire un pavillon de bois et de verre au milieu des bosquets et ouvrit la
fenêtre au moment où une mésange voulait s’y abriter. L’oiseau se percha
familièrement sur son épaule et sembla parfaitement domestiqué car à l’arrivée
des valets venus lui annoncer que son bain était prêt, il ne chercha pas à fuir
et suivit son prince sur le bord de la baignoire où il se délassa de toutes les
fatigues accumulées durant le voyage. La mésange entra dans une bulle et se
livra à une féerique prestation qui amena un sourire sur les lèvres du prince.
C’était de bon augure,
pensa-t-il et il rêva à des noces poétiques et champêtres où une mariée vêtue
de fleurs, de dentelles et de soie lui offrirait sa main pour le reste de leurs
jours.
De son côté,
Gwendoline, après avoir goûté les joies d’un bain parfumé à la lavande et
s’être vêtue d’un ravissant déshabillé de satin couleur champagne, brodé de
roses et de crocus, se blottit sous les draps aux senteurs de marjolaine et de
réséda et se mit à rêver d’un futur qui s’avérait prometteur.
Elle s’endormit,
rêvant que des licornes l’escortaient jusqu’à la rivière où l’attendait un dieu,
pressé de lui remettre les insignes royaux de l’ensemble des fleuves, ruisseaux
et rivières qui partaient à la conquête de l’océan.
Des lotus flottaient
sur les cours d’eau, offrant aux yeux de la princesse un éblouissement floral.
Elle cueillit des lys
et des glaïeuls et offrit ce bouquet au dieu de la rivière qui lui posa, en
retour, un diadème d’or incrusté de rubis sur sa belle chevelure.
Le lendemain matin, il
y eut une effervescence folle dans les couloirs du château : la princesse
avait disparu. On ne trouva sur son lit qu’une parure de nacre et un minuscule
carrosse d’or. Erwan pensa qu’il s’agissait d’une énigme. Il se mit en devoir
de la résoudre après avoir pris un petit déjeuner de chocolat chaud, de pain
grillé, de beurre frais et de confitures de baies d’églantiers.
Après s’être restauré,
il resta seul, tournant et retournant le carrosse d’or, pratiquement un jouet,
essayant d’en percer le secret. Et c’est enfin, au moment où il pensait
abandonner, qu’un mécanisme se déclencha. Une musique suave s’éleva dans la
pièce, étrange et baroque et une voix que l’on prêtait aux castrats retentit
dans la pièce, détachant les syllabes d’une chanson envoûtante.
« Viens, mon
Aimée, l’Amour t’attend de l’autre côté de la rivière. Le prince que tu crois
aimer n’est qu’un leurre. Lorsque tu m’auras contemplé, tu sauras ce qu’est la
beauté masculine car dans mon royaume, je suis adulé, adoré. J’ai repoussé
toutes les avances de ces jeunes filles et de ces femmes parce que je sais que
tu m’es destinée.
Le satin de ta peau
sera couvert de dentelles et de pierreries et je t’aimerais en silence avec
pour seul interprète la chaleur de mon regard, caressant, enveloppant qui te
conduira au désir d’être aimé par moi, en toute exclusivité. Le roi des oiseaux
t’emmènera sur son dos puissant et t’emmènera, palpitante et désirable pour que
je t’aime, comme il se doit, jusqu’à la fin des temps ».
Erwan réprima un frisson et se mit en devoir
de partir secourir sa bien Aimée. Nul doute qu’elle ne soit en danger en
compagnie d’un tel magicien. Jouant machinalement avec la parure de nacre, il
aperçut soudain une grande clarté qui inondait une grotte où vêtue de
dentelles, de zibeline et parée de diamants, notamment un diadème qui ornait
ses cheveux, Gwendoline, assise sur de moelleux coussins pourpre, laissait
couler ses larmes qui tombaient une à une sous forme de perles. Le ravisseur
apparut, le torse orné de coquillages, avec un long manteau de vison qui
s’arrêtait net sur ses bottines de crocodile. Il baisa la main de sa reine et
Erwan lut un mélange de répugnance et de crainte dans les beaux yeux de celle
qui était venue le chercher dans ce carrosse d’or où ils s’étaient tant aimés.
« Plus une minute à perdre ! »
murmura-t-il et il enfourcha son cheval Vent du Sud qui piaffait d’impatience
galvanisant ses troupes en leur rappelant que leur reine était en danger.
« Vive la Reine ! » crièrent-ils tous d’une seule voix et la
petite troupe se dirigea vers un lac lointain où une divinité nuisible retenait
sans doute la belle Gwendoline, au grand désespoir de leur prince.
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