De cygnes en flamants
roses, hérons, ibis et îlots verdoyants, Erwan finit par accoster dans une
crique protégée. Pressé d’en finir, Erwan rejoignit le rivage à la nage. Il se
sécha sur le sable. Entendant une musique, il prit la direction de cet
avertisseur mélodieux.
Qui se cachait
derrière ce trio où l’on reconnaissait nettement la flûte de Pan, le violon et
la mandoline ? Gravissant et dévalant tour à tour plusieurs tertres, Erwan
arriva aux abords d’une grotte dont il n’hésita pas à franchir le seuil. Il
progressa prudemment, s’attendant à tout piège maléfique d’une minute à l’autre.
Une ambiance humide développait des vapeurs qui estompaient les contours de la
roche. Au terme d’une marche épuisante, Erwan eut enfin le bonheur de retrouver
celle qu’il aimait. Elle était assise sur un trône d’olivier sculpté en forme
de main tendue vers le ciel, un dais de voiles de toutes les couleurs renvoyant
le symbole céleste. Plongée dans une sorte de langueur, elle aperçut celui qu’elle
invoquait à chaque minute, croyant presque à un mirage. Tout à leurs
retrouvailles, les deux amants ne virent pas que la grotte s’assombrissait et
qu’un inquiétant bruit d’ailes avait mis fin à la douce musique de l’entrée
dans l’univers onirique d’une fée Ondine. Un être étrange et mythologique qui
tenait à la fois du sphinx et de l’aigle à deux têtes surplomba le dais,
lacérant le fin voilage qui tomba sur les amants à la manière d’un filet.
- Crois-tu
vraiment que je vais te laisser ma princesse ? dit cet être d’une voix
rauque.
Vous mourrez tous les
deux si je n’obtiens pas ce que je souhaite, c’est-à-dire le libre consentement
de Gwendoline.
- Tu
veux sans doute dire que ton souhait consiste à inclure la force dans ce
mariage incongru et indigne de la beauté céleste de mon amie, répondit Erwan
d’une voix ferme, décidé à lutter jusqu’à la mort si la libération de la femme
Aimée était à ce prix.
L’interlocuteur n’eut
pas l’occasion de répliquer de sa voix de crécelle car une flèche se ficha en son
gosier, le tuant net et libérant de ce fait une nuée d’oiseaux qu’il maintenait
prisonniers pour étoffer son envergure.
Réduit à ses seules
forces, il apparut, chétif et ridicule. Erwan se débarrassa de cette dépouille
et tomba dans les bras de Dent de Loup qui l’avait sauvé à point nommé, lui
épargnant un combat difficile et périlleux car l’oiseau maléfique disposait de
forces surnaturelles.
On s’en aperçut peu
après car l’oiseau que l’on avait cru mort retrouva forces et ailes et disparut
dans le ciel en poussant des cris sauvages.
Il se fit une grande
clarté dans la grotte. Des nappes lumineuses remplacèrent la brume ambiante et
l’on vit sur le sol une multitude de rubis, d’opales et d’émeraudes. Dent de
Loup et quelques compagnons qui étaient les voltigeurs de l’étape
s’empressèrent de ramasser ces pierres précieuses pour les ranger dans les sacs
de lin. Elles serviraient à payer la troupe, remercier ceux qui les avaient
aidés dans l’aventure, confectionner quelques parures pour la princesse. Le
reste serait placé dans un coffret au château pour constituer une réserve en
cas de périodes difficiles.
Des
serviteurs apportèrent une immense table ronde et des sièges et chacun servit
prestement un excellent repas où abondaient fruits, fleurs, légumes, tourtes
aux asperges et boissons vitaminées et colorées. Tous savourèrent ces plats
originaux puis, tables et chaises ôtées, se reposèrent sur des matelas de laine
protégés de housses tissées à partir de végétaux.
Le reste de l’armée et les préposés aux bivouacs
finirent par arriver à bon port. Les tentes furent montées. Cuisiniers et
commis s’affairèrent pour nourrir les chevaliers, préparant comme à
l’accoutumée omelettes mousseuses, viandes en confits et tartes paysannes à la
crème et aux fruits. Dès que les chevaliers se furent retirés pour prendre du
repos, les cuisiniers eurent à cœur de préparer un magnifique gâteau de fête
princier. Les cuisiniers préposés à la grotte se mirent à leur service et le
plus beau des gâteaux, irréel et fabuleux, fut mis au secret pour créer la
surprise du prochain repas.
L’arrivée de la
licorne et de son cortège de fées, de lutins et d’animaux au doux regard,
biches notamment ajouta à la féerie du moment. La table fut dressée au bord du
lac. Nappes damassées, couverts en vermeil et vaisselle en porcelaine en firent
un véritable objet d’art où s’amoncelèrent des coupes alternant mignardises et
bouchées savoureuses aux mille parfums. Chacun piocha à sa guise. Les plats se
succédaient à une vitesse vertigineuse, les trois équipes différentes ayant
tenu à présenter leurs plus belles réussites. Des hanaps de bière légère, de
limonades et de jus de fruits étaient à la disposition des convives. Lorsque la
pièce montée apparut, bel édifice en biscuit fourré de crèmes à la rose, à la réglisse
et au chocolat, surmonté d’une tour de choux à la crème pralinée et décorée de
dragées, ce fut un déchaînement de passion gourmande. Les fées circulèrent dans
tous les coins de la fête pour que personne ne soit oublié dans la distribution
de ces parts gourmandes que l’on ne reverrait pas de sitôt tant elles avaient
mobilisé l’imagination créative et la finesse d’exécution des équipes préposées
à la cuisine.
Alors que la liesse
était à son comble, un voilier apparut à l’horizon. Voiles d’or déployées, le
vaisseau des mers bondissait sur le lac et lorsqu’il fut près du rivage, on vit
un dais majestueux, pourpre et or où s’abritait la réincarnation de la Dame à
la licorne, une femme majestueuse au visage doux et au regard lumineux. La
magnificence de sa toilette d’apparat éclipsait toute personnalité féminine
soucieuse de rivaliser avec une telle beauté qui tenait de l’imaginaire médiéval
et de la figure céleste de la Reine des Cieux.
Cependant, terrestre,
modeste et royale, la beauté de Gwendoline n’était pas totalement éclipsée par
cette apparition solaire.
Mon Aimée dit Erwan à
sa belle, cette Dame a une beauté hors du commun mais elle a besoin de votre
présence pour affirmer sa place en notre monde. Vous êtes complémentaire !
Gwendoline fut reconnaissante de s’entendre dire un tel compliment au moment où
sa beauté aurait pu vaciller, voire disparaître en comparaison de la céleste
apparition.
La Dame mit enfin un
pied sur la plage et se déplaça dans un nuage de poudre d’or où l’on distinguait
des serviteurs arborant de magnifiques turbans, porteurs de coffrets qui, une
fois ouverts, révélèrent aux yeux éblouis de l’assistance une profusion de
perles noires et blanches, destinées à des colliers qui rappelleraient à tous,
dit la Dame, la fraternité universelle des êtres nés sous des latitudes
différentes, des louis d’or pour faire face à toute attaque financière d’éventuels
ennemis et des bijoux somptueux pour la princesse et ses dames d’atour
précisa-t-elle sans oublier les personnes modestes qui gravitaient au service
de tous.
Ces trésors déposés,
la Dame et son escorte disparurent au cœur de ce nuage d’or qui jeta sur le
rivage des pépites et des perles afin que personne ne se sente oublié.
Le voilier était à
leur disposition.
Remerciant cette
divinité en poèmes qui s’envolèrent au vent, Erwan prit la décision de repartir
vers le château des origines, celui de la Reine Diamant, disparue depuis
longtemps mais qui régnait encore sous la forme de légende, source d’éternité.
Les embarcations quittèrent la terre maudite où avait
régné un oiseau fou et tous partirent avec joie vers les différents domaines où
ils étaient attendus et cette fois, il n’y eut aucun sortilège. Le couple
princier put enfin organiser de belles noces et l’on rivalisa d’audace, de
création et de poésie pour que les descendants de la Reine mythique, protégés
par la Dame à la licorne puissent régner en entrant, à leur tour, dans la
sphère bleue des contes éternels.
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