Après avoir quitté son château
haut perché dans les brumes, le prince Erwan se dirigea au gré des étoiles, à
la recherche d’un pays accueillant. Son maître d’armes lui avait parlé avec
beaucoup d’émotion d’une grande reine aimée par toute une contrée, résolument
tournée vers la paix universelle. Elle avait cependant dû mener de vigoureux
combats face à un ennemi fuyant et diabolique pour s’en remettre ensuite à son
fils puis à son petit-fils, le fourbe guerrier ayant malheureusement une
descendance aussi cruelle et adepte de la brutalité. Le choc des guerriers
appartenant à des mondes opposés avait été très dur mais la reine et son
entourage avaient enfin triomphé.
Maître Jacques, son professeur
d’escrime et d’arts martiaux lui avait conseillé de voyager à cheval. C’est
pourquoi Erwan chevauchait une monture qu’il avait choisie pour son élégance et
sa fougue, un cheval rebaptisé Aile de Feu, en souvenir de Pégase. Histoire de
taquiner Maître Jacques, Erwan lui avait fait remarquer qu’un prince ne devait
pas se déplacer sans escorte mais il avait regretté cette plaisanterie en
voyant les larmes de son vieux compagnon envahir ses grands yeux bleus.
C’est alors qu’il s’était enfin
livré à celui qu’il considérait comme son fils. Il était, à sa connaissance,
l’unique représentant d’un royaume où la guerre avait sévi avec tant de
brutalité qu’il en avait gardé, pour toujours, la haine vivace des querelles
inutiles vouées à la barbarie.
-
Cependant, Grand Maître, vous m’avez enseigné l’art de l’escrime, le
judo et le taekwondo, sans oublier les ruses paysannes, l’usage de la fronde,
de l’arc et du lacet.
- Certes mais je l’ai fait en
considérant qu’il était nécessaire, même pour un prince pacifique, de connaître
les moyens utilisés par un virtuel ennemi en guise de parade.
Son maître avait insisté pour
qu’il prenne la route afin de compléter son instruction.
« Suis les
nuages ! » lui avait-il dit en souriant, ils te conduiront
certainement là où ton destin s’inscrit.
À cette évocation, Erwan ne put
s’empêcher de sourire. Pourquoi lui avait-on enseigné à se servir d’une
boussole en ce cas ? En effet, au château, un maître de philosophie, un
historien, un calligraphe, un poète et un mathématicien avaient complété sa
culture faisant de lui ce que l’on aurait qualifié de « bel esprit »
dans une civilisation évoluée. Me voici pourtant, à cheval, vers un avenir
incertain pensait le prince dubitatif et il s’étonnait que les armes aient
toujours la primeur sur les sciences et les arts.
Il voyagea ainsi quelques
semaines sans rencontrer de notables personnalités. Il fut reçu à maintes
reprises par des paysans ou des bûcherons et fit honneur aux repas modestes
qu’on lui servit chaleureusement. Il écouta avec intérêt le récit de leurs vies
et se mit en devoir d’échafauder des plans afin de remédier à quelques
situations particulièrement difficiles. Il laissa dans chaque foyer quelques
pièces d’or en remerciement de leur hospitalité. Certes, il était très généreux
au regard des menus présentés mais Erwan avait à cœur d’aider ces honnêtes
gens. Lorsqu’il y avait une fille au foyer, il ajoutait un collier de perles
pour lui porter bonheur. Sa renommée alla en grandissant de forêt en prairie et
lorsqu’il arriva enfin aux portes d’un vaste domaine, il fut escorté par des
jeunes gens vigoureux et souriants. Ils se rangèrent derrière sa monture,
pleins de déférence et d’espoir.
Sa marche triomphale
s’interrompit car le château espéré était une ruine impressionnante. Le corps
principal, à demi écroulé, était couvert de ronces et de lianes fleuries. Les
tours menaçaient de s’effondrer. Sur le côté, une jolie chapelle, bien
entretenue portait un nom fameux, celui de la Reine Diamant.
Erwan laissa son cheval à son
escorte et pénétra dans la chapelle où il fut accueilli par des chants. Une
chorale de jeunes filles dirigée par un barde aux longs cheveux bouclés le
propulsa dans un monde magique où il se laissa enfermer, les yeux clos.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, il était seul et des parfums lui révélèrent que l’on
avait pensé à entretenir son corps après avoir nourri son âme.
Dans une pièce adjacente,
pimpante, avec des murs crépis à la chaux et peints de motifs floraux, une
table était dressée. Il y avait du bouillon, du riz, du poisson frais cuit dans
un mélange de jus d’agrumes et d’huile de noisette. Tout était délicat. Un
appétissant gâteau moka clôturait ce petit festin. Quant à la boisson, il
s’agissait, au choix, de cidre, de cervoise, de vin léger ou d’eau parfumée à
la violette. Erwan goûta à toutes ces merveilles, gardant en bouche le goût de
la cervoise, si légère, aux saveurs de miel et de baies de genièvre.
De jeunes pages aidés par de
belles servantes aux tabliers à ruchés débarrassèrent la table prestement. L’un
d’eux se présenta, la main sur le cœur en s’inclinant légèrement :
« Prince, je suis Benjamin, pour vous servir ». Il entraîna Erwan à
sa suite. Le jeune homme remarqua alors qu’un tapis de laine écrue se déroulait
entre deux rangées de rosiers dont les fleurs parfumées étincelaient au soleil.
Il en cueillit une, pourpre en son cœur nacré et eut la surprise de voir se
développer la silhouette élancée d’une jeune fille qui lui dit en
souriant : « Vous avez touché juste, jeune prince ! Je suis la
seule princesse à avoir été métamorphosée en rose et vous m’avez délivrée de
mon enchantement. Soyez béni. Embrassez moi car je languis depuis tant d’années
de celui qui me révèlera l’amour ».
Sans se faire prier davantage, Erwan unit ses lèvres à
celles de la jeune fille aussi parfumées que les fleurs et fut emporté dans un
tourbillon qui le jeta sur un lointain rivage, loin de son château, dépourvu
d’escorte, avec juste le souvenir d’une jolie fille qui l’avait embrassé. À
ceux qui le croisèrent, hagard et dépourvu de mémoire, il dit qu’il se nommait
le Prince à la Rose et qu’il était à la recherche de son destin.
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