En
dépit de ses blessures, le prince Édouard fit face courageusement au
monstre qui s’avançait vers lui dans un rictus diabolique. Saisissant le ruban
qu’il portait toujours sur lui, il le brandit, ce qui eut pour effet de
déstabiliser le monstre qui chancela, permettant à Édouard de se replier et
de se réfugier dans un bosquet en fleurs.
Il
réajusta ses vêtements, passa sur son visage un onguent qu’il avait dans une
poche, ce qui eut pour effet, d’atténuer ses douleurs. Son cheval vint se
frotter à lui et il eut le loisir de prendre son sabre mais alors qu’il
s’apprêtait à affronter le dieu qui avait, de son côté, retrouvé son équilibre
et son désir de vengeance, il entendit le bruit d’un cheval au galop. Elle
était revenue, son double féminin, sa beauté guerrière et elle poussait des
cris sauvages.
Des
combattants tentèrent de freiner son élan mais elle les dépassa et fidèle à sa
technique retrouvée, décocha des flèches si bien ajustées que des râles
retentirent sur les berges et peu n’en fallut qu’elle ne mît un terme au face à
face en fixant le dieu d’une flèche presque mortelle. Mais le dieu de la
rivière avait plus d’un tour dans son sac et il déploya un rideau de pluie qui
le protégea en détournant la trajectoire de la flèche.
Galvanisé
par le secours de la femme qu’il aimait, Édouard se rapprocha du monstre et sabra
les tentacules de poulpes qui enserraient sa tête. Découronné, le dieu poussa
un rugissement, bondit sur le jeune homme et lui serra le cou de manière à
provoquer un étranglement.
Retrouvant
sa vivacité, Édouard
fit un salto arrière et décocha à son adversaire un coup de pied qui faillit
atteindre le plexus.
Soudain
une nuit noire s’abattit sur les belligérants : une nuée de corbeaux
envahissait le ciel, provoquant un effet nocturne. Des oiseaux maléfiques
tentèrent de lui crever les yeux. À nouveau Édouard fut sauvé par son cheval qui
s’avança bravement dans cette nuit d’ailes battantes. Enfourchant sa monture,
il prit le chemin inverse vers l’azur, espérant entendre bientôt le pas d’amble
de Rose des Sables. Lorsqu’il pensa être hors d’atteinte du monstre, Édouard entonna une
chanson propre à animer les rochers tant elle était pleine de sentiment.
« Belle
entre les belles, je te porte en mon cœur comme la plus belle des roses et le
moindre de tes chagrins est pour moi une épine qu’il me faut arracher.
Victoire, ma guerrière, ma mie, mon enfant aux yeux de source, je t’aime tant
que je donnerais ma vie pour toi. Les colombes vibrent en moi et murmurent des
mots doux qui me semblent être les messages des anges qui jadis nous ont
réunis. Le destin nous a offert de vivre un roman d’amour et il n’est pas
possible qu’une page soit arrachée et que nous partions vers des chemins
obscurs. Victoire, ma beauté, mon ange, reviens-moi ou j’en mourrai ».
À peine avait-il
prononcé ces mots qu’un rire cruel cascada en une série de blessures d’où
émergeaient des mots si monstrueux que nous ne pouvons pas les rapporter ici.
Une
trainée de sang tâcha le beau pourpoint d’Édouard et il se sentit blessé. Le dieu de
la rivière lui avait jeté des poignées de sangsues qui se régalaient d’une
ouverture laissée par les stries des fouets. Craignant d’être dévoré vif, Édouard se débarrassa
prestement de ses vêtements, jeta sur les sangsues le contenu d’un petit flacon
qu’il portait dans ses fontes, un alcool fort qui brûla les petites bêtes qui
moururent instantanément. Endossant une tenue guerrière, le prince harangua son
ennemi, le traitant de lâche et de piètre combattant puisqu’il n’acceptait pas
la lutte à armes égales, dans un loyal face à face.
Il
ne reçut aucune réponse. Par contre des langues de feu descendirent du ciel,
brûlant la crinière de son cheval. Édouard protégea sa monture en l’enveloppant
d’un tissu ignifuge et enfila un capuchon destiné à éviter les attaques qui
provenaient de dragons ailés, volant dans le ciel en escadrille de choc. Un
galop de cheval qu’il aurait reconnu entre mille, celui de Rose des Sables
retentit à ses côtés. Victoire était de retour ! Alors qu’il se demandait
si la poursuite du combat était bien nécessaire, le dieu multipliant les
attaques félonnes qui ne respectaient pas le code de la chevalerie
traditionnelle, Édouard
constata avec terreur que la jeune fille n’était pas en selle ! Se
penchant pour observer la jument, il fut vite soulagé : sa sœur était bien
la guerrière avisée qu’il connaissait. Redoutant les attaques venues du ciel,
elle s’était placée sous le ventre de sa fidèle Rose des Sables, confiant sa
vie à cette monture hors du commun. C’est alors qu’un nouveau danger se
profila. Le dieu surgit tout à coup face aux cavaliers en fuite. Comment ce
prodige était-il possible ? Il avait chevauché un dragon et se tenait
farouchement devant eux, une lance incandescente à la main. Il exécuta un jet
parfait et aurait atteint son but si Édouard n’avait pas prévenu cette attaque
en obligeant son cheval à se déporter sur sa gauche. Puis il profita de l’effet
de surprise pour fondre sur l’ennemi, sabre bien en main. Mais le monstre lança
un filet lesté de plomb et si Victoire n’avait pas fait diversion en bondissant
sur le piège, décochant au passage l’une de ses flèches qui se ficha dans l’épaule
du dieu, le prince aurait été prisonnier ainsi que sa monture.
Grimaçant
de douleur, le dieu mit en œuvre un dernier sortilège. Se défaisant de son
enveloppe guerrière, il apparut dans sa splendeur première, ses beaux cheveux
cascadant sur ses épaules lisses, des perles à la main, et un sourire enjôleur
flottant sur ses lèvres couleur cerise.
C’était
le prince charmant dont toutes les jeunes filles rêvaient et c’est ainsi que
Victoire faillit succomber à nouveau à son charme. Fou de douleur et de
jalousie, Édouard
lança le ruban couleur d’or et réussit si bien cet acte désespéré que cet
ornement servit de nœud coulant et étrangla proprement le démon.
Lorsqu’il
mourut, une foule de petites fées des rivières qu’il maintenait prisonnières
réapparut. Le cadavre disparut, rongé par ses turpitudes et les sangsues dont
il aimait tant régaler ses ennemis. La dépouille s’évapora et les fées se
prosternèrent devant leur nouveau dieu, Édouard à la foi si ardente qu’il avait
vaincu plus terrible que lui. La vertu avait une fois de plus triomphé du vice !
Édouard fut couronné du
diadème divin et l’escorte de fées l’entraîna presque malgré lui dans le palais
de marbre où Victoire avait vécu de si belles journées.
Quant
à la jeune fille, retrouvant ses esprits, elle ordonna à Rose des Sables de la
ramener chez son père, un pincement au cœur cependant car elle se rendait
compte qu’elle venait de trahir celui qui l’avait aimée plus que sa propre vie.
De plus, le dénouement du combat impliquait leur séparation ! Édouard ne pouvait pas
déroger à ses nouveaux devoirs. Il était devenu, sans l’avoir voulu, le dieu de
la rivière et à ce titre, il ne s’appartenait plus !
Qu’adviendra-t-il de nos
héros ? à suivre, naturellement.
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