Le
retour au palais fut une épreuve pour Victoire. Elle fut fêtée comme une reine
et le récit de son aventure fascina toute la cour. Elle éluda cependant le
passage troublant qui la concernait et attribua la victoire du prince Édouard à sa seule vaillance.
Le
prince persan était très fier des exploits de son fils adoptif et le fait qu’il
soit devenu le dieu de la rivière était pour lui la preuve de l’excellence de
l’éducation qu’il lui avait offerte. Il avait remarqué que la mélancolie avait
envahi l’âme de sa fille mais il pensait que toutes les turbulences traversées
étaient la cause des signes de détresse envoyés par la princesse. Il fit
doubler sa garde, multiplia les, soubrettes à son service, ordonnant que l’on
s’adonne essentiellement à des plaisirs innocents, chants, jeux à l’imitation
de l’Antiquité, jeux de balles et courses dans les prairies. Cependant Victoire
riait rarement et ses promenades avaient pour but de remonter la rivière. Enfin
un jour, elle transgressa les ordres, sella Rose des Sables et s’en fut à le
recherche de celui qu’elle n’avait pas cessé d’aimer.
Au
fur et à mesure qu’elle se rapprochait du lieu où elle avait vécu dans un environnement étrange, elle sentait
le poids qui oppressait sa poitrine s’alléger. Enfin quand elle arriva sur les
lieux du combat, elle fut prise en charge par une nuée de petites fées qui
volaient joyeusement dans le ciel bleu. Plus de nuées de corbeaux, plus de
danger apparent, le lieu était devenu des plus séduisants ! Elle mit pied
à terre, confia Rose des Sables à un lad et embarqua dans une jolie nef dotée d’une
voile d’or. Sensible à ce détail qui semblait prouver qu’Édouard ne l’avait pas
oubliée, elle se laissa bercer par le léger roulis des courants où elle aimait
nager. Quelques poissons volants firent des cabrioles, ce qui lui arracha enfin
un sourire ! Elle ferma les yeux et somnola en rêvant à de belles
retrouvailles.
Un
jeune homme l’aida à sortir de la barque et lui conseilla de porter des sandales
qu’il avait pris le soin d’apporter. La semelle était compacte et ornée d’une
guirlande de perles nacrées. Victoire s’exécuta et suivit son guide. En montant
les marches du palais, elle sentait son cœur battre follement. À la vue d’Édouard, elle comprit
cependant que le passé était révolu.
Il
portait lui aussi un pagne de lin brodé de fleurs pourpres et son torse et sa
chevelure étaient ornés de coquillages éblouissants et de fleurs où dominaient
les boutons d’or. Ce détail lui redonna de l’espoir et elle fit une gracieuse
révérence face au dieu qui était assis sur son trône d’or massif serti de
pierreries. D’un geste impérial, le dieu ordonna que l’on apporte une chaise
recouverte de velours pourpre et suggéra à Victoire de prendre place à ses
côtés.
On
leur apporta une collation exquise faite de fondants aromatisés à l’orange, de
pièces montées où des nids d’écorces de citrons confites étaient emplis de
crèmes pralinées et de crèmes étincelantes au citron vert, le tout orné d’œufs à
la liqueur.
Une
boisson à base de sirop d’orgeat fut servie dans des coupes de cristal et enfin
pour parachever ce moment gourmand, Édouard ordonna que l’on serve un vin de
champagne accompagné de biscuits roses. Victoire mangeait de bon appétit ces
préparations délicates mais elle se demandait tout de même si elle représentait
quelque chose pour son frère de cœur et d’âme.
Le
dieu lui confia qu’il avait dépêché un messager au palais de leur père pour qu’il
ne s’inquiète pas de sa disparition et demandé à sa garde de ramener Rose des
Sables dans son écurie originelle.
Ensuite
il fit venir danseurs et chanteurs et l’on se livra enfin à des joutes
poétiques, jeux auxquels ils étaient rompus.
Cette
soirée s’acheva dans un lyrisme parfait et Victoire fut invitée à rejoindre ses
appartements. En lui souhaitant de passer une bonne nuit, le dieu lui baisa la
main et lui offrit un dernier cadeau, un parchemin où il avait écrit des
poèmes.
La
chambre à coucher de la jeune fille était absolument ravissante. Elle s’ouvrait
à la manière d’un coquillage marin dédié à une déesse, celle de l’Amour et de
la Beauté. La rose dominait et chaque détail semblait avoir été étudié pour
célébrer la beauté féminine.
Victoire
se détendit dans une baignoire de grès puis se sécha à l’aide de serviettes
douces et parfumées puis revêtit une splendide chemise tout en dentelles. Le
lit était rehaussé d’un ciel de voilages brodés de soleils d’or.
Elle
passa une nuit où volaient les anges et à son réveil, elle fut dans un
ravissement qui prolongeait les rêves nocturnes.
Une
musicienne joua de la harpe tandis que les petites fées s’occupaient de sa personne.
Après un passage dans la délicieuse baignoire envahie de jets bouillonnants,
elle se laissa masser, habiller et maquiller. Une coiffeuse experte releva ses
beaux cheveux en un chignon qui accentuait la pureté de ses traits et un bijoutier
passa pour la touche finale, piquant dans sa chevelure des perles irisées et
ornant cou, poignets et chevilles de colliers et de bracelets afin de lui
donner une dimension princière.
Un
petit déjeuner lui fut servi, œufs mollets, thé léger au jasmin, petites
pâtisseries en forme de cœurs et jus de fruits délicieux.
Victoire
avait hâte de voir, son frère mais une nuée de couturiers et d’habilleuses prit
ses mesures et lui proposa différents modèles pour qu’elle fasse son choix. Il
y avait une profusion de toilettes. Rien n’était laissé au hasard si bien que
la jeune fille reprit de l’assurance. Robes d’apparat, tenues d’intérieur,
vêtements de nuit, robes d’hôtesses légères et agréables à porter, maillots de
bain, tenues sportives, robes d’amazone, tout semblait être étudié pour un long
séjour.
Lorsqu’elle
fut enfin libérée de toutes ces formalités agréables, elle sortit de ses
appartements, pressée de voir son frère en tête à tête mais il demeura
curieusement absent.
Elle
sortit du palais et longea la rivière. Avisant une roche, elle s’y assit et
commença un poème destiné au dieu de la rivière.
« Toi
que j’aime plus que tout, je te dédie mon âme. Je souhaite libérer mes longs
cheveux pour t’en faire un collier blond. Chaque boucle te rappellera l’un de
nos jours passés. Dans cette parure soyeuse se cachent les moments de rêve qui
nous ont liés comme les sources de la rivière dont tu es aujourd’hui le garant.
Que
les sources nous aident à nous retrouver et regagner le paradis perdu de notre
enfance ! »
Après
s’être ainsi libérée, Victoire réfléchit à leur destin. Ils avaient été unis
grâce à la détresse d’un prince persan, ils avaient grandi en sagesse et en
beauté et puis un affreux malheur avait surgi dans leur vie, un dieu, épris de
sa beauté, l’avait ravie à ceux qu’elle aimait et en lui faisant absorber l’élixir
de l’oubli, l’avait plongée dans un univers factice où elle s’était laissé enfermer !
L’impression de la faute irrémédiable dominait tout autre sentiment. C’est
pourquoi elle éprouva un vif soulagement à la vue du dieu. Il portait les
signes distinctifs de sa fonction. Toutefois Victoire crut lire dans son regard
bleu la tendresse d’antan. Il lui serra les mains avec délicatesse, glissant au
passage quelques perles rares et lorsqu’il prit la parole, ses mots s’égrenèrent
comme des fleurs printanières.
« Victoire,
ma sœur, mon amie, mon âme, je t’ai aimée à la folie mais un rideau de pluie s’est
interposé entre nous, cousant une fracture dont nous sommes toujours les
victimes, en dépit des colliers de rêves que nous portons en notre cœur. Le
destin qui nous avait unis nous a séparés presque irrémédiablement et en croyant
te sauver, je t’ai perdue. Cependant l’espoir veille en mon cœur et je suis
certain que nous nous retrouverons. Tels Tristan et Yseult dont nous aimions
tant les aventures, Lancelot et Guenièvre, nous laisserons au moins notre
empreinte dans l’histoire des amants éternels ».
Sur
ces mots, Édouard
se tut et une myriade de petits anges passa dans le ciel bleu, créant de jolis
nuages d’or.
Cédant
à une impulsion, le dieu serra sa sœur tant aimée sur sa poitrine puis reprit
le chemin du palais en donnant à la femme de ses jours l’assurance qu’il ne l’abandonnerait
pas. Afin de ne pas la laisser en proie à la mélancolie, Édouard organisa une
petite fête au bord de la rivière et chacun y prit sa part car les jeux
poétiques, musicaux, théâtraux furent à la hauteur des enjeux. On créa l’ordre
du ruban d’or et les équipes les plus performantes en furent décorées. Victoire
s’abandonna au charme du moment et accepta ensuite avec grâce de présider un
banquet improvisé où s’amoncelaient de petites merveilles gourmandes, coupes de
semoule de blé dur, soupières de bouillon de légumes coupés en petits dés et
aromatisés de sauces légèrement pimentées, îles flottantes et gâteaux aériens.
Carafes de sirop d’orgeat et vin léger circulèrent à la ronde, égayant les
convives.
Le
banquet se termina par un concours de chants improvisés où Victoire se
distingua tant l’authenticité de ses sentiments donnait de la puissance à sa
voix. Quant aux paroles, elles s’égrenèrent spontanément, venant des multiples poésies
qu’elle n’avait cessé d’écrire. Cette journée s’acheva sur une note charmante
et en rentrant au palais, Victoire apprit que le dieu de la rivière préparait
un grand bal qu’il donnerait en son honneur.
Qu’adviendra-t-il
à la suite de ce bal ? C’est ce que nous saurons dans un prochain épisode.
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