Édouard
ne pouvait se résoudre à la perte de celle qu’il considérait comme l’essence de
son âme c’est pourquoi il multiplia les recherches, le ruban de sa sœur cousu
soigneusement à l’intérieur d’une pochette de soie qui ne le quittait jamais.
Le
prince avait exigé qu’une escorte l’accompagne car, disait-il, la perte d’un
autre enfant lui porterait un coup mortel. De son côté, il dépêchait des
ambassadeurs dans les royaumes voisins, promettant des récompenses qui étaient
à la hauteur de la moitié des réserves du palais ce qui délierait les langues à
coup sûr. Mais les émissaires revenaient sans le moindre renseignement, penauds
et défaits. Néanmoins un pêcheur demanda une introduction auprès du prince et
lorsqu’il eut fini de parler, la joie et l’abattement furent de mise. Il
assurait avoir vu la princesse nageant dans le courant. Dans son sillage, le
dieu de la rivière reconnaissable à son diadème en diamants l’épaulait afin de
l’entraîner dans l’un des palais qui jalonnaient le rivage. Caché dans un
bosquet de saules, il avait reconnu nettement les traits de la princesse si
remarquable de beauté et à un moment, il était certain d’avoir vu le dieu
dénouer un ruban couleur d’or et le jeter dans des buissons. Ce détail marqua
les esprits et authentifia la véracité du récit car personne n’avait divulgué
la découverte du ruban de soie par le prince Édouard. Heureux de savoir que
Victoire était en vie, le prince persan et son chambellan ne pouvaient qu’être
consternés en apprenant l’identité du ravisseur. Il n’était pas facile de
lutter contre un dieu !
Avec
l’optimisme de son jeune âge, Édouard se faisait fort de ramener Victoire au
palais de son père. Ses yeux brillaient tant il avait hâte d’en découdre avec
ce dieu funeste. On eut du mal à le calmer car il voulait partir incontinent se
mesurer à l’infâme ravisseur.
Le
prince lui demanda d’honorer tout d’abord l’homme qui leur avait fourni ces
précieux renseignements en dirigeant un banquet de fête. Croquembouches,
volailles rôties accompagnées de nids de légumes farcis de champignons
apparurent sur une table d’apparat, suivies, pour le dessert, de somptueux
babas à la crème chantilly et de gâteaux Saint Honoré.
Après
ces agapes, on reconduisit le pêcheur en grande pompe dans sa modeste maison au
toit de chaume. Le prince ordonna qu’on construise un logement plus confortable
pour celui qui fut considéré comme un bienfaiteur et outre quelques beaux
cadeaux offerts aux femmes, colliers de perles avec bracelets assortis, le
pêcheur reçut une bourse pleine d’écus d’or et il s’entendit signifier qu’il
percevrait chaque mois, une somme rondelette destinée à assurer ses vieux
jours.
Le
pêcheur eut vraiment l’impression d’avoir pris des poissons d’or dans ses
filets et il commanda tout de suite à un charpentier de ses amis une barque
solide qui le mettrait à l’abri de tout revers de fortune.
Édouard
piaffait, pressé de partir à la recherche de sa sœur. Sa nuit de repos fut de
courte durée et il partit à l’aube car il avait l’impression que le temps lui
était compté.
Ignorant
toute l’agitation qui régnait au palais de son enfance pour la bonne raison
qu’il ne lui restait aucun souvenir, Victoire attendait les apparitions de
celui qu’elle prenait pour un bienfaiteur et son cœur s’emballait à sa vue tant
il lui semblait beau et digne d’être aimé.
Il
était si prévenant, le dieu de la rivière que ceux qui connaissaient son
véritable visage et sa cruauté ne l’auraient pas reconnu ! Les efforts
qu’il fournissait pour paraître aimable et courtois étaient si intenses qu’il
écourtait ses visites, accentuant la splendeur de ses cadeaux et le faste des
repas pour compenser le vide.
Victoire
nageait souvent, rivalisant de vitalité avec certains poissons argentés qui
effectuaient des sauts à la manière des dauphins. Ses journées lui
apparaissaient comme une série d’enchantements. Édouard parti à l’aube, remonta
le cours de la rivière sans escorte, emmenant Rose des Sables car il ne doutait
pas de voir chevaucher à nouveau la belle princesse chère à son cœur. Il
arborait un pourpoint couleur bouton d’or afin de rappeler à Victoire le ruban
dénoué par le ravisseur.
Après
une longue chevauchée, il fut enfin récompensé de ses efforts : Victoire
nageait avec la vitalité d’une naïade, des poissons volants lui conférant une
éblouissante et prestigieuse cour d’honneur. Édouard la héla joyeusement mais
il eut la désagréable impression d’être transparent aux yeux de celle qui
semblait ne pas pouvoir vivre sans lui jusqu’à sa capture.
Par
chance, Rose des Sables échappa à la longe et entra dans l’eau captive de rayons
en hennissant. Pour Victoire un rideau se déchira et elle flatta l’encolure de
son cheval mythique en riant aux éclats.
Juchée
sur la selle de sa jument, elle sortit de l’eau avec la grâce d’une amazone.
C’est alors que jaillit de l’onde le dieu de la rivière mais Victoire ne le
reconnut pas tant son masque guerrier éclatait sous le visage affable de
l’amant prévenant. Ses blonds cheveux bouclés ressemblaient au casque d’une
pieuvre, ses beaux yeux doux semblaient armés de la foudre du combattant. Sa longue
silhouette s’était épaissie et paraissait taillée dans le granit.
« Sauve-toi
Victoire, rentre au palais ! je me charge du combat » dit bravement Édouard
mais des hommes armés de fouets lui lacérèrent le visage et pourfendirent son
beau pourpoint d’or.
Un
sbire mit sa dague à l’emplacement du cœur et eut la tentation de le poignarder
sauvagement. « Laisse-le-moi ! » s’écria le maître et il
s’avança vers le jeune homme d’un pas lourd, comme s’il se fût agi d’une
montagne en marche.
Si vous voulez connaître
l’issue du combat, ne manquez pas le prochain épisode de la série Le Prince
Persan !
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