samedi 9 novembre 2024

Tourment d'amour

 


Rozenn, la cuisinière du manoir de Kerbiriou, la demeure ancestrale de Gwendal de Rohan, mit les petits plats dans les grands pour le retour du chevalier.

Des bruits de marmites et de casseroles provenaient de l’immense cuisine rutilant de cuivre, son domaine.

Après maintes réflexions et changements de dernière minute, elle arrêta le menu comme suit :

Cotriade du Belon

Féroce d’avocats

Poulet au cidre de Fouesnant

Tourment d’amour à la goyave

Galette à l’ananas et au rhum

Elle avait reçu d’une cousine antillaise des produits du terroir et elle avait ainsi constitué un savant mélange des plats appréciés en Guadeloupe et en Bretagne.

Pendant que Rozenn menait un combat épique en cuisine, Gwendal de Rohan redoutait le passage au large de récifs périlleux.

«  Qui voit Ouessant voit son sang et qui voit Sein voit sa fin ».

Ce sinistre proverbe en mémoire, il eut la chance de ne voir aucune de ces îles maudites et aperçut avec bonheur l’île de Groix «  Qui voit Groix voit sa joie » .

Enfin arrivé à bon port, il s’empressa de faire charger les précieuses caisses dans les coffres des deux calèches ducales venues l’accueillir.

Rozenn étrenna un magnifique tablier de cuisine brodé de coquillages et d’oiseaux exotiques.

Gwendal fit une toilette rapide et se mit à table avec appétit.

La ronde des saveurs commença. L’appellation Poulet au cidre de Fouesnant lui valut quelques larmes. Il revoyait sa belle princesse Perle de feu portant la coiffe de Fouesnant avec une grâce inouïe.

Le tourment d’amour,  exquis ,évoquait à merveille  par son intitulé la cruelle séparation des deux amants. Gwendal voulut connaître la raison de ce choix de la bouche de sa fidèle cuisinière.

«  Le tourment d’amour est une pâtisserie que des femmes de pêcheurs avaient à cœur de présenter à leurs époux au retour d’une pêche dangereuse où ils risquaient leur vie. C’était un message d’amour conjugal » dit Rozenn, pressée de répondre au sujet de cette escale gourmande.

«  Remercie ta cousine Maeva pour cette recette géniale qui s’adapte à merveille à ma situation. Je ressens un véritable tourment d’amour car je te l’avoue chère Rozenn, je suis tombé amoureux de la princesse Perle de feu. J’envisage d’en faire mon épouse si elle y consent. Lorsque je repartirai dans son royaume, je t’emmènerai, avec ta permission, pour que tu lui fasses goûter ces plats merveilleux que tu as si bien préparés pour mon retour. Si ta cousine Maeva ne craint pas de prendre la mer, je suggère qu’elle nous rejoigne au manoir avec une cargaison de ces merveilles dont nous aurons besoin ».

Ravie d’avoir causé un tel plaisir au chevalier qu’elle avait vu grandir, Rozenn s’en retourna dans sa cuisine afin de féliciter ses brigades. De plus elle devait mettre la dernière main au bouquet final, un kouign -amann ou gâteau de beurre et des boissons chaudes épicées.

Bercé par la poésie de ces nourritures terrestres qui avaient un parfum céleste, Gwendal regagna sa chambre et ne tarda pas à s’endormir, rêvant qu’un grand voilier en forme de tourment d’amour l’emmenait dans l’île de sa princesse bien -aimée.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire