La fée Morgane
La fureur de la fée Morgane ne connut pas de bornes lorsqu’elle
constata l’évasion de sa servante favorite, Yveline aux mille talents.
Ses yeux d’émeraude qui auraient pu être si beaux lançaient
des flammes et de petits dragons cracheurs de feu s’échappaient de ses
prunelles ardentes, devenues brasiers, allumant çà et là des incendies qu’il
fallait vite maîtriser pour ne pas mettre la forêt de Brocéliande en grand
danger.
Des crapauds horribles, des serpents et des vipères s’échappaient
de sa bouche lorsqu’elle éructait ses ordres et maint chevalier emprisonné dont
la raison ne tenait plus qu’à un fil, devinrent irrémédiablement plongés dans
une démence illimitée.
Le comble lui parvint par des rires sataniques émis par son
fils Mordred venu constater par lui-même les dégâts dont on parlait sous cape
dans les cours fréquentées par des seigneurs dénués de sagesse et dont l’unique
idéal consistait à nuire à son voisin.
Elle chassa l’insolent en lui administrant des coups d’un
balai de paille qu’elle maniait avec la dextérité des sorcières.
Pour se calmer, elle partit en forêt, accompagnée par ses
lévriers dont elle appréciait l’élégance et le flair hors du commun.
C’est ainsi qu’elle se trouva nez à nez avec Laura la
guerrière venue dans la forêt pour y trouver la saine méditation qui lui
imposerait des choix pour rendre à Dame Yveline toute sa raison perdue.
Elle marchait d’un bon pas en s’appuyant sur une canne de
marche au bout ferré.
Lorsqu’elle vit Morgane, elle reconnut d’emblée cet être
malfaisant car son regard qui cherchait le sien afin de l’hypnotiser lançait de
minuscules flammèches haineuses dont elle était coutumière.
Sans répondre à ses avances mielleuses, Laura traça autour d’elle
un cercle magique destiné à la protéger et elle déposa des branches de houx et
des perles de gui sur cet espace sacré.
Un buisson gigantesque et ardent grandit autour d’elle et
Dame Laura fut bientôt hors de vue de la sorcière qui fulmina de rage.
Elle était à nouveau désavouée dans son entreprise maléfique
et par comble de malchance, un chevalier à l’armure blanche se profila à l’horizon.
Inquiet de ne pas voir revenir sa mère, Dylan était parti à
sa recherche et lorsqu’il vit cette femme qui essayait en vain de passer pour
une paysanne cherchant son chemin, il n’eut aucune difficulté à l’identifier.
Afin d’échapper au courroux qu’elle lisait dans ses yeux,
Morgane devint cours d’eau qui cascada en sauve-qui-peut jusqu’au val sans
retour dont elle était l’abominable gardienne.
Ses lévriers, demeurés sans ordre de mission choisirent de
rester auprès du beau chevalier qui sut leur parler avec tendresse.
En voyant le danger s’éloigner, Laura brisa le cercle
magique pour se jeter dans les bras de ce fils d’adoption dont elle était si
fière.
Ils revinrent tous les deux au château de Beauregard et
convinrent qu’il serait bon de rappeler son passé à Dame Yveline en passant par
la forme théâtrale et chorégraphique.
On fit venir des artistes et chacun apporta une touche pour
la création d’un ballet opéra qui retraçait la vie de la châtelaine au destin
brisé.
Ce travail tint tout le monde en haleine et lorsque tout fut
prêt, une fête fut annoncée à la ronde pour toucher un large public qui
assisterait à la révélation de ce destin hors du commun.
Ce qu’il advint des réactions de chacun, je vous en laisse
la libre appréciation mais sachez qu’Yveline vit des pans de sa mémoire
obstrués par des peurs et des oublis s’effondrer comme un château de cartes et
c’est alors qu’elle reconnut en ce beau chevalier qui l’avait sauvée dans la
forêt ce fils dont elle avait oublié les traits tant les philtres de la
redoutable fée Morgane avaient détruit en elle tout souvenir personnel.
Elle l’embrassa avec une vive émotion, pleurant d’avoir pu
le voir sans le reconnaître et elle remercia Laura d’avoir été pour lui une
merveilleuse mère de substitution.
En attendant de revoir les ruines de son château et de
rechercher toute trace de son époux, elle consentit, à la demande de ses hôtes,
de retrouver vitalité et vigueur afin d’être capable de faire face à toute
éventualité funeste.
Les jours se déroulèrent paisiblement et Dame Yveline
troubla cette attente en cousant, brodant et lisant pour parfaire ce regain de
vitalité apporté par le spectacle qui lui avait enfin dessillé la vue.
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