Les trois nuages
Dans un royaume fabuleux où vivaient des personnes
qui adoraient se quereller, tantôt pour des raisons futiles, tantôt pour des
sujets méritant la contreverse, trois nuages se succédèrent, apportant de réels
fléaux.
Le premier, ourlé de noir, libéra des nuées de
sauterelles qui s’abattirent sur les champs, dévorant tout sur son passage.
Le second, pourpre et or dont certains poètes
chantèrent la beauté, enveloppa des terroirs entiers d’une chape mortifère,
semant la mort en frappant à l’aveugle.
Puis vint un nuage d’azur et d’airain qui semblait
devoir apporter la paix mais qui, en fait, était le plus terrible car il
accentua les failles qui existaient en filigrane, plus ou moins masquées par
des massifs de fleurs.
Le royaume attendait son Charlie Chaplin, l’artiste
qui dénoncerait les temps modernes ou le dictateur et qui apporterait une
réflexion sur l’aide que pourrait offrir un pauvre pour aider son prochain.
Mais les artistes restaient sourds et aveugles et
se contentaient de demeurer chez eux en apparaissant de temps à autre pour
parler gaiement de sujets graves et donner des conseils inaudibles pour les
personnes obligées de travailler dans l’intérêt du royaume.
On se prit à espérer l’arrivée d’un personnage
féerique qui ressemblerait au vaillant petit tailleur ou au petit poucet pour
pourfendre l’ogre gourmand dont le ventre gonflé réclamait toujours plus de
pitance pour calmer une faim ravageuse.
L’horizon ne délivra aucun signe de délivrance et l’on
s’habitua peu à peu à cette interminable succession de calamités.
Les trois nuages restèrent dans les mémoires et l’on
vit prospérer des devins qui observaient le vol des oiseaux en s’efforçant d’en
tirer un enseignement.
Des pans de civilisation s’effondraient et certains
habitants anxieux portèrent la coquille du pèlerin en arpentant les routes qui
conduisaient à Saint-Jacques de Compostelle, Rome ou le Mont Saint-Michel.
On relut les évangiles et l’on consulta les
ouvrages des philosophes, de Platon à Aristote et l’on jeta un regard critique
aux ouvrages de Kant, Kierkegaard et Nietzsche.
Des gens de lettres se référèrent aux ouvrages
renommés, La Peste d’Albert Camus, Le Hussard sur le toit de Jean Giono, La
recherche du temps perdu de Marcel Proust et le théâtre du XVII ème siècle
ainsi que les fables de La Fontaine tandis que des esprits enclins à la rêverie
relisaient les poèmes de Baudelaire, Verlaine et Rimbaud ou s’évadaient en
lisant des romans de chevalerie, de Chrétien de Troyes à Cervantès sans oublier
le cycle des romans de la Table Ronde qui connaissaient une résurgence épique
dans la conquête des domaines spatiaux dont tout le monde rêvait, depuis Ray
Bradbury et René Barjavel.
La Nuit des Temps redevint un classique et l’on se
délecta à nouveau du monde décrit par Boris Vian, Elsa Triolet et Louis Aragon.
Bref, la pensée fit son retour, balayant le monde
frivole créé pour satisfaire l’appétit de l’ogre.
On guetta les nuages et des chercheurs s’employèrent à trouver le moyen d’en détruire les effets nocifs.
On guetta les nuages et des chercheurs s’employèrent à trouver le moyen d’en détruire les effets nocifs.
On chercha, on rêva, on pensa et un beau jour, le
ciel redevint bleu et l’on reprit quelques habitudes, y compris des querelles
pour des broutilles mais juste pour prouver que l’on était encore vivant !
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