T’en souviens-tu, mon cœur ?
T’en souviens-tu, mon cœur, jadis nous dormions enlacés et
les douces senteurs du jasmin et de la rose nous offraient des philtres d’amour…
Et puis le temps a passé, les hivers sont revenus avec une
cadence rythmée extrême et nous avons vécu en suivant le tempo de notre
mobilité.
Qu’importe ! C’est un bonheur nouveau, aux couleurs d’espérance,
qui nous enveloppe dans son nuage d’ambre.
T’en souviens-tu, mon cœur, jadis, nous dansions et même si
j’avais un peu tendance à rompre le rythme, supportant mal d’être guidée, nous
étions si proches que nous sentions nos deux cœurs battre la chamade.
Et puis les automnes nous ont laissé entrevoir les frimas
chantés par Charles d’Orléans en nous proposant des corbeilles de fruits et de
fleurs flamboyantes.
Je te revois, penché sur un feu de cheminée ou un brasero,
maniant l’harassoire avec dextérité pour faire sauter les châtaignes, ce que tu
faisais mieux que personne : tes frères s’écartaient pour te confier cette
tâche qui requiert souplesse du poignet et force.
T’en souviens-tu, mon cœur, il nous arrivait de nous
quereller pour des broutilles, moi parce que je ne supportais pas que l’on
conteste mes points de vue et toi parce que tu te demandais avec une inquiétude
jalouse ce qui était derrière mes rêveries alors que je restais sans cesse
auprès de toi…
Et puis les printemps se profilaient avec l’éclosion des
fleurs de cerisiers puis des lilas et enfin des roses qui m’attiraient dans le
jardin comme un aimant salvateur.
Aujourd’hui, mon cœur, nous savons que nos jours sont
comptés mais cela ne nous préoccupe guère.
Verrons-nous mûrir le raisin et assisterons-nous à la noria
des porteurs de maïs et à la moisson des blés mûrs qui me ramènent toujours à
mon enfance et à ces courses échevelées dans la campagne, à la recherche des
bleuets et des coquelicots ?
Ces questions demeurant sans réponse, nous avançons vers
cette période où « l’on cloue un cercueil quelque part » et nous nous
contentons de saisir le bonheur du jour en espérant que nous puissions au moins
partir ensemble vers le grand inconnu qui se cache derrière le sourire des
roses…
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