Swann et la princesse de jade
En explorant les confins de son royaume, le prince Swann se
perdit dans un dédale brumeux et se trouva soudain face à un palais de jade
dont l’éclat rehaussait l’aspect laiteux du paysage.
Un palefrenier conduisit la jument du prince à l’écurie et s’occupa
activement de sa robe et de ses sabots avant de la nourrir et de l’emmener dans
un enclos réservé aux montures princières.
Swann monta les marches du palais et fit une entrée
triomphale tant son élégance et son allure quasi royale sortaient de l’ordinaire.
Le chambellan l’introduisit dans une pièce où flambait un
bon feu. Un jeune homme l’aida à retirer ses bottes qu’il emporta prestement à
l’office pour les cirer tandis qu’un second serviteur lui apportait de fort
jolies poulaines, confortables et décorées de charmants grelots.
Une troisième personne se chargea de l’aider à se laver les
mains en utilisant un service en argent.
L’eau parfumée à la rose, tiède et un savon aux senteurs de
jasmin procurèrent au prince un vif sentiment de plaisir.
Lorsqu’enfin le prince fut présentable, une princesse aussi
éblouissante que son palais, fit son entrée, provoquant chez son hôte un choc
émotionnel tout à fait inhabituel.
Ses longs cheveux bouclés cascadaient sur de belles épaules
blanches mises en valeur par une robe de mousseline vert pomme, échancrée dans
le dos.
Sa taille fine était soulignée par une ceinture en or
ciselé, ornée de petites perles et de diamants.
Son visage était une déclinaison de la rose, de la cerise et
de l’émeraude.
Ses yeux avaient l’éclat de la déesse Athéna, célèbre pour
sa beauté, son intelligence et son art de la guerre lorsqu’une injustice
surgissait dans le monde.
Dès ses premiers mots, Salomé, la princesse de jade, émit
des paroles qui semblaient provenir d’une partition de Rameau.
Sous le charme de cette incroyable beauté, Swann parla peu,
craignant de ne pas être le prince charmant qu’elle attendait peut-être.
La soirée fut des plus féeriques.
Les plats servis portaient des noms évocateurs, vol-au vent
à la poularde farcie de truffe, papillon de tomates-cerises et de petits
légumes taillés en aiguillettes ou façonnés en boutons de roses, petits pains
fourrés au fromage et parsemés de graines de pavot et de sésame puis vinrent
des coquelicots soufflés, servis avec des coulis de fraises et des crèmes à la
lavande.
Swann mangea comme
dans un rêve : il n’aurait pas voulu offenser son hôtesse en boudant des
plats aussi raffinés et délicieux.
La princesse proposa de prendre le café ou le thé dans un
jardin d’hiver et les convives se dirigèrent vers une jolie structure de verre,
décorée de fleurs, avec une vue sur une volière.
Ils burent des boissons aromatisées aux plantes, vanille,
menthe, mélisse, pétales de jasmin et de rose dans de beaux mazagrans en
porcelaine.
Garance, la dame de compagnie de la princesse leur apporta
des petits cakes aux fruits confits et de jolis cannelés qui fleuraient bon le
rhum et la cannelle.
Un ange passa et les jeunes gens décidèrent d’un commun
accord de se retirer pour immortaliser le souvenir de la soirée, digne de
figurer dans un livre illustré pour la postérité.
La nuit, Swann rêva qu’il s’envolait comme un oiseau et
surveillait sa princesse enchanteresse.
Le lendemain, il se leva avec entrain et fut surpris de
trouver sa jument attachée à un chêne, à l’orée d’une forêt.
Plus de palais, plus de princesse et par conséquent plus de
rêve d’amour !
Par contre, il tenait dans sa paume une boucle d’oreille en
jade de la princesse Salomé.
Il reprit la route du retour et lorsqu’il fut parvenu en son
palais, il envoya des ambassadeurs, escortés par l’élite de son armée.
Des carrosses suivaient la délégation avec dames d’honneur, valets,
coffres de tissus, de soieries et de bijoux dignes de toute son attention
passionnée.
Personne ne revint et pour cause : le royaume de la
princesse de jade était enchanté !
Swann avait donc connu un rêve d’amour total et factice !
Il découvrit le secret de l’enchantement dans un grimoire
dont une fée lui avait fait cadeau à sa naissance.
Déçus par ce don inattendu et quelque peu étrange, ses
parents avaient attaché de l’importance aux joyaux, colifichets et cadeaux
somptueux dont un attelage constitué par une calèche tractée par des poneys et
avaient relégué le grimoire dans un grenier.
Certes il reposait dans un coffret en bois de rose mais il
avait sombré peu à peu dans l’oubli.
Ne sachant que faire pour retrouver l’objet de son amour, le
prince eut l’idée de consulter le grimoire dont sa nourrice lui avait parlé.
Il eut l’agréable surprise de voir se dérouler par écrit la
rencontre qu’il avait eue auprès de la belle Salomé.
Tout y était, le palais de jade, ses appartements, le jardin
d’hiver et la table du festin !
Croquis, aquarelles et tableaux composés de manière
romanesque complétaient la narration.
Concernant l’enchantement, un élément attira son attention :
le prince qui serait en possession d’un objet précieux appartenant à la
princesse aurait toutes les chances de mettre un terme à l’envoûtement qui
avait frappé le royaume de son amante.
Swann fit venir tous les orfèvres qu’il connaissait et leur
passa commande de boucles d’oreilles de jade, à l’imitation de l’objet précieux
qu’il possédait et dont il ne se séparait pas.
Chacun se mit à l’œuvre et lorsque toutes les boucles d’oreilles
furent livrées, le prince les confia à une véritable armée de tourterelles qui
avaient été dressées pour porter des messages.
Un jour, Swann découvrit à l’horizon une nuée de
tourterelles. Elles étaient de retour et devançaient le cortège des émissaires
du prince.
Dans un carrosse, rutilant d’or et de pierreries, la
princesse Salomé, plus belle que jamais dans sa tenue de jade, venait quérir l’amour
en conquérante !
Swann lui offrit la boucle d’oreille qu’il avait emportée,
Salomé lui donna le pendant et tous deux décidèrent de conserver la parure pour
la première fille qui naîtrait en leur royaume !
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